Martyr
Martyr de Marius von Mayenberg mise en scène Matthieu Roy – Compagnie du Veilleur, avec Claire Aveline, Clément Bertani, Philippe Canales, Romain Chailloux, Carole Dalloul, François Martel, Rodolphe Gentilhomme, Johanna Silberstein
au Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis puis Blois, Les Théâtrales Charles Dullin (94), Châtellerault, Lunéville, TNS…

Martyr raconte l’éclatement d’un lycée devant la passion religieuse intransigeante d’un élève, Benjamin Südel. Cet élève est élevé dans la religion chrétienne et présente, tout à fait soudainement, une affirmation de cette religion qui dans notre vécu est plutôt associé à une autre religion.
Le texte est d’une précision formelle impeccable, sans psychologie, et, à ce titre, remarquable. La mise en scène s’appuie sur cette précision coupante et l’amplifie. La scène représente plutôt un lieu de culte catholique. Des lumières projetées sur le fond figurent nettement un vitrail, quand c’est nécessaire, quand nous sommes dans le lieu du « prêtre », qui serait en fait un professeur de religion (l’auteur est allemand). Une estrade de plusieurs marches et une table imposante, qui peut facilement figurer l’autel d’une église.
Benjamin refuse de coopérer. Stupeur dans son entourage. Personne n’a rien vu venir. La mère, qui élève seule son enfant, ne le reconnaît pas… Il ne veut pas aller à la piscine, à cause de la concupiscence que provoque les maillots de bain deux pièces des filles. Il conteste la théorie de l’évolution de Darwin, il cite comme argument des passages de la Bible, choisis. Il déclame ces extraits dans une interprétation très littérale, et avec l’idée tacite qu’aucune autre interprétation n’est possible. En ce sens, il se comporte de façon intégriste : le sens de la vie a une source (un texte) et ce texte ne veut dire qu’une chose. Cette chose, dans la vérité qu’elle est, telle qu’elle s’est présentée aux hommes ne peut qu’être reçue. Il n’y a qu’un mode de vie possible ; en tout cas, beaucoup de comportements sont incompatibles avec la vérité et impossibles. Celles et ceux qui ne reçoivent pas cette vérité doivent être écartés, voire disparaître. « Vous parlez de sexualité, mais vous n’y connaissez rien. » dit Benjamin, en substance.
Cette posture d’intégriste est portée par un personnage, sans psychologie, sans méandre, d’une façon droite et institutionnelle, on pourrait dire. Vingt-sept séquences décrivent les réactions de l’entourage de Benjamin. Elles ne sont pas vraiment reliées entre elles par un fil narratif. C’est plutôt un patchwork, évolutif.
On peut s’interroger sur certains aspects. La professeure de biologie va porter la contestation de cet élève, de son comportement, de ses dires… Elle est bien seule. Elle ne met pas en avant dans son argumentation le principe de la science : raisonner à partir de l’observation. Elle met en avant, me semble-t-il, l’adhésion scientifique des scientifiques à la théorie de Darwin. Il va de soi que les scientifiques ne sont pas des croyants. La notion d’observation ne paraît pas dans son discours, elle n’est pas mise en avant. Ainsi, elle apparaît un peu comme une autre croyante, avec son livre et son prophète.
L’attitude du proviseur est encore plus étonnante. Il cherche beaucoup à calmer son élève et en appelle au professeur de religion qu’on appelle « père » (nous sommes en Allemagne).
Il est clair que Benjamin ne cèdera rien devant personne et qu’il met tout le monde dans l’alternative de le suivre (au minimum de l’accepter tel quel) ou d’être son ennemi et dans ce cas, il apparaît à tout le monde qu’il fera la guerre, qu’il ne lâchera rien. De ce point de vue-là, c’est clairement un pervers. Il devient violent, frappe une amie, jette une pierre à un ami estropié… ce qui passe inaperçu, ce qui ne lui est pas compté comme intolérable. Miracle des pervers qui arrivent à se faire passer pour des victimes, au point que tout le monde substitue à ce qu’ils disent et font vraiment des intentions qui les excusent.
On en arrive à l’inversion de l’agresseur et de l’agressé. Benjamin interprète la résistance de cette professeure de sciences dans son système à lui : elle est juive. Il l’accusera d’attouchements et le spectacle finira dans une scène un peu excessive, à mon sens, du côté de la didactique.
Ce spectacle présente un certain nombre de défauts, il parle d’un élément important de notre époque dans une forme contemporaine, l’abandon de soi à des certitudes absolues et se place dans un genre théâtral qui nous est profondément utile.
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