Mes 10 films préférés de l’année 2022, et vous ?
1) Ennio, il maestro de Giuseppe Tornatore (Ita.)
2) En corps de Cédric Klapisch (Fra.)
3) Incroyable mais vrai de Quentin Dupieux (Fra.)
4) X de Ti West (E. U.)
5) L’Innocent de Louis Garrel (Fra.)
6) Fumer fait tousser de Quentin Dupieux (Fra.)
7) Avatar 2 : La Voie de l’eau de James Cameron (E. U.)
8) Nope de Jordan Peele (E. U.)
9) Patrick Dewaere, mon héros d’Alexandre Moix (Fra.)
10) Novembre de Cédric Jimenez (Fra.)
Le cinéma est-il mort ? On l’entend plus que jamais ces derniers temps, du fait d’une baisse de la fréquentation des salles (la pandémie de Covid-19 est passée par là, sans oublier non plus le prix tout de même élevé d’une place de cinéma), et ce malgré deux ou trois cartons au box-office cachant la forêt de films qui n’ont pas marché : Avatar 2 a récemment franchi en France la barre symbolique des 10 millions d’entrées, détrônant ainsi le plus gros succès en salles de l’année 2022 jusqu’à présent, à savoir Top Gun : Maverick, avec l’insubmersible et toujours jeune Tom Cruise, ce « Dorian Gray des temps modernes ». Déjà, en son temps, le grand cinéaste Jean-Pierre Melville (1917-1973) pronostiquait la mort du septième art, via ce propos étonnant (et prémonitoire ?) de sa part, remontant à 1970 : « Je ne sais pas ce qui restera de moi dans cinquante ans. Probablement tous les films auront pris un coup de vieux terrible et le cinéma n'existera sans doute plus. J'estime que la disparition du cinéma aura lieu vers l'an 2020 et que dans cinquante ans environ il n'y aura plus que la télévision. »
Nous sommes en 2023, il y a la télé toujours et plus que jamais, avec notamment, les séries TV tous azimuts, auxquelles s'ajoutent désormais en termes de concurrence pour le cinéma (qui a perdu, comme on le sait, de son importance dans le champ social), les jeux vidéo puis les plateformes de streaming. « La chose qui m’angoisse le plus depuis que je fais des films, je crois, précisait dernièrement dans la presse spécialisée (Cahiers) le réalisateur français Nicolas Pariser, est que les gens non cinéphiles de ma génération ne sont plus du tout au courant de l’actualité cinématographique ». Puis, le cinéaste américain intranquille James Gray d’ajouter (in Télérama #3800) : « En perdant la sortie sur grand écran, les films perdent aussi leur influence culturelle. Le cinéma est devenu une activité parmi d’autres pratiquées chez soi, sur son ordinateur : les jeux vidéo, la pornographie, les réseaux sociaux… Il y a tellement de diversions. Pour ceux qui aiment profondément le cinéma, c’est déchirant d’assister à ce qui s’apparente à une mort à petit feu. » Alors oui, peut-être que Cameron, qui cartonne avec son blockbuster d'Indiens sur Pandora, est tout bonnement le dernier des Mohicans, la question étant : James Cameron, après Tom Cruise en mode Top Gun revival, va-t-il sauver quasiment à lui tout seul le cinéma en salles ?
Bon, heureusement, malgré la mort par suicide assisté cette année du légendaire Jean-Luc Godard (qui, soit dit en passant, annonçait lui aussi depuis belle lurette la mort de son médium de prédilection), et la disparition regrettable de figures importantes, sinon attachantes, de l’industrie cinématographique, de Jean-Jacques Beineix à Jacques Perrin en passant par Gaspard Ulliel, Monica Vitti, Sidney Poitier, Ray Liotta, Vangelis, Jean-Louis Trintignant et autres William Klein, le cinéma n’a pas dit son dernier mot, il y a même eu certains succès à la clé (En corps, Novembre, Simone, le voyage du siècle, Black Adam, Bullet Train, La Nuit du 12, L’Innocent, La Conspiration du Caire et autres Smile), certaines personnalités s’en sont même très bien tirées, voyant leur cote monter, comme Louis Garrel, acteur et réalisateur présent un peu partout ces derniers temps (L’Innocent, mais aussi Les Amandiers (il y campe un mémorable Patrice Chéreau), Caravage, tout dernièrement L’Envol, puis prochainement Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan et Milady) ou Benoît Magimel, remarquable dans les décalés Incroyable mais vrai de Quentin Dupieux, cinéaste de l’absurde qui aimante décidément de plus en plus le gotha des stars françaises, et Pacifiction – Tourment sur les îles d’Albert Serra, sans omettre l’émouvant Revoir Paris.
Mes 10 films de l’année 2022, alors les voici, avec, pour chaque long métrage (fiction ou documentaire, ©photos V. De.), un texte de moi, repris de ce que j’ai pu écrire sur AgoraVox ou ailleurs. De plus, au vu du nombre conséquent de films qui sortent dans les salles obscures chaque semaine (une quinzaine environ), il est fort possible que j’en ai oubliés au passage, aussi libre à vous d’intervenir suite à ce classement, purement subjectif, pour y ajouter votre grain de sel, voire votre propre liste.
1) Il était une fois un génie au cinéma : Ennio !
« Je suis fait de toute la musique que j'ai étudiée », dixit Ennio Morricone (1928-2020), compositeur de musiques de films de légende auquel Giuseppe Tornatore, collaborateur régulier du maestro (Cinema Paradiso, Malena…), a rendu cette année hommage avec son formidable documentaire Ennio, il maestro, sorti en salles le 6 juillet dernier deux ans après sa mort des suites d’une mauvaise chute à Rome, survenue le 6 juillet 2020, à l’âge de 91 ans. Ce doc passionnant est intitulé sobrement… Ennio. C’est bien connu, lorsque l’on finit par appeler un artiste appartenant pleinement à l’histoire de l’art que par son prénom (pensons par exemple à Michel-Ange, à Léonard, à Vincent pour Van Gogh, à Charlot ou, encore plus près de nous, à Frida pour Kahlo), c’est que l’on est entré dans la légende, et que l’on a su non seulement marquer les mémoires par sa griffe inimitable mais également par le fait de venir, via la singularité de son art, toucher directement le cœur des gens. Ce qui était le cas d’Ennio, bien entendu, qui se reconnaissait volontiers musicien caméléon pouvant tout jouer comme un Quincy Jones ou un Lalo Schifrin : de la musique absolue (c’est son terme pour désigner le classique) à la bande originale de film, via la musique expérimentale, le jazz, le rock, la pop, le psychédélique, le folklore, la variété, la bossa nova et autres tout en restant toujours profondément lui-même – c’est ça la force de Morricone : avoir su garder sa patte, tout en ayant intégré dans ses compositions, tour à tour savantes et populaires, des renvois aussi bien à Frescobaldi, à Bach, à Monterverdi ou encore à Verdi qu’au dodécaphonisme en faisant un détour par Stravinsky et John Cage. Champion d’échecs, il aimait jouer avec la musique et son histoire pour osciller en permanence entre modernité (le cri du coyote cartoonesque dans Le Bon, la Brute et le Truand !) et classicisme ; son score pour Il était une fois en Amérique, de l’ami Sergio Leone, avec son souffle proustien dépassant largement le cadre circonscrit du long métrage, est assurément un classique du 20ème siècle, pouvant s’écouter sans le support-film.
Ennio ? Ses musiques sont devenues assurément, au fil du temps, les bandes originales de nos existences. Alors, et pour l’éternité, viva Morricone ! Et merci à Giuseppe Tornatore, honnête artisan du cinéma transalpin qui, avec son doc en guise d’hommage au génial Morricone, réalise, d’après moi, son plus grand film, en tout cas le plus inspirant, la nostalgie constante l’accompagnant en le regardant – « Faire du cinéma, c’est inventer une nostalgie pour un passé qui n’a jamais existé », dixit Michael Cimino - contribuant largement à cette large séquence émotion qu’est son documentaire-fleuve (plus de deux heures trente tout de même !) car les musiques de Morricone sont éminemment mélancoliques. Et on a vraiment l’impression, devant ce doc, de vivre un ultime face-à-face avec le musicien, comme si le maestro Morricone, si peu loquace de son vivant (on sait qu’il envoyait balader nombre de journalistes, allant jusqu’à en virer un qui s’était trompé de prénom, l’appelant pour commencer l’interview… Sergio !), ne s’adressait qu’à nous, via cette ultime masterclass, des plus inoubliables. Bref, malgré quelques manques et redites (le concert de louanges est un poil surdosé à la fin), ce doc s’avère on ne peut plus poignant et passionnant.
2) En corps, on en veut encore !
Ce n’est pas la première fois que le cinéaste Cédric Klapisch filme la danse, cet art du mouvement qui va de pair avec cet autre art du mouvement, doublé de sa captation, qu’est le cinéma : qu’on se souvienne, L’Espace d’un instant, de son documentaire consacré à Aurélie Dupont en 2010, de son intérêt à filmer un ballet classique au Théâtre Marrinsky à Saint-Pétersbourg pour Les Poupées russes en 2005 ou encore de la réalisation de captations plus récentes pour l’Opéra de Paris. Mais là, avec En corps, la danse, il lui donne vraiment la part belle et cela lui réussit pleinement - d’ailleurs, détail révélateur, Klapisch apparaît, dans un caméo, en régisseur de ballet au tout début de son film, il annonce ainsi la couleur : il est celui qui tire les ficelles pour orchestrer un spectacle haut en couleur autour de la danse, sous toutes ses formes. Dans la séquence magistrale de l’ouverture muette du film (dix minutes dévoilant à l’Opéra Garnier la représentation du ballet de La Bayadère et ses coulisses), il faut voir comment il filme avec soin, et délicatesse, secondé par la superbe lumière en clair-obscur de son directeur de la photographie Alexis Kavyrchine, les corps en mouvement ou à l’arrêt, dans la lumière des projecteurs, on se croirait chez Degas, et il y a également ce très beau plan captant en plongée, façon vol de cygnes, des tutus de ballerines en mouvement. C’est visuellement splendide.
Puis, en se jouant non pas d’oppositions mais de correspondances entre la cuisine et la danse, le terrien et l’aérien, la danse contemporaine et le ballet classique, ce film crossover, adepte des grands écarts (mélange réussi entre hip-hop trépidant et tutu pas si cucul), ne met pas en avant la quête de perfection - on a ainsi en souvenir la sortie célèbre du génial Dalí (« Ne craignez pas d'atteindre la perfection, vous n'y arriverez jamais ! ») mais en prenant en quelque sorte le contrepied d’un Black Swan qui focalisait sur la compétition exacerbée via les figures de style codifiées, le méchant professeur de ballet et le rapport psychotique des danseuses à leurs rôles aux destins tous tragiques, vient célébrer a contrario le work in progress du studio, le dur labeur, les ratages, l’inachevé, la sueur, l’intimité, l’entraide, le bricolage, la spontanéité, l'inattendu, l’organique, la fragilité. Aussi, selon moi, c’est un film qui pourrait être montré dans les écoles (et pas seulement de danse), car il toucherait sans aucun doute nombre de jeunes gens qui, possiblement atteints de phobie scolaire parce que craignant de ne jamais bien faire, pourraient – enfin - s’autoriser l’erreur, la fausse note, le mal fait, la sortie de route, l’accident de parcours ; le mot de la fin au chorégraphe Hofesh Shechter (qui dit ceci à Elise (formidable Marion Barbeau ! Une actrice est née) dans le film, toute déboussolée à l’idée que son corps, salement blessé, la lâche) : « La danse contemporaine n’est pas la perfection, les doutes et les peurs sont intéressants. » Voilà, c’est noté, ici, la fragilité devient une force et ce film populaire qu’est En corps, oscillant entre rires et larmes, comédie et tragédies musicales, grâce et dérapage, fait un bien fou car il nous rappelle que nous sommes vivants donc faillibles !
3) Incroyable mais vrai, ce Dupieux est excellent !
Bienvenue en absurdie avec Quentin Dupieux. Son avant-dernier film en date, sorti l’été dernier, Incroyable mais vrai, ne déroge pas à la règle. Nimbé dans une image floue et iridescente, très filtre années 1980, il nous raconte, en réunissant un quatuor d’acteurs au poil (Alain Chabat, Léa Drucker, Benoît Magimel, Anaïs Demoustier), une histoire improbable : Alain et Marie, couple tranquille, sans enfant, aspirent à la quiétude, ils emménagent dans un vieux pavillon de banlieue mais, bientôt, une trappe située dans la cave, fonctionnant tel un gouffre spatio-temporel permettant d’ailleurs de jouer malicieusement, à la Un jour sans fin, avec le médium cinéma, art du mouvement mais aussi du temps, bouleverse leur existence : en allant dedans, on rajeunit sans cesse ! Léa Drucker, en faisant une fixette sur cette faille temporelle, véritable fontaine de jouvence, y est excellente, au bord de la folie, sa cristallisation sur la chose rappelant l’obsession de Jean Dujardin pour le blouson du Daim. Pendant ce temps-là, un de leurs amis, et collègue (irrésistible Magimel, campant ici un mâle alpha hésitant entre le progressisme futuriste et le pathétique), se fait greffer, de son côté, un sexe électronique. Oscillant entre quête d’une jeunesse éternelle, pour contrer vieillissement et usure du couple, et virilisme outrancier, ce film improbable, qui a le mérite d’être court (en 1h14, c’est plié) façon haïku visuel, retient constamment l’attention, sa loufoquerie teintée de mélancolie le rendant particulièrement attachant : il faut voir à la fin, le tout vieux Alain Chabat assis peinard près d’une rivière avec son chien et sa canne à pêche pendant que sa compagne, elle, est devenue, à force d’utiliser le tunnel surnaturel, une toute jeune fille !
« J’ai inventé le navet conceptuel sinistre », disait déjà Quentin Dupieux en 2007 à la sortie de son Steak (2007) avec le duo Éric & Ramzy, vendu à l’époque comme une comédie populaire, d’où son insuccès notoire en salles (depuis il est devenu culte), alors qu’il s’agissait en fait d’un véritable film d’auteur lorgnant, mine de rien, vers l’expérimental - « Il n'y a rien de plus beau dans l'art, précise encore ce réalisateur décalé façon cinéaste du dimanche, que de ne pas réfléchir. » Depuis, de film en film, de Rubber à Fumer fait tousser via Au poste !, Le Daim, Mandibules, Incroyable mais vrai et autres Réalité, ce drôle de zozo a confirmé qu’il était bel et bien un réalisateur hexagonal bord-cadre sur qui on pouvait compter pour jouer avec les codes du cinéma, notamment américain et de genre, qu’il infiltre avec une liberté de ton toute buñuelesque assez réjouissante. Son Incroyable mais vrai, portant bien son nom, fait vraiment confiance au spectateur pour qu’il se fasse un film avec l’objet-film ; je pense ici à Abbas Kiarostami dont cette phrase très pertinente orne justement, via un néon lumineux décoratif, l'entrée du cinéma MK2 Beaubourg (Paris) dans lequel j'ai été voir le film : « Il faut envisager un cinéma inachevé et incomplet pour que le spectateur puisse intervenir et combler les vides. » Très juste ! Ce Dupieux désopilant prend volontiers la tangente en quittant le fil blanc attendu d'une narration passe-partout pour confondre crise de jeunisme chez une épouse un peu paumée (accro à ce conduit étrange situé sous la cave d'une maison un peu défraîchie achetée auprès d'un agent immobilier sibyllin), délaissée par son compagnon pantouflard (Chabat, en mode Bill Murray), et désir de sexe électronique hyper performant chez un big boss gras du bide épris d’armes à feu - hénaurmissime Benoît Magimel, dans tous les sens du terme, il devient de plus en plus, avec ses transformations physiques, notre Brando à nous ! Au final, cet Incroyable mais vrai, au rythme indolent, est une petite réjouissance, mettant volontiers les pieds dans le plat du grotesque. Seul bémol : la main pleine de fourmis à la fin est un peu trop citationnelle (coucou le Chien andalou, 1929, de Buñuel et Dalí !) et le coup du corps pourri de l'intérieur, on l'a vu tout de même assez récemment avec le palmé d'or à Cannes Titane, signé Julia Ducournau.
4) X, un petit film au plaisir XXL !
Avec X, signé Ti West, l'on suit le temps d'un week-end les fulgurances et les déboires d'une toute petite équipe de tournage venue tourner un film de fesses, Les Filles du Fermier (sic !), dans une grange isolée au fin fond du Texas. Sur le chemin, le film commençant tel un road-movie avec tous les clichés du genre, le réalisateur exalté caméra sur l'épaule dans une station essence s'écrie même à un moment donné « Chouette, ça fait petit film indépendant fauché, c'est très français ! » On pense alors, amusé, à Godard ou à Lelouch. Ou encore à Boogie Nights (1998) pour l’ambition de ce protagoniste chevelu tendance grunge, complètement habité par son projet, à vouloir obstinément élever le porno au rang d’œuvre d’art. Mais le tournage, si bien commencé, va partir prochainement en sucette car c'était sans compter sur les pruderies d'une soi-disant jeune « sainte » et surtout sur la présence de vieux vicelards frustrés, dont une vieille dame loseuse des plus libidineuses !, qui ne sont autres que les propriétaires bien barrés louant la ferme en question, tapis dans les fourrés, adorant jouer à cache-cache. Bientôt, le tournage de bric et de broc se fera cauchemar opératique, déroulant le tapis rouge... sang aux instincts basiques.
X s’apparente à du cinéma de genre jubilatoire qui, en s'aidant des bonnes vieilles recettes d'antan pour faire peur (Psychose, 1960, du père Hitchcock, roi du suspense et inventeur du genre, est ouvertement cité), sait que c'est en allant sillonner dans les marges (l'horreur, le porno, l'érotisme Harlequin, les tabous, la campagne, les laissés-pour-compte, le télévangélisme avec le rigorisme religieux asphyxiant qui s'ensuit...), et dans ce que l'on ne montre pas d'habitude à l'écran (un couple de vieux du quatrième âge abandonnés de tous faisant l'amour, rien que ça - scène ô combien insolite !), qu'il parlera au mieux du temps présent. Ainsi, on n'oubliera pas au passage l'affirmation pertinente de Joe Dante, l'auteur du culte Hurlements (1981), reprise par le critique Bill Krohn, dans son texte Bush et les zombies, in Cahiers du cinéma n°609, février 2006, en page 25 : « Si vous voulez savoir ce qui se passe dans un pays à n’importe quel moment, regardez ses films d’horreur. » Dont acte. À mes yeux, ce X, sexy (en diable), rock, vintage (on est en 1979), drôle, imaginatif et bien tordu, est un grand petit film, magnifiquement troussé mais, attention, âmes sensibles s’abstenir !
5) L’Innocent, pour le plaisir…
« C’est plus une prison, c’est un club de rencontres ! », dixit Abel, qui est en panique. Eh oui, il vient d'apprendre que sa mère Sylvie, la soixantaine, compte se marier... en zonzon avec un certain Michel Ferrand. Aidé par sa meilleure amie Clémence, il va tout faire pour l'en détourner et ainsi la protéger de lui, le voyant ni plus ni moins comme une menace pour la quiétude familiale, surtout lorsqu'il découvre un flingue dans la poche intérieure de son cuir. Alors, comment est ce film de Louis Garrel ? Bien écrit, drôle et émouvant, autour d’une histoire de vol de caviar iranien – 3000€ le kilo tout de même !, ce long métrage s’avère très efficace grâce aussi à son quatuor d’acteurs : Anouk Grinberg (Sylvie), mais on le sait depuis au moins Bertrand Blier, est une grande actrice, à fleur de peau. Son côté « borderline » sert le film, elle y est touchante, avec son amour fou, puis déçu (les histoires d’amour finissent toujours mal, c’est bien connu…). Roschdy Zem alias Michel, comme d’habitude, est impeccable : charisme, background du vécu et humour. En prof de salsa improvisé, adepte du pas de côté, il s'y montre particulièrement craquant. En route pour un deuxième César ? Noémie Merlant - son personnage Clémence - est sexy, barrée (un tropisme évident pour les voyous…) et attachante, avec, sur le visage, un sourire gourmand des plus charmants, combiné à une pointe d’espièglerie, voire de diablerie !, dans le regard, qui sert d’ailleurs la cause féministe du film : les femmes y apparaissent libres et indépendantes, tout en ne se détournant pas néanmoins des charmes entremêlés du masculin/féminin - elles ont besoin tout de même d’un mec ! C’est la « petite » - oui je sais, elle a quand même 33 ans, mais c’est jeune encore - actrice qui monte, qui monte, depuis Le Portrait de la jeune fille en feu (2019) de Céline Sciamma, un beau film sur la peinture couplée à la sororité, et son passage par l’aguerri Jacques Audiard (Les Olympiades, 2021).
Quant à Louis Garrel, jouant Abel, ce « fils de », plutôt habitué d’ordinaire aux cimes auteurisantes, chez lui (à savoir via ses propres réalisations, c’est tout de même son quatrième long métrage) ou ailleurs (chez son père Philippe, chez Bertolucci à ses tout débuts, Honoré, Bonello, Desplechin, Maiwenn, Zlotowski, Godard via Hazanavicius et consorts), il signe ici un vrai film populaire, grand public même. À savoir un feel good movie à la française, ou à l’italienne (on pense facilement aux comédies italiennes cultes des années 60 et 70, virtuoses en paniers de crabes), qui a très bien marché salles (plus de 700 000 entrées), non seulement bien réalisé mais aussi bien produit (par la productrice et galeriste Anne-Dominique Toussaint, des moyens donnés au service de son ambition : faire un film au croisement des genres, entre comédie, mélo, film d'espionnage, polar, « film de variété » (les tubes eighties, de Pour le plaisir, le hit d'Herbert Léonard, à Nuit magique de Catherine Lara en passant par Une autre histoire de Gérard Blanc, y sont légion !), chronique familiale et film d’auteur évitant pour une fois – ouf - le parisianisme asphyxiant ; c’est la ville de Lyon qui sert de décor).
6) Fumer fait tousser et réfléchir !
Quentin Dupieux, coucou le revoilou dans ce Top Ten ! Bravo à lui. Fumer fait tousser est un petit film bizarroïde : après un combat acharné contre Tortusse, une tortue ninja géante et maousse, l’équipe des « Tabac Force », comptant dans ses rangs cinq justiciers portant les noms d'Ammoniaque (Oulaya Amamra), Méthanol (Vincent Lacoste), Mercure (Jean-Pascal Zidi), Nicotine (Anaïs Demoustier) et Benzène (Gilles Lellouche) et répondant, façon Club des cinq, au mot d'ordre écologique simpliste suivant (« On est tous contre la cigarette, fumer c'est mal, ça fait tousser », dixit Benzène, on pense aussitôt aux Inconnus du Pari, 1997, avec leur culte « Le tabac c'est tabou, on en viendra tous à bout ! »), se voit proposer par son chef (un rat en peluche, libidineux et baveux), par écrans interposés et sur fond de fin du monde, un séminaire au vert afin de renforcer la cohésion de groupe, qui est en train de s’effriter. Mais bientôt, une menace sourde, prenant la forme d'un homme-lézard, qui n'est autre que l'inquiétant Lézardin (Benoît Poelvoorde), empereur du Mal superméchant bien décidé à anéantir la planète Terre, pointe le bout de sa queue. Concernant Quentin Dupieux, je dirais que ce film - son deuxième long métrage en un an, quel rythme ! Il en a déjà dix à son actif sinon - est un opus mineur. Son précédent, Incroyable mais vrai, sorti l’été dernier (avec également l’ex Nul Alain Chabat, mais cette fois-ci en chair et en os à l'écran), me semble au-dessus, plus cérébral et plus réflexif quant à la fabrique du cinéma, via son travail sur le temps et l'entropie. Pour autant, Fumer fait tousser a un côté cool plutôt plaisant, témoignant d'un relâchement à l'œuvre assez libérateur : faire un film de cinéma blagueur et décomplexé, entre potes en vacances, telle une grosse farce ou une BD underground poilante. Et la séquence pas piquée des hannetons, où l'on retrouve au sein d'une scierie Michael (joué par le trop rare Anthony Sonigo) amouraché de sa tante (Blanche Gardin), dans un moment oscillant entre les Monty Python (le goût pour l'absurde, le non-sens, le cartoon, le gore via un jeune homme finissant déchiqueté dans un broyeur à bois), les frères Dardenne (ou du réalisme dans le monde du travail) et David Lynch (l'esthétique du fragment, la bouche surréaliste en solo qui parle), est des plus réjouissantes ! Le tout étant raconté par un barracuda pêché en train de frire (sic)... Et que les « Tabac Force », justiciers en combinaison moulante bleue et jaune pâle comme issus tout droit d'une série télé Z « japoniaise » genre X-or, Bioman et autres Super Sentai, ne boufferont même pas, dans le cadre de leur « séminaire de cohésion », parce que cramé au final ! Vous me suivez toujours ? Car c’est tout de même un brin tordu, le narrateur étant un poisson.
Alors, au final, vous prêterez-vous au jeu en regardant ce Fumer fait... rigoler ? Car, à dire vrai, avec son art du pas de côté et du chemin de traverse, alimenté par un esprit potache kamikaze façon Hara-Qui-Rit, c'est le genre de film-ovni, dans la lignée des autres longs métrages incongrus du même artiste (Steak, 2007, Le Daim, 2019, Mandibules, 2020), difficile au fond à classer dans un genre bien défini (comédie d'action loufoque ?), et auquel on adhère ou pas. Néanmoins, à l’instar de l’un de ses personnages fantasques, la femme au casque, qui ne cesse de déclarer « Je pense, je pense, j’arrête pas, c’est fabuleux, j’adore ça », il faut bel et bien reconnaître que cet insolite Fumer fait tousser, à défaut de faire l'unanimité (il perd quand même en route, me semble-t-il, quelques spectateurs dans la salle), fait aussi... penser, ce qui est déjà ça !
7) Avatar que jamais, La Voie de l’eau est enfin sortie au cinéma !
Treize ans après le premier, le tycoon James Cameron, 68 ans au compteur, est revenu en décembre dernier avec la suite d’Avatar (2009), Avatar 2 : La Voie de l’eau. On reprend les mêmes, à quelques nuances près (la création de nouveaux personnages avec, en prime, la monstration d’un Pandora plus aquatique), et on recommence, doté d’un budget avoisinant, dit-on, les 350 millions de dollars alors, qu’à titre de comparaison, son premier Terminator (1984), à l’aspect bricolé et brut toujours des plus percutants, via son charme vintage des années 80, le cinéaste canadien autodidacte l’avait bouclé pour moins de 7 millions de dollars. Dans le deuxième Avatar, se déroulant dix ans après les événements relatés dans le premier, Jake et Neytiri sont toujours ensemble, bonne nouvelle !, mais, cette fois-ci, avec quatre enfants à leurs côtés. Sur Pandora, planète lointaine, mâtinant faune et flore aux bleus envoûtants rappelant toujours tant les Schtroumpfs de Peyo que le bleu outremer estampillé Yves Klein, le bonheur, associé à une vision fleur bleue et rousseauiste du Bon Sauvage, est au rendez-vous, parmi les hautes herbes à plumes duveteuses, les méduses volantes translucides et autres plantes exotiques rétractiles. Hélas, la menace de « ceux qui viennent du ciel » (à savoir le retour des hommes bêtes et méchants !) reprend, notamment par l’intermédiaire d’une escouade d’avatars, ayant pris l’aspect des Na’vi, avec à leur tête le colonel belliciste et revanchard Miles Quaritch, voulant à tout prix la peau du renégat Jake (« Je vous rapporte son scalp » dit même Quaritch à propos de Sully !), ce qui pousse la famille Sully à quitter son paradis bleu, la forêt, pour se rapprocher de l’océan, auprès d’un autre clan, les Metkayina, dont les tatouages rappellent la culture maorie.
Certes, cet opus 2 n’est pas exempt de défauts ni de clichés : une soupe New Age au parfum bio-écolo-chlorophylle, saupoudrée de panthéisme post-miyazakien, un peu trop présente, voire par moments risible ; une star annoncée mais qu’on ne reconnaît jamais à l’image (Kate Winslet, un comble !) ; des archétypes balourds fidèles au classicisme paternaliste hollywoodien habituel (la famille forcément protectrice, via certaines sorties poussives, du genre « Un père protège, c’est sa raison d’être » (on a connu plus novateur !), la figure répétée du paternel autoritaire). Pour autant, ce film-somme, comme compactant tous les précédents longs métrages signés Cameron, de Terminator (la mécanique des fluides, le goût de la métamorphose) à Titanic (le naufrage final) en passant par Aliens, Abyss (les profondeurs sous-marines et la magie du surnaturel) et autres True Lies (le super-espion séducteur devant se coltiner épouse et enfants), est une vraie proposition de cinéma. Malgré sa durée (3h12 !), on ne s’y ennuie pas. Au fond, Avatar 2, à l’instar de ses personnages attachants tiraillés par forces et faiblesses, contient quelques pépites. Tout d’abord, Cameron est un formidable raconteur d’histoires, doublé d’un styliste visuel redoutable, à la fois visionnaire et démiurge. Son monde imaginaire créé, pixel après pixel, utilisant 3D, effets spéciaux numériques, images de synthèse et performance capture puis filmage en 48 images par seconde au lieu des 24 de rigueur, a tout de même quelque chose de fascinant, voire d'innocent. Malgré ses prouesses technologiques dernier cri, James Cameron, ce Méliès des temps modernes, semble ici, avec ce film familial aux airs familiers (Pandora nous est désormais connue !), revenir aux origines du cinéma, comme au bon vieux temps de la lanterne magique. Sa croyance inébranlable en son art (le 7e), celui des autres (Moby Dick, Hatari !, Les Dents de la mer) ou le sien (on connaît son ego !). fait plaisir. Le réalisateur semble s’adresser tant au grand public, ratissant large, qu’aux cinéphiles, ces derniers aimant retrouver des obsessions chez un auteur, par exemple l’hydroglisseur géant, sorte de Dragon des mers occupant parfois frontalement tout l’écran, peut évoquer le paquebot transatlantique impressionnant de la White Star de Titanic et les exosquelettes de crabes sous-marins croisés ici et là, aux pattes arachnéennes grouillantes et travailleuses, ne sont pas sans rappeler l’imagerie robotique troublante d’Aliens. Ainsi, cet Avatar : La Voie de l’eau est tout de même, malgré quelques bémols, et ce notamment grâce à son bestiaire marin déployé des plus fantastiques (des skimwings aux tulkuns en passant par les ilus), une vraie vision de cinéma, ainsi qu’une plongée euphorisante dans l’imaginaire semble-t-il sans limites d’un créateur très ambitieux.
8) Nope n’est pas si mal !
Nope est un film étonnant, on peut le trouver décevant à la première vision (ce qui est mon cas) mais, par la suite, en faisant à la façon du Black Knight son petit bonhomme de chemin dans notre mémoire, c’est un film auquel on repense. Par exemple, le cavalier noir croisé dans Nope (2022) de Jordan Peele, sorti l’été dernier au cinéma, et signé par un cinéaste afro-américain qui s’interrogeait sur l’identité inconnue de ce jockey utilisé par Eadweard Muybrige en 1878 pour étudier la décomposition du mouvement, s’est retrouvé dernièrement dans au moins deux expositions à Paris : Rosa Bonheur (1822-1899) au musée d’Orsay et Marcel Proust, la fabrique de l’œuvre à la BNF / François Mitterrand. Et je dirais que c’est toujours bon signe quand un film infuse et porte à la réflexion, ou tout simplement se rappelle à notre bon souvenir, au-delà de son périmètre habituel (la salle de cinéma puis l’exploitation sur les plateformes, à la télé ou en DVD). Que raconte Nope, qui semble d’ailleurs revenir aux origines du cinéma (Muybridge, la lanterne magique) comme dernièrement Avatar 2 ? Sous le ciel de Californie, dans la Santa Clarita Valley, à une cinquantaine de kilomètres de Los Angeles, des phénomènes inexpliqués, ovni ?, ont lieu dans un ranch isolé, tenu par OJ et Emerald Haywood, frère et sœur ayant hérité icelui de leur père défunt, légendaire dresseur de chevaux pour le cinéma et la télévision. Au fait, attention aux nuages ! La menace fantôme viendrait de là… Nope, ce western SF, mâtinant horreur (les scènes périphériques bien flippantes avec le chimpanzé Gordy tueur, vedette de l’émission - cet incident a-t-il réellement existé ? Se demande-t-on sans cesse) et pop (les tee-shirts vintage portés par ses personnages arborant des noms de groupes rock des années 80), a de la gueule : les images sont belles. Les chevaux, les nuits et les ciels, d’où naît une menace fantôme (une sorte de vortex surnaturel à tissus ondulants aspirant tout sur son passage à l’exception des objets métalliques et des artefacts), sont magnifiquement filmés.
Puis, Nope, qu’on peut traduire par Nan (du genre Non c’est pas possible, on ne me la fait pas, sorti à raison sous le titre Ben non au Québec !), se penchant, pour sa trame principale, sur des éleveurs de chevaux afro-américains travaillant dans le milieu du cinéma et du divertissement (les parcs d’attractions) au fin fond d’une vallée perdue de la Californie, est aussi là pour redonner une place (bienvenue) à une communauté noire aux Etats-Unis qu’on n’associe pas forcément - heureusement, avec le temps, les choses ont largement évolué ! - au monde culturel et à l’univers western. Enfin, les exégètes pourront saluer, avec ce film jouant sur le regard (regarder avec insistance au risque de perdre la vie) et l’enregistrement du réel par une caméra mécanique qui, dans la captation audiovisuelle, va plus loin que le numérique lisse, un désir de remonter aux origines du cinéma, à sa source : il nous est bien montré que le petit film documentaire à finalité scientifique réalisé par Eadweard Muybridge captant le mouvement d'un cheval au galop monté par un jockey… noir, hélas resté anonyme dans l’histoire du 7e art, a participé à l’invention du cinéma, art du temps et du mouvement, au même titre que les recherches contemporaines des frères Lumière ; ce Plate 626, ou Animal Locomotion, peut être décrit comme « le premier assemblage de photographies utilisé pour créer un film ». On est de plain-pied ici dans la mise en abyme, autrement dit le cinéma parlant de cinéma (tournages à Hollywood et plateaux TV montrés itou itou). Et, pour les cinéphiles, assurément, c’est bien souvent l’occasion de se perdre délicieusement dans moult interprétations possibles, au risque parfois de faire dire au film des choses qui n’y sont pas forcément ou de se faire carrément son propre film (et pourquoi pas d’ailleurs !). C’est aussi le jeu de la critique d’extrapoler et de s’emparer dans tous les sens du film en question pour en tirer la substantifique moelle possible. De fait, ce Nope se retrouve très bien classé – 3ème ! – dans le Top 10 2022 des intellectuels Cahiers du cinéma (#793) !
9) Patrick Dewaere, notre (anti-)héros
À ma connaissance, ce film documentaire Patrick Dewaere, mon héros (2022) d’Alexandre Moix, avec la voix de la fille de l’acteur pour l’accompagner, Lola Dewaere, n’a pas bénéficié d’une sortie en salles, dommage, hormis le fait qu’il ait été présenté, à l'occasion du 40e anniversaire de la disparition de cet acteur culte (1947-1982), icône du cinéma hexagonal, lors du 75e Festival de Cannes, dans le cadre de la sélection « Cannes Classics 2022 », et projeté en avant-première le jeudi 19 mai 2022. Mais j’ai choisi de le mettre. Parce qu’il est passionnant, très riche en matière cinématographique, confondant de manière troublante art et vie. Et Parce que… Patrick Dewaere. Acteur irremplaçable qui, lors d’une interview quelque temps avant son éclipse définitive, à l’âge de 35 ans, déclarait ceci : « Ça me ferait plaisir de penser que les gens, dans cinquante ans, décident que j’étais un acteur formidable. » C’est le moins qu’on puisse dire. Lors de sa projection cannoise, Thierry Frémaux, délégué général du Festival, précisa : « C'est le grand documentaire qui manquait sur Patrick, qui vient combler cette absence. » En effet, en le voyant, et sans oublier de rappeler certaines zones d’ombre du personnage (la consommation abusive de drogue et son coup de sang, allant jusqu’aux poings, contre un journaliste), l’on comprend mieux, sur fond de mal-être suite à des blessures familiales intimes (l’enfance violée) et certaines dérives du métier, pourquoi notre James Dean français s’est hélas donné la mort. Sa fille, au début du doc, dit ceci, comme si elle lui parlait directement – « Papa, j’ai longtemps porté en moi le mystère de ta mort. 40 ans que les gens se posent la même question : pourquoi Patrick Dewaere s’est-il suicidé ? ». Pour finir par affirmer ceci - « Aujourd’hui, les masques tombent, je sais tout. » Et nous aussi, grosso modo. Car il est toujours très difficile de connaître les ressorts intimes d’un retrait de la vie.
Entretemps, l’acteur, que l’on redécouvre à travers quelques extraits de films marquants, tels Les Valseuses (1974), Coup de tête (1975, avec cette réplique culte lui allant comme un gant « Je lève mon verre au tas d’ordures qui m’entourent, il y a de quoi remplir une sacrée poubelle ! »), Série noire (1979) et autres Un mauvais fils (1980), est aussi raconté par quelques personnalités fortes du cinéma, ayant collaboré étroitement avec le comédien, dont le toujours passionnant Jean-Jacques Annaud, qui est un formidable conteur (« Patrick, c’était un vrai »), le sous-estimé Yves Boisset, Claude Lelouch (« Il faisait partie de ces très grands qui, à un moment donné, cherchent à battre leur propre record. Ça a basculé en une seconde »), le cinéaste-écrivain Bertrand Blier, dont on connaît son redoutable sens de la formule (« C’était quelqu’un qui avait de la douleur, qui avait un gros paquet à porter ») ou encore Brigitte Fossey, qui a joué avec Dewaere à plusieurs reprises. C’est d’ailleurs elle qui en parle le mieux, voyant en lui, à raison, un « grand poète acteur » : « Il y avait quelque chose de rimbaldien chez Patrick. Il faut que je devienne moche. Faut que j’aie une sale tête. Faut que je m’abime. Peut-être que comme ça je deviendrais un acteur plus intéressant. On peut pas vivre toute sa vie comme ça, c’est trop dur. Mais, en même temps, ça fait de lui le grand poète acteur qu’il a été. » Patrick Dewaere, on le sait, ne cachetonnait pas. Il donnait tout à l'écran, à ses risques et périls ; on connaît sa fin tragique, juste avant de tourner un biopic signé Lelouch où il devait interpréter le boxeur Marcel Cerdan, dont Edith Piaf était follement éprise. Et ça se voit à l'écran, tant il est à cran sans jamais sur-jouer : il EST tout simplement, avec ses fêlures, ses joies enfantines également (son côté feu follet), puis sa fougue lovée dans une jeunesse éternelle. Ce film fort, Patrick Dewaere, mon héros, qui reste longtemps en tête après l’avoir vu, a été diffusé sur France 5 lors d'une soirée hommage spéciale le 21 octobre dernier. Espérons qu’il soit programmé un jour de nouveau à la télé, voire même qu’il sorte ultérieurement au cinéma, car il le mérite amplement.
10) Voir Novembre (2015) en novembre 2022
Pas évident de traiter au cinéma d’un tel fait, d’une telle tragédie (130 morts), encore très présente dans nos esprits, à savoir plonger au cœur de l’Anti-Terrorisme pendant les cinq jours d'enquête qui ont suivi les attentats du vendredi 13 novembre 2015 touchant Paris et sa périphérie, revendiqués par l'organisation terroriste État islamique (Daech). Ce film, et il n’est pas le seul, participe d’une tendance actuelle du cinéma français, avec plus ou moins de réussite d’ailleurs, à vouloir s’emparer de l’actualité française récente (alors que dans le passé il avait fallu par exemple attendre des années pour voir évoquer au cinéma, à quelques exceptions près (cf. Les Parapluies de Cherbourg, 1964), la guerre d’Algérie). Ici l’on focalise, via la réalisation de films au traitement réaliste, entre fictions et mémoires, tout en cherchant à coller à la brutalité du réel (Novembre en est un bien sûr, sans oublier de mentionner à ses côtés, davantage axés sur la reconstruction psychique après le drame, Revoir Paris d’Alice Winocour et Vous n’aurez pas ma haine de Kilian Riedhof d’après le livre éponyme du journaliste Antoine Leiris), sur ces terribles attentats terroristes sanglants au Bataclan pendant un concert et ailleurs (les terrasses de cafés à Paris), et leurs conséquences directes, qui ont douloureusement endeuillé en 2015 notre territoire national. Alors, ce film signé par le réalisateur du déjà remarqué BAC Nord (2020), qui s’était librement inspiré du scandale de 2012 au sein de la brigade anti-criminalité (BAC) de Marseille, avec dix-huit de ses membres poursuivis pour trafic de stupéfiants et racket, a certes bien des défauts. On peut lui reprocher son traitement à l’américaine (du cinéma « gros calibre » et bien noir, aux scènes « d’action » efficaces façon Kathryn Bigelow, tendance Olivier Marchal aussi), son côté « Canada Dry » également, à savoir que l’on fait comme si : ça fait (trop ?) cinéma. Et trop belles également, toutes les actrices des deux camps, s'y trouvant ? Peut-être. Autrement dit, devant, on joue le jeu, afin d’y croire, même si l'on sait bien que l'on est en train de regarder des vedettes (Jean Dujardin, Sandrine Kiberlain, Jérémie Rénier, Anaïs Demoustier, Lyna Khoudri) « rejouer » - ils sont tous très bons d’ailleurs, même si Dujardin ne semble pas vraiment concerné, comme ailleurs, en même temps son personnage de flic rejette toutes les émotions personnelles, ceci expliquant peut-être cela - le 13 Novembre et la traque qui s'en est suivie, de Paris à Saint-Denis via Bruxelles et le Maroc. Bref, malgré son réalisme obstiné et son sens louable du détail (cf. les fameuses baskets orange aux pieds de l’un des terroristes en cavale), il n’est pas impossible qu’un documentaire télé solide, avec précisions minute par minute (cela a été fait sur M6, je crois), soit plus parlant et plus édifiant, selon moi, via la force brute imparable du réel.
Pour autant, ce film bancal, aux frottements tout de même intéressants entre réalité et fiction, comporte quelques moments forts, y compris au niveau de ses ellipses. Le massacre au Bataclan est maintenu hors-champ, il y est en creux - cette pudeur est la bienvenue car comment filmer et montrer l’irregardable ? Et ce que le film montre bien, en parallèle de son climax (l’assaut final assourdissant), c'est le chaos cette nuit-là à Paris, et l'ambiance toute particulière, de mort, de silence, d'effroi, de tristesse, de colère ainsi que de sidération (l’effet montagnes russes des affects), qui régnait alors dans les rues de la capitale pendant les quelques jours avant l'assaut du Raid à Saint-Denis, le 18 novembre 2015, qui a mis hors d'état de nuire les deux terroristes survivants en fuite, aidés d’une complice. Sa sobriété filmique (un côté Michael Mann, par moments, froideur métallique et stases de flottement) élève Novembre. Néanmoins, il lui manque quelque chose (un véritable point de vue ?) pour le rendre définitivement incontournable.
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