« Mesrine, l’instinct de mort », ou l’instinct de cinéma
Hénaurme film que ce Mesrine, l’instinct de mort, signé par Jean-François Richet. Mine de rien, ce cinéaste (Etat des lieux, Ma 6-T va cracker, Assaut sur le central 13) réussit là où beaucoup d’autres frenchies échouent piteusement : faire un film noir qui a du souffle et qui lorgne du côté des grands Américains (Siegel, Penn, Peckinpah, Cimino, De Palma) sans tomber dans le travail de copiste, voire de bon élève appliqué, ou dans l’exercice de style plutôt vain, façon le Kassovitz d’après
A dire vrai, on n’est pas ici dans un sous-Besson, on est, et c’est ça qui est très précieux selon moi, dans l’instinct de cinéma, en aucun cas dans la naphtaline ou dans la boutique d’antiquaire surannée. En France, à part Richet, je ne vois qu’Alexandre Aja (La Colline a des yeux, Mirrors), et un Gans peut-être, pour parvenir actuellement à être dans un cinéma de genre qui tienne bien la route par rapport aux grands frères états-uniens formés à une école de cinéma hollywoodienne ô combien efficace, combinant fond et forme avec une maestria évidente. La question est : que faire avec sa culture ciné américaine ? Dupliquer à l’identique, au risque de faire forcément moins bien (on préfère en général l’original à la copie Canada Dry), ou bien recycler en faisant feu de tout bois tout en n’oubliant pas d’où l’on vient ? Richet, qui a grandi dans un HLM de la banlieue parisienne (Meaux) et qui a certainement dû voir à la téloche giscardienne les polars désenchantés de Jean-Pierre Melville, va dans cette direction-là et il a bien raison. De l’homme au Stetson, il retient les teintes froides, gris-bleu métallique, à vous glacer le sang, et les blocs humains d’opacité pure – par exemple, Gérard Depardieu, alias Guido, est impressionnant en gros parrain du Milieu, proche de l’OAS, naviguant en eaux troubles –, et des Américains, je dirais que Richet retient leur sens des grands espaces, leur puissance d’accélération fascinante et les chemins de traverse du Nouvel Hollywood : le goût pour les marginaux, pour les frontières floues du bien et du mal, pour une méfiance à l’égard de toutes les formes d’autorité et pour le rapport frontal au sexe et à la violence.
Ici, il nous embarque dans une course en avant rocambolesque, et c’est peu dire que les 1 h 53 de son film passent à une vitesse vertigineuse, via splitscreen depalmesques tendus et montagnes russes sur fond de guerre d’Algérie traumatisante, d’enlèvements, de cavales et de courses-poursuites jusqu’au Texas et au Canada ! Tout marche là-dedans, voire roule à fond la caisse, et ça fait plaisir à voir, aussi bien les moments de romance au charme exotique (le slow dans une station balnéaire espagnole avec la sensuelle Maria de
Ce Scarface à la française, enfant des fifties et des sixties, est lui aussi à la recherche du quart d’heure, et plus, de célébrité warholienne : « Si tu vis dans l’ombre, tu n’approcheras jamais le soleil » (Mesrine, in L’Instinct de mort, 1977). Il est multi-facettes avec toutes ses fausses barbes et postiches, à l’aise aussi bien en « homme aux mille visages » qu’en « Robin des Bois français » défiant avec panache la mort à ses trousses. Jusqu’au-boutiste, gonflé à bloc, armé jusqu’aux dents (stock impressionnant d’armes à feu, flingues surpuissants, grenades), il n’a peur de rien ni de personne ; le credo d’un de ses confrères – le « sans arme, ni haine ni violence » de Spaggiari –, on peut dire que ce n’est pas vraiment son truc. Il part de pas grand-chose (notamment d’un « père collabo », qui a accepté de faire le STO, service de travail obligatoire en Allemagne) pour s’inventer une vie en Cinémascope. L’ennemi public n° 1 se voit bientôt en personnage de ciné grand public et ça prend : Jacques Mesrine (1936-1979) ou l’histoire d’un mec qui fait de sa vie un film, entre Audiard et Scorsese mâtinés de Verneuil, et cette mise en abyme de son propre personnage, entre réalité et fiction, est certainement ce qu’il y a de plus troublant dans le bonhomme. Surarmé, surpuissant, surmédiatisé, Richet montre bien l’aspect bigger than life terriblement séduisant de ce criminel ultra-célèbre des années 70, qui se sait en sursis et en survie, avec pour Terminus à venir, entre balles perdues et angles morts,
On comprend mieux alors, face à la fascination d’un Mesrine pour les médias, le projet d’un Godard qui, parce qu’il savait Bebel intéressé par la mise en route d’un film sur l’illustre gangster français, avait pour ambition de faire un film dans le film, dans lequel Jean-Paul Belmondo aurait joué un acteur qui veut jouer Mesrine, et Jean-Luc Godard comptait le filmer en train de lire l’autobiographie de Mesrine face caméra. Mais Bebel n’a pas donné suite à l’idée fulgurante de JLG, ce qui fit dire malicieusement à celui-ci : « Belmondo a plus peur de moi que de Mesrine » !
On hallucine également lorsque, pour libérer ses compagnons de cellule, Mesrine déboule carrément en 4x4 avec son complice québécois Roy Dupuis dans un pénitencier Haute Sécurité, et qu’il se met à mitrailler à tout-va. Séquence menée tambour battant, on est alors plongé cash dans du « cinéma gros calibre » que l’on sait tiré d’une histoire vraie. La force de Richet, c’est, malgré une reconstitution minutieuse de
De cet homme paradoxal qu’était Mesrine, le biopic sous forme de diptyque polaroïd de Richet, entre regard au microscope et filmage à hauteur d’homme, en prolonge très habilement l’énigme, un peu à la façon d’une toile pop de Roy Lichtenstein qui, à force de grossir au plus près la trame d’une image dérivée d’image, tire celle-ci du côté des mystères de l’abstraction. On attend la suite – L’Ennemi public n° 1, en salles le 19 novembre – avec impatience.
Documents joints à cet article
12 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON