Michael Jackson au cinéma : this is it !
Ça y est ! Vu, avec un mélange de pur plaisir et d’émotion, le This is it de Kenny Ortega (USA, 1h50), film musical documentaire retraçant les préparatifs de la dernière tournée que l’artiste pop, hélas décédé le 25 juin dernier, devait offrir l’été 2009 à ses fans à l’Arena de Londres. Dans la salle UGC-Ciné-Cité-les-Halles où j’étais, agréablement métissée, l’émotion, dans les rangs, était ô combien palpable : imitations de cris suraigus du King of Pop par un aficionado juste avant l’entame du film, avec rires en cascade qui s’ensuivent, spectateurs qui battent la cadence sur des séquences électrisantes (dont le célébrissime Thriller), applaudissements du public suite au jeu de jambes trépidant de Bambi, jeune spectatrice à mes côtés en pleurs durant toute la projo (Kleenex a-t-il pensé à se faire partenaire du film ?), imitation dans la salle obscure du fameux moonwalk par un spectateur debout à la recherche de son quart d’heure de gloire et on en passe. On le sait, Jackson a toujours embrassé un public très large, et ces expressions populaires, à ne pas confondre avec populistes, sont le signe touchant que, plus de quatre mois après sa mort, la star est toujours, plus que jamais, un catalyseur bigger than life suscitant une multitude de réactions en chaîne, des plus pointues aux plus innocentes, voire maladroites, et c’est très bien ainsi.
Ce film, d’emblée, se veut programmatique : « Pour les fans… », est-il écrit sur l’écran. Ah, ça tombe bien car, parmi beaucoup d’autres (au vu de la salle bourrée à craquer), je suis un fan, un admirateur de la première heure - dois-je l’avouer ? Je suis de la génération Off The Wall et Thriller. Aussi, chers lecteurs, un simple avertissement : si vous n’aimez pas Jackson, n’allez pas voir ce film (car Michael y est vraiment pas mal du tout et vous risqueriez d’être déçus, ce This is it n’offrant guère de munitions pour l’enterrer une deuxième fois !) et, autre petit conseil au passage, ne vous sentez point obligés de lire cet article ! Eh oui, loin de moi l’idée d’entrer ici dans une soupe de tabloïds s’excitant, la plupart du temps en vain, à fouiller ad nauseam les poubelles de la pop star la plus mythique de la seconde moitié du XXe siècle. Je préfère laisser ça aux vautours et aux pisse-froid. Pour les autres, pour les fans, ou tout simplement pour ceux qui sont intrigués par le mythe Jackson, ce This is it, formidablement rythmé, est pour vous. Le directeur artistique de MJ, Kenny Ortega, que l’on voit d’ailleurs très souvent à l’écran (ce qui tombe bien car il semble fort sympathique), a été clair au moment de la sortie de ce film-testament : « Ce film est un cadeau aux fans de Michael. Lorsque nous avons commencé à assembler les différents éléments de tournage pour le film, nous avons réalisé que nous avions enregistré quelque chose d’extraordinaire, unique et vraiment spécial. C’est un regard véritablement privé et exclusif sur le monde d’un génie créatif. » C’est vrai, et c’est en ce sens que This is it est un document très précieux, on y voit un grand artiste au travail. Développé en une quinzaine de séquences, retraçant le parcours artistique de MJ, de ses débuts avec The Jacksons jusqu’au final écologique sur fond de « messianisme jacksonien » (Earth Song) via ses tubes légendaires (Billie Jean, Thriller, Beat It, Smooth Criminal…), le ruban filmique qu’est This is it s’enroule habilement dans une mosaïque d’images quasiment toutes inédites.
On y voit avec plaisir, et frustration (ces concerts londoniens sont partis en fumée), des tableaux scéniques, à la gloire de Michael et des mythologies américaines (Hollywood, Broadway, Motown Sound, Chicago et ses mitraillettes-camemberts, New York et son melting-pot) ; parfaits écrins pour servir, dixit Ortega à propos du Roi, « un temple du rock’n roll ». On peut dire que ce doc musical est au projet de concert 2009 de Jackson ce qu’est le making of de Thriller pour le clip éponyme : on entre dans la matrice et le sanctuaire Jackson ; à travers ces préparatifs filmés en coulisses (plus de 80 heures d’images enregistrées), il s’agit d’entrer dans la fabrique des sons & images de Jackson, et c’est un régal. De cet artiste exigeant, ô combien perfectionniste, on ne connaît que trop bien sa mécanique plaquée sur du vivant, imparable, qui a alimenté une machine de guerre tubesque redoutable durant trois décennies (70’s, 80’s et 90’s), par contre on connaît beaucoup moins un Jackson « en creux », sur la réserve, travaillant dur, hésitant, cherchant de nouvelles choses, revenant sur ses pas, bref en pleines répétitions – d’ailleurs, on l’entend dire souvent, histoire de justifier sa volonté de créer un spectacle de haute volée, « D’où les répètes, d’où les répètes ». Pour ses chorégraphies à venir, il tente des coups, il lâche ses mouvements, ça marche ou ça patine, passant d’une danse mécanique militaire sur un son new jack percutant (Jam, They Don’t Care About Us) à une grâce féline toute féminine ; Michael avait fini, après son cross over musical et physique lui ayant permis de fusionner Blanc & Noir, par mixer, dans un même corps hybride, masculin et féminin, créant ainsi une sorte de corps asexué au service de son image kitsch de divinité païenne estampillée, pour le meilleur et parfois pour le pire, United Colors of Jackson. Toujours dans cette idée de montrer le work in progress du concert, pour « le confort de son oreille », on entend la star demander aux musiciens de placer des sons moins cassants afin de ne pas écraser les voix, et pour « saint Michael », les techniciens s’exécutent fissa ! (en ce sens, ce film ne manque pas d’humour, car il ne cache pas, qu’aux yeux de son équipe, Michael est une icône, ils prennent tous des pincettes pour lui parler, il s’agit de le servir sur un plateau) ; pour l’intro lancinante de The Way You Make Me Feel, Jackson demande à son clavier de laisser traîner la note comme s’il s’agissait du mouvement cotonneux d’un homme, au petit matin, sortant du lit – jolie métaphore ; devant des écrans vidéo montrant une nouvelle vidéo de Thriller en 3D, Michael mâchouille un chewing-gum, tranquille, saluant tel cadrage ou telle lumière (rappelons qu’il s’apprêtait à devenir réalisateur après son ultime show). Pour les fans, et pour les créateurs de toutes sortes, qu’ils soient en herbe ou confirmés, c’est passionnant à suivre. D’ailleurs, avec ses costumes de scène par moments invraisemblables (Christian Audigier Superstar !) et sa volonté de ne pas trop en faire pour se réserver pour le jour J, M n’y est pas toujours à son avantage. Certes, on le sent en forme, que ce soit au niveau vocal (on lui retrouve sa superbe voix solaire sur I’ll Be There) ou physique (il bouge toujours bien même si on ne le voit pas exécuter le moonwalk sur Billie Jean, dommage), mais il s’agit tout de même, à travers cet envers du décor montré, de dévoiler un corps d’un homme de 50 ans fort maigre. De dos, il n’est pas rare de lui voir les omoplates fort saillantes et son visage déstructuré, suite aux maintes opérations chirurgicales, est souvent caché par des lunettes noires et par l’ombre d’un panama - par contre, c’est bien lui qu’on voit, ceux qui parlent de doublures me semblent à côté de la plaque ! Et je préfère le voir comme ça, dans sa vérité nue, loin de la superbe de l’époque Thriller où il était beau comme un Dieu, plutôt que de le voir retouché au Photoshop comme dans le livret de 36 pages du double album This is it.
Ce que je retiens de This is it (du 5 sur 5 pour moi pour sa charge émotive même si, formellement, je l’aurais souhaité plus warholien, plus démultiplicateur d’images à l’instar de l’affiche-patchwork du film), c’est l’émotion grand écran qu’il distille du début à la fin : c’est magnifique de voir l’admiration que toute son équipe, superbement soudée, portait à Michael Jackson. Certes, le champ de l’image m’a intéressé (un King of Pop beaucoup plus bête de scène que monstre de foire – mille mercis à Kenny Ortega) mais c’est davantage les contrechamps qui m’ont emballé et ému. C’est à travers ces plans-là qu’on ressent l’incroyable caisse de résonance qu’était Jackson et sa sidérante force d’attraction. Lorsque Michael danse sur Billie Jean, un contrechamp poignant, et drôle, sur ses jeunes danseurs Black or White les montre ravis de voir en chair et en os le Roi du Funk danser sur… Cène - chapeau bas, respect. Autre moment révélateur du mythe Jackson, lorsqu’une choriste chante avec lui sur I Just Can’t Stop Loving You, elle est tellement enthousiasmée de chanter en duo avec son idole qu’elle ne cesse de le regarder, jusqu’à en oublier le public, et alors là, gentiment, Jackson lui dit de finir sur « I just can’t stop loving you » en regardant, non plus la superstar qu’il est, mais les gens. C’est aux spectateurs que Jackson, artiste généreux, veut, avant tout faire passer ce message d’amour. Dont acte. J’ai un tout petit bémol tout de même concernant ce doc : ne pas voir MJ, alors que c’était annoncé, sortir de son chapeau, après le moonwalk de Billie Jean et l’anty-gravity lean de Smooth Criminal (lorsqu’il se penche à 45°), un nouveau pas de danse, mais peut-être réservait-il déjà cette troisième pure création pour les anges, là-haut. Enfin, c’est un très bon film car il est puissamment, et fidèlement, jacksonien : à savoir drôle (on voit MJ, parfois taquin, faire des blagues de gosse), électrique (avec Elvis, Michael est la plus grande bête de scène de tous les temps) et tragique (on le sait, il y a Jacko le dingo derrière Bambi). Effet montagnes russes garanti : entre joie et tristesse infinie. Constamment pris dans un double mouvement, à l’instar du titre This is it, qui veut tout aussi bien dire « On y est ! » que « C’est terminé », d’un côté on s’excite à l’idée de découvrir un méga-show qui annonçait le grand come back de la star, allant certainement renaître de ses cendres, et, de l’autre, lorsqu’on est fan, on sait hélas qu’on ne reverra jamais plus de nouvelles créations du génie à l’état pur qu’était Michael Jackson (1958-2009).
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