Mon Dieu, la nouvelle est tombée comme un couperet sur le Net, dans la nuit de jeudi à vendredi, Michael Jackson est mort jeudi 25 juin 2009, à Los Angeles, après un arrêt cardiaque : il a été transporté à l’hôpital de UCLA à 12h26 (21h26 à Paris) et n’a pas pu être réanimé. Né en 1958 à Gary (Indiana), Michael Jackson était un mythe moderne.
« Michael Jackson est mort », on a d’abord du mal à y croire, il traîne tellement derrière lui, depuis des années, des rumeurs de toutes sortes qu’on s’imagine, un temps, qu’il s’agit encore d’une intox des médias mainstream, avides de scoops à l’emporte-pièce, ou bien d’un canular provenant du King of Pop lui-même, puis non, il faut bel et bien se rendre à l’évidence, hélas, et trois fois hélas, « Michael Jackson est mort » à l’âge de 50 ans à Los Angeles, la Cité des Anges, des suites d’une crise cardiaque. Un ange passe. Alors que cet artiste controversé (cf. son procès retentissant pour pédophilie) tentait de relancer sa carrière en remontant sur scène cet été à Londres – il préparait son come back pour le 13 juillet au « O2 » -, il meurt soudainement, nous laissant tous en quelque sorte orphelins de sa musique géniale, et de ses pas de danse légendaires. D’après Le Figaro, cela pourrait être dû à un excès de médicaments. Selon Brian Oxman, avocat de la famille Jackson interrogé sur CNN, l’événement « n’est pas quelque chose d’inattendu (…) à cause des médicaments qu’il prenait. (…) Je ne connais pas l’étendue des médicaments qu’il prenait mais ce que j’ai entendu de la famille est que c’était très important. »
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours adoré Michael Jackson, tant le chanteur que le personnage Black & White et ses mille et une facettes, entre ange et démon, trimballant avec lui non seulement des tubes trépidants en pagaille (de I want You Back à You Rock My World via Bad) mais aussi ses délires de doux excentrique, tels que, pour les plus connus, son fameux caisson à oxygène, son achat des ossements de l’Homme Eléphant ou encore sa fascination pour Peter Pan. D’ailleurs, victime du syndrome éponyme, c’était écrit qu’il allait mourir assez jeune. Franchement, perso, je ne le voyais pas faire de vieux os et, peut-être que pour sa légende, c’est bien qu’il parte ainsi : en plein espoir de reconquête de son titre perdu (King of Pop), il laisse, avec sa mort subite, trois points de suspension derrière lui, derrière lesquels on pourra mettre un peu ce qu’on veut : le trop-plein de médicaments, la presse et la justice vachardes adeptes du Plus dure sera la chute, un suicide masqué, et que sais-je encore. Parfois beau comme un Dieu (le début des eighties avec Billie Jean et Beat It) et par moments, et surtout ces derniers temps hélas, effrayant, avec un visage-masque à la Scream si déstructuré qu’il était obligé de le cacher sous l’ombre dévorante d’un panama dans le clip avec Brando (un autre monstre sacré virant à l’ange déchu), You Rock My World (2001). Michael, alias « Bambi » ou encore « Jacko » pour ses détracteurs, et autres tabloïds anglais charognards, me rappelle et me rappellera toujours ma jeunesse… perdue ?, maintenant qu’il a définitivement disparu. En 1983, j’avais 10 ans, je me souviens encore de moi écoutant en boucle sur mon petit Radio K7 Billie Jean et essayant, en vain !, d’imiter dans le salon de mes parents le fameux moonwalk de Michael à la main gantée d’argent. Je crois que je regarde et que je regarderais toujours la méga-star Michael Jackson avec mes yeux émerveillés de gamin de 10 ans. Pour moi, il reste – tiens tiens, excusez-moi, je me surprends encore à en parler au présent -, il restera, plutôt, la plus grosse star vivante de notre époque : la Superstar par excellence. C’était un Las Vegas ou un Broadway à lui tout seul ! Si on me demandait, et si on me demande encore - quelle est la plus grande star de notre temps question mystère et aura ? Eh bien je répondrais sans hésitation : Jackson. Il est unique. Il a du génie en ce sens qu’il a amené un son nouveau (merci au Motown Sound de Quincy Jones et de James Brown, soit dit en passant !) et une danse nouvelle ; il avait même été adoubé par Fred Astaire, c’est dire la puissance de feu de Dieu du bonhomme On The Dance Floor. Pour moi, Michael Jackson, tel les plus grands artistes, c’était un « voleur de feu ». Prince, funky à souhait, est très fort mais Michael a, selon moi, un je-ne-sais-quoi dans le tempo en plus qui le rend encore plus puissant, plus magique, plus excitant. C’était pour moi le plus grand showman.
N’ayons pas peur des mots, j’étais fan de ce type. Il m’épatait. Il me donnait la chair de poule. A 10 ans. A 20 ans. A 36 ans. Ses pas de danse m’électrisaient, me fascinaient, me bouleversaient. Je me souviens, ado, l’avoir vu en concert au Parc des Princes à Paris en 1988, un certain lundi 27 juin à 20H, tenant à la main mon billet d’entrée N°005466. J’étais sur la grande pelouse avec un ami et je me rappelle que, dès 17h, les organisateurs avaient ouvert les portes, on s’était alors rués comme des malades devant le podium pour voir de près la bête de Cène sur scène ! Il était funk. Il était groovy. Il était barré. Infiniment généreux. C’était le meilleur. Le Presley ou le Beatles des années 80. Il était « sexe » quand il dansait, à l’instar d’un Elvis - ce qui n’est pas rien. Ce mec, sur scène, c’était du mojo à l’état pur, une mécanique plaquée sur du vivant. Quelque chose d’extra-terrestre. D’ailleurs, selon moi, ce n’est pas pour rien que, dans ses chorégraphies virtuoses, sur fond de cris suraigus, il se touchait ad libitum l’entre-jambe, c’était certainement pour se rappeler qu’il était, avant d’être un Dieu, humain trop humain - et certainement… hélas pour lui au vu de sa sexualité ! Oui, comment ne pas le trouver génial quand, pour les 25 ans de la Tamla Motown (yesterday, today and forever), il balance en 83 à la face du monde United Colors of Benetton son extra-ordinaire moonwalk, laissant tous ses rivaux des 80’s mille coudées en dessous de lui ? Ce coup-ci, la machine de guerre jacksonienne est en marche et elle ne s’arrêtera pas de si tôt. Et que dire de sa performance en 1995 pour les MTV Music Awards ? Il arrive avec ses danseurs Blacks gantés de rouge mais c’est lui qu’on regarde avant tout sur (s)Cène. C’est lui qui semble, comme toutes les stars, avoir une lumière qui irradie de l’intérieur et qui relève d’un don vraiment hors norme - ce qu’on appelle, je crois, la grâce, tout simplement.
Ne l’oublions pas, à l’heure où des Usher et autres Justin Timberlake le pillent à tire-larigot, des Thriller-Billie Jean-Beat It, trinité funk parfaite, c’était des bombes tonitruantes et hyper putassières dans les années 80, et le tout s’accompagnait d’un travail créatif de l’image puissance 1000 qui participait à l’aspect démiurgique du personnage bigger than life : une icône vivante, voilà ce qu’était Michael, et un génie musical. Il y a quelque chose d’hénaurme aussi dans sa trajectoire façon chute d’Icare devant l’Eternel. Etre allé si haut ne pouvait qu’entraîner un Plus dure sera la chute : les affaires de mœurs, les accusations de pédophilie, les faillites financières, voire artistiques, le look de zombie caché à Bahreïn. En fait, j’aimais Michael Jackson dans tous ses excès et son génie de la métamorphose : sa voix à la fois sensuelle et plaintive (un côté chat écorché), ses pas de danse félins, sa volonté d’être plus blanc que blanc, son amitié avec Liz Taylor, ses multiples opérations chirurgicales, ses enfants zarbis, sa folie des grandeurs, son aspect Peter Pan, sa face double (Bambi/Jacko), son look Pop & bling bling à la fois, son Neverland courant désespérément après l’enfance qu’il n’a jamais eue, son côté Willy Wonka, son ambiguïté sexuelle, son côté Bad, son aspect Dangerous, sa venue au procès en pyjama rayé de bagnard renoi, ses chansons guimauve, ses cheveux de Belle Andalouse, son nez qui tombe à pic et j’en passe – oui, tout ça participe à la grandeur et à la décadence du personnage, alimentant aussi bien les charts de ses hits que la chronique des faits divers, souvent pour le meilleur et parfois pour le pire. Souvenez-vous, dans Persepolis, il est tout de même « le symbole de la décadence occidentale », diantre !
Bien sûr, son visage détruit me faisait mal au cœur, c’était triste à voir, pathétique même. Avoir été aussi beau pour finir si laid mais, après tout, c’est peut-être ça la rançon de la gloire : être une star-monstre mondiale finit par vous transformer en freak. Ainsi, au-delà de sa musique et de toutes ses inventions géniales (il a inventé à la fois le clip vidéo et le making of avec Thriller), Michael Jackson a aussi été la caisse de résonance de notre époque, avide du Tout-à-l’image - « Je suis visible, je suis image » écrivait Baudrillard pour parler de la société actuelle ayant un refus obsessionnel de la perte. Il s’agit, via la chirurgie esthétique, d’avoir un visage éternellement jeune, et Jackson, jusque dans sa mort prématurée, « se veut » éternellement jeune, tel un personnage de cire. Il était une construction artificielle assumée, entre Bambi et Frankenstein, un self-made-man au sens littéral du terme. Comme l’écrivent pertinemment P. Blouin & J-M. Colard dans Les Inrocks n°479 (fév. 2005), « On ne naît pas Michael Jackson, on le devient. » C’est une figure héroïque parce qu’il incarne, via ses multiples incarnations, notre temps chaotique, jusque dans ses échecs cuisants et sa frustration toute houellebecquienne. Cet enfant Dieu bulle ad libitum dans un temps suspendu, au royaume cotonneux de Neverland. C’est un jet-lag permanent. Il a grandi trop vite, c’est un corps d’adulte dans un état d’esprit enfantin, rêvant non stop de chantilly flottante, de Peter Pan, de Fred Astaire, de miroirs rococo, de verres de lait à Demy pleins et de Mickeys kitschissimes. Michael, quelque chose finissait toujours par clocher dans ses images. Jackson était, à l’ère du corps formaté et du visage botoxé, une copie d’un Eldorado rêvé, un double, un masque-media, une « Vache qui rit ». C’est pour cela que des artistes contemporains (McCarthy, Koons, Marclay, Horowitz, Belin et consorts), travaillant la surface de l’image médiatique, façon le dandy Warhol, ne cessent de se référer à ce corps-icône, à ce corps-blason, mannequin figé de vitrine bling bling qu’est le Jacko des charts et des tabloïds britanniques : pensons aux sosies désincarnés de Valérie Belin, portraits d’illusions qui sont comme autant de surfaces réfléchissantes de la star-system et de sa fabrique d’images-leurres ; on peut aussi évoquer la céramique barok’n’roll de Jackson & Bubbles, exposée l’an dernier au château de Versailles et signée par le néopop Jeff Koons. Hop hop pop, la boucle est bouclée ! : mettre le Roi de la Pop chez le Roi Soleil, c’est mettre un miroir en face d’un autre miroir, mise en abyme propice à la question suivante : « Quand un miroir se regarde dans la glace, qu’est-ce qu’il y a à voir ? » (Warhol). En faisant de son corps de star fabriqué un work in progress ouvert aux mutations biologiques dernier cri, Michael Jackson s’inscrit de plain-pied dans l’art contemporain : n’en déplaise à certains, c’est lui le plasticien hors pair, le King of Pop… Art, cultivant à l’extrême un art des surfaces et des miroirs, pour le meilleur et pour le pire.
Au fond, quelque part, je reste le gamin de 10 ans émerveillé par cette superstar chantant The Way You Make Me Feel. Ouais, Michael, You Rock My World, ton énergie nous boostait au centuple. Bon, je préfère en rester là. J’ai toujours du mal à écrire sur Michael Jackson, l’idole de mon enfance, il m’émeut trop, et ce d’autant plus qu’il est mort. « Michael Jackson est mort », quel cauchemar, je pleure. Dehors, c’est l’orage, le tonnerre gronde, la pluie tombe, et je me dis que le ciel pleure lui aussi. Et que le monde entier pleure la mort de Michael Jackson, all over the world. Je sens que je vais passer une sale nuit blanche. Cher Michael, on te passe le coucou d’ici-bas. Et, là-haut, salue les étoiles de notre part car, à coup sûr, tu en étais une, alors je me console en me disant que tu as préféré les rejoindre afin de faire ton ultime show là-haut, parmi le Sacré.
Ciao l’artiste, on t’adorait.