Michel Lancelot : une voix dans la nuit
Que de souvenirs, avec Campus, Michel Lancelot a écrit une des plus belles pages de l’histoire de la radio. Ce fût l’émission phare d’Europe 1 et l’on peut regretter amèrement l’incroyable médiocrité de cette station des années après. Il est difficile de croire qu’elle fût pourtant porteuse de cette voix incroyable, dans la nuit, celle de Michel Lancelot.

Né le 17 janvier 1938 à Linz d’un père irlandais et d’une mère autrichienne, il est mort bien trop tôt le 24 février 1984 à Paris d’une crise cardiaque. 46 années éclair, denses et vives comme son esprit. J’entends encore sa voix, j’avais 16 ans, la pleine adolescence, Campus était comme un refuge pour moi, source d’inspiration et d’ouverture. J’ai appris, entre autres, avec lui à penser.
Il a fait des études de psychologie et d’histoire - géographie pour se lancer dans le journalisme ; Combat puis l’Aurore, belles références pour un débutant, il devient reporter à l’ORTF pour l’émission 5 Colonnes à la Une, encore une grande école de la vie.
Ce sera Lucien Morisse, directeur artistique, qui le découvre et lui confie en 1968 l’antenne d’Europe 1 le soir avec une émission qu’il crée et anime Campus. Celle-ci durera quatre années du 4 avril 1968 au 8 septembre 1972. Il fera des débuts tonitruants avec les événements de mai et juin 1968, qu’une certaine classe politique ne lui pardonnera jamais.
Pour moi, c’est la voix qui apportait dans mon petit univers d’adolescent esseulé de l’espoir et une ouverture au monde. Son audience était énorme, elle ferait rêver les responsables d’Europe 1 aujourd’hui, en moyenne ce sont un million deux cents milles auditeurs chaque jour .avec des pointes spectaculaires à sept millions pour les fameux Spéciaux . Il fera passer la station devant radio Luxembourg et France Inter.
Campus c’était la couverture de tous les événements étudiants (particulièrement riche en mai 68) mais aussi l’actualité internationale : le Printemps de Prague en direct. Documents sonores chocs, petites interviews, et surtout cette musique d’Outre Manche qui commençait à déferler en France. Mais sil aborde aussi tout ce qui est tabou : la sexualité, la peine de mort, le suicide, l’homosexualité.
À partir du mois de septembre 1968 Michel Lancelot entreprend ses émissions spéciales : les Beatles, Léo Ferré, Jacques Brel, Serge Gainsbourg, les Rolling Stones, etc. Ses liens avec les artistes sont très forts, Léo Ferré lui consacrera une chanson : Michel.
Après son expérience d’Europe 1, il enchaine avec difficulté d’autres expériences : comme acteur il joue le rôle d’un professeur dans le film d’Anna Karina Vivre ensemble. On le voit aussi dans le DVD consacré à Serge Gainsbourg : De Serge Gainsbourg à Gainsbarre de 1968 à 1991, comme intervieweur.
Il écrira de nombreux livres, dont : Campus, Violence ou non-violence, chez Albin Michel en 1971, le jeune lion dort avec ses dents : génies et faussaires de la contre- culture, Albin Michel, Paris, 1974 et Julien des fauves : roman, Albin Michel, Paris, 1979
Il restera dans la mémoire collective le symbole de la contre culture pour toute cette génération, dont je fais partie. Il laissera aussi derrière lui un mystère, personnage complexe qui de la contre culture, n’hésitera pas à collaborer avec le journal d’extrême droite Minute d’octobre 1966 à mai 1968, comme rédacteur en chef adjoint, en charge de la rubrique spectacle. Celui là même qui demanda en mai 68 l’expulsion de l’Allemand juif Daniel Cohn-Bendit.
Mais s’il fut celui qui porta la parole du Che, il s’adonna aussi au mysticisme le plus obscur, celui de Gurdjieff et Lanza del Vasto s’interrogeant sur le racisme et le s origines…
Curieux, investissant la société, audacieux prêt à tous le sujets, sans tabou… il manque à la presse.
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