Michel Legrand, le grand seigneur musicien du cinéma (pas que français)
« J’ai frôlé la mort, je suis resté à l’hôpital pendant un mois. En la frôlant, c’est comme si on avait fait une répétition, je suis un peu mort, j’ai vu le purgatoire. » (Michel Legrand, le 19 septembre 2018).
Pour lui, "retraite" était un mot qui n’était pas inclus dans son dictionnaire personnel. Il avait prévu de faire deux concerts au Grand Rex à Paris, les mercredi 17 et jeudi 18 avril 2019, avec Natalie Dessay, Michel Portal, Richard Galliano et Sylvain Luc, avec un hommage rendu à Claude Nougaro, et était envisagée aussi sa participation à des émissions l’été prochain pour une grande radio francophone. En fait, il avait prévu de faire neuf concerts en 2019 (le 21 février 2019 à Saint-Cloud, le 8 juin 2019 à Ottawa, le 9 juin 2019 à Montréal, le 12 juin 2019 à Québec, le 25 juin 2019 à Prague, le 26 juillet 2019 à Cahors, le 6 octobre 2019 à Bruxelles), un peu comme son collègue Ennio Morricone qui multiple actuellement les concerts dans le monde.
Il était donc loin d’être à la retraite : « Si je n’écris pas, si je ne joue pas, ma vie n’a plus de sens. La musique est en moi, elle m’accapare comme elle l’a toujours fait. Un musicien qui ne musique pas, c’est personne. Celui qui a inventé la retraite est un criminel. » (18 septembre 2018).
Effectivement, rien que pour l’année 2017, il a fait seize concerts pour fêter son 85e anniversaire (tant en France qu’en Russie, dans les Pays baltes, en Suisse, etc.), et pour l’année 2018, vingt-cinq concerts (notamment au Japon, en Grèce, en Espagne, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, etc.).
Par ailleurs, le 10 mars 2017, est sorti, sous le label Sony Classical en partenariat avec France Musique, un CD : "Michel Legrand : concerto pour piano et concerto pour violoncelle", avec Michel Legrand au piano, Henri Demarquette au violoncelle ainsi que l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par son directeur musical Mikko Franck : « Voici qu’aujourd’hui, ce qui sort de moi avec naturel, c’est enfin de la musique symphonique. », a-t-il dit, avec son grand sourire, le 26 février 2017 au journal de 20 heures sur France 2.
Ce qu’il y avait de fascinant avec Michel Legrand, qui s’est éteint dans la nuit, ce samedi 26 janvier 2019 à quelques jours de ses 87 ans (il est né le 24 février 1932 à Paris), c’était que pour lui, la musique était plurielle, forcément plurielle. Il n’y a pas d’une part, la musique dite classique (quelle est d’ailleurs sa définition ?), et d’autre part, la musique de films, le jazz, la chanson de variétés. Il faisait tout. C’est ce qu’il expliquait : « Depuis que je suis tout petit, mon ambition est de vivre complètement entouré de musique. Mon rêve est de ne rien manquer. C’est pourquoi je n’ai jamais opté pour une discipline musicale. J’aime jouer, diriger, chanter et écrire, et dans tous les styles. Je me tourne donc vers tout, pas seulement un peu de tout. Plutôt l’inverse. Je fais toutes ces activités à la fois sérieusement, sincèrement et avec un engagement profond. » (Son site Internet).
Le titre de son autobiographie (coécrite avec Stéphane Lerouge) donnait une idée du personnage fort sympathique qui vient de disparaître : "Rien n’est grave dans les aigus" (éd. Le Cherche Midi, 2013). Complétée par : "J’ai le regret de vous dire oui".
Même s’il est l’un des grands représentants du génie artistique français, Michel Legrand fut plus récompensé aux États-Unis qu’en France, bien que le Président François Hollande l’ait fait commandeur de la Légion d’honneur le 31 décembre 2015. Connu et reconnu avant tout pour avoir composé la musique de près de deux cents films, et pas des moindres, il a reçu trois Oscars en 1969, 1972 et 1984 (et treize fois nommé) mais aucun César (bien que trois fois nommé). Certes, la Cinémathèque française lui a rendu un grand hommage en 2009, pour les cinquante ans de sa carrière, et surtout, il a reçu deux Palmes d’Or au Festival de Cannes en 1964 et 1971.
Michel Legrand fut l’élève de Nadia Boulanger, ce qui l’a beaucoup marqué car avec une si solide formation, il pouvait tout faire. Dans l’émission "Les Grands Entretiens" enregistrée le 9 février 2017 au micro du producteur de l’émission Jean-Baptiste Urbain et diffusée sur France Musique le 5 avril 2017, Michel Legrand confia cette anecdote : « Un jour où j’étais dans la classe de Nadia Boulanger, je rencontre Igor Stravinski dont elle était amie intime et dont nous déchiffrions régulièrement les partitions manuscrites à trois pianos. Alors que je le questionnais sur l’analyse de ses œuvres, il me dit : "J’ai une confidence à te faire, mon petit : quand on est un vrai créateur, on ne sait pas très bien ce qu’on fait". À ses mots, je me suis libéré et je me suis enfin dit : la musique va venir à moi dans le silence. ».
Issu d’une famille de musiciens, Michel Legrand fut musicien dans tous les sens du terme : compositeur, chef d’orchestre, pianiste, chanteur, joueur de jazz, accompagnateur, arrangeur. Il a commencé au début des années 1950 dans la chanson de variété, comme accompagnateur et arrangeur aux côtés de Zizi Jeanmaire, Ella Fitzgerald, Aretha Franklin, Barbra Streisand, Nana Mouskouri, Henri Salvador, Maurice Chevalier, Charles Aznavour, Claude Nougaro, Frank Sinatra, Raymond Devos, etc. Il a eu aussi une carrière américaine de jazzman, à la fin des années 1950, notamment aux côtés de Miles Davis, John Coltrane, Quincy Jones, Ray Charles, Paul Chambers, Bill Evans, Gerry Mulligan, Stan Getz, Guy Pedersen, etc.
Au début des années 1960, Michel Legrand s’est quasi-exclusivement consacré à la musique de films : « J’ai fait du cinéma car je n’étais pas reconnu par le milieu musical. » ("Les Grands Entretiens", 2017). Il a véritablement laissé son talent se développer en innovant dans la comédie musicale à la française.
Parmi les nombreux films auxquels Michel Legrand a participé, on peut citer "La Baie des Anges" de Jacques Demy (sorti le 1er mars 1963), "Les Parapluies de Cherbourg" de Jacques Demy (sorti le 19 février 1964), "Les Demoiselles de Rochefort" de Jacques Demy (sorti le 8 mars 1967) avec Vladimir Cosma, "L’Affaire Thomas Crown" de Norman Jewison (sorti le 19 juin 1968), "La Piscine" de Jacques Deray (sorti le 31 janvier 1969), "Peau d’âne" de Jacques Demy (sorti le 16 décembre 1970), "Les Mariés de l’an II" de Jean-Paul Rappeneau (sorti le 7 avril 1971), "Un été 1942" de Robert Mulligan (sorti le 9 avril 1971), "Atlantic City" de Louis Malle (sorti le 3 septembre 1980), "Les Uns et les Autres" de Claude Lelouch (sorti le 27 mai 1981) avec Francis Lai, "Yentl" de Barbra Streisand (sorti le 16 novembre 1983), "Paroles et Musique" d’Élie Chouraqui (sorti le 19 décembre 1984), "Palace" d’Édouard Molinaro (sorti le 23 janvier 1985), "Les Misérables" de Claude Lelouch (sorti le 22 mars 1995) avec notamment Francis Lai et Didier Barbelivien, "La Bûche" de Danièle Thompson (sorti le 24 novembre 1999), etc. Le dernier film auquel il a collaboré est "Les Gardiennes" de Xavier Beauvois (sorti le 6 décembre 2017). Il a aussi travaillé pour des téléfilms et même un opéra.
Michel Legrand s’est aussi produit, dans des disques (il en a enregistré plus de cent !), concerts, spectacles ou participations à des émissions de télévision avec notamment Maurice André, Nicolas Folmer, Iggy Pop, Laurent Gerra, Carla Bruni, Olivia Ruiz, Hélène Segara, Lambert Wilson, Thomas Dutronc, Muriel Robin, Yves Saint Laurent, Francis Lai, Sarah Vaughan, Maurane (qui est partie quelques mois avant lui, le 7 mai 2018) et Natalie Dessay qui a repris la comédie musicale "Les Parapluies de Cherbourg" en septembre 2014 au Théâtre du Châtelet (avec des décors de Sempé).
En octobre 2013, Michel Legrand et Natalie Dessay ont enregistré dix-huit chansons pour le CD "Elle et Lui" (qu’ils ont interprétées notamment à l’Olympia à Paris les 27 et 28 octobre 2013, et à l’Opéra de Nancy le 3 novembre 2013). De plus, à partir du 14 novembre 2018, est représentée l’adaptation scénique de "Peau d’Âne" au Théâtre Marigny à Paris, notamment avec Claire Chazal (tous les jours sauf le lundi, et cela jusqu’au 19 février 2019).
Pour rendre hommage à ce musicien exceptionnel, voici quelques-unes de ses créations les plus fameuses.
1. "Les Moulins de mon cœur" (film "L’Affaire Thomas Crown").
2. "Les Parapluies de Cherbourg".
3. "Je ne pourrai pas vivre sans toi" (avec Maurane).
4. "Un été 42".
5. "Papa Can You Hear Me ?" (film "Yentl" avec Barbra Streisand).
6. Un Parfum de fin du monde" : « On s’endormira puisque tout sera le grand sommeil. » (film "Les Uns et les Autres").
7. "Entre Elle et Lui" (avec Natalie Dessay).
Indiquons enfin que ce lundi 28 janvier 2019 dans la soirée, la chaîne Arte rediffuse le documentaire consacré à Michel Legrand qu’elle avait diffusé le soir de Noël, le 25 décembre 2018, "Sans demi-mesure", qui est un excellent portrait du musicien. Un hommage très mérité rendu de son vivant. Il vivra encore de très nombreuses années à travers ses œuvres.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 janvier 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Site officiel.
Michel Legrand.
Francis Poulenc.
Ennio Morricone.
Francis Lai.
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
György Ligeti.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.
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