Miss.Tic femme de l’être
Miss.Tic, le nom vous est peut-être familier, mais peut-être n’arrivez-vous pas à mettre un visuel dessus. De photographies de la dame, on s’en moque un peu, ce qui est important c’est son univers graphique, surtout connu pour ses femmes peintes à la bombe sur les murs de Paris, en utilisant la technique du pochoir. A côté de ses portraits féminins quelques lignes s’égaient toujours, sous forme de maximes ou de jeux de mots plus fins qu’ils n’y paraissent aux premiers abords, parfois abrupts comme des slogans.
A cause de son affichage dans la rue, Miss.Tic est souvent vue comme une taggueuse, rarement comme une artiste à part entière, sa technique n’étant pas assez académique pour prétendre ouvrir à l’art. Il faut dire que ses première réalisations sont le fruit d’une certaine rancoeur, une façon de crier sa haine à l’ancien homme aimé et aimant. C’est seulement ensuite que tout un processus de création se met en branle chez l’artiste, et que la répétition, la variation, et une touche bien personnelle se mêlent pour former un univers graphique complet et réfléchi.
Dans Miss.Tic, femme de l’être, Christophe Genin, professeur à la Sorbonne, ouvre les perspectives à une compréhension plus sensée du travail de la Miss. A partir de la narration de sa première confrontation avec les femmes aux slogans, il tresse un canevas prouvant par A+B que les pochoirs assenés aux murs ne sont pas juste décoratifs, revendicatifs d’un territoire ou le fruit d’un hasard tortueux, mais plutôt qu’ils font monter Miss.Tic au rang d’artiste. Elle a des choses à dire, une façon de le faire, et son oeuvre est bien plus complexe qu’on ne pourrait le croire au premier abord. Elle sait interpeller, et c’est bien là la qualité première de l’artiste.
D’un professeur d’université, on pourrait s’attendre à un discours ronflant, comme tout bon poncif le laisserait penser. Il n’en est rien : en usant d’un langage accessible et d’une prose fluide, Genin parvient à captiver et communique son bel enthousiasme au lecteur, à la façon d’un conteur, ou d’un blogueur des temps modernes. Entre jugement personnel et analyses pertinente, même si l’on n’adhère pas nécessairement à son discours en totalité, l’empathie qu’il génère permet de comprendre pourquoi Miss.Tic et son monde est si important pour lui. Alors, pourquoi pas pour nous ?
Le livre, doté d’une couverture rigide et se présentant sous un format à peine plus grand qu’un A5, pour presque 200 pages, est un peu austère, parfois trop, bien qu’agrémenté d’une quantité notable de photographies des oeuvres de Miss.Tic. Un peu plus de fantaisie dans l’agencement aurait permis de trouver un écho au texte qui est ponctué de jeux de mots et autres traits d’esprits, toujours à propos.
On regrettera certains passages un peu longuets qui insistent sur les explications des jeux de mots de la Miss. Mais à la décharge de l’auteur, une bonne blague, ça ne s’explique pas, ou c’est un bide. Même si elle a un second voire un troisième degré de lecture.
Le bouquin, par son existence même, place Miss.Tic en créatrice d’oeuvres, ajoutant un fort penchant intellectuel à des créations que l’on ne pense pas nécessairement pourvues de beaucoup de réflexion. Parfois, même, on sera un peu surpris de trouver une justification à des choses convenues, ou apparemment pas enfantées par un long processus introspectif. Que l’on soit ou non d’accord avec cette version de l’affaire, la ronde des questions permet de ressentir un changement dans le regard que l’on porte aux oeuvres. Et parallèlement, on en vient, à se questionner sur tout travail graphique que l’on pourrait au premier abord voir comme commun, sans génie créatif. Un bon moyen de prendre conscience que l’art est omniprésent, et parfois même là où l’on ne l’attend pas.
Finalement, pour ceux qui connaissent déjà Miss.Tic et savent pourquoi ils aiment ses créations, femme de l’être ne comblera que peu de lacunes. Mais pour les autres, sûrement encore très (trop ?) nombreux, c’est une excellente occasion de se plonger dans un monde dont les reliefs sont encore présents dans Paris. Si au détour d’une rue du quartier de la butte aux Cailles, une silhouette de femme vous interpelle, vous ne passerez plus à côté sans comprendre. Elle se raconte, il faut savoir l’écouter.
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