Mme Albanel en ministre de l’Inculture de masse

Imaginons quelques scènes assez improbables. André Malraux, invité chez Guy Lux pour célébrer la chanson française et remettre le prix Salut les copains à Sheila, entouré de Françoise Hardy, Sylvie Vartan, Frank Alamo, Hervé Villard et Richard Anthony. Quelques temps plus tard, cérémonie officielle au ministère. Deux ans avant sa mort, Luis Mariano est promu officier de l’Ordre national des arts et des lettres par ce même André Malraux qui, à cette occasion, prononça un long discours soulignant l’incommensurable talent de cet artiste ayant contribué au rayonnement culturel de la France. Un de ses successeurs au ministère de la Culture dans le gouvernement Messmer, Maurice Druon, réussira à faire transférer les cendres de Maurice Chevalier, l’occasion de prononcer une allocution mémorable ; entre ici, Momo, le prince du bel canto avec ton canotier ! Le Panthéon, aux grands hommes la patrie reconnaissante, aux grands chanteurs de notre temps, la nation écoutante. En 2029, un certain Louis Sarkozy, promu ministre de la Culture, succédant à Carla Bruni à ce poste, fera transférer les cendres de Johnny Hallyday au Panthéon.
Ces scènes paraissent invraisemblables, quoique, la dernière puisse être plausible au rythme où va la vie culturelle de ce pays et sa ministre Christine Albanel qui, il n’y a pas longtemps, a remis à Vanessa Paradis ses insignes de chevalière des arts et des lettres, soulignant l’éternelle petite fée de la chanson qui apparut dans les années 1980 pour interpréter ce grand classique qu’est Joe le taxi, puis ajoutant que Vanessa a promené sa figure de poupée aux sommets de la chanson française tout en faisant fondre le public français. C’est certain, le monde entier nous jalouse, nous qui avec Vanessa Paradis, Françoise Hardy, Carla Bruni, Etienne Daho, illuminons le monde entier avec nos étoiles universelles de la chanson, connues dans tout l’univers, aussi prisées que Mireille Mathieu au Japon !
Il faut dire que la France dispose d’une école de formation à rendre jaloux les élèves de l’Actor’s Studio, la Star Academy, et d’une cellule de veille esthétique à la recherche des nouveaux talents parmi lesquels figure Dove Attia, ancien prof de math, artiste contrarié, devenu producteur de comédies musicales et qui a recruté Christophe Mae pour une interprétation dans le Roi soleil. Mae va connaître une carrière fulgurante marquée par le million de disques écoulés et une récompense aux NRJ Music Awards, institution aussi prestigieuse que le prix de Rome ou l’académie Charles Cros, distinctions auxquelles ont ajoutera le prix Paris-Match, autre référence incontournable, du reste associé dans cette aventure avec France 2, la chaîne au service de la culture qui, régulièrement, nous fait découvrir des nouveaux talents, Pierre Perret, Dave, Obispo, Johnny, Maxime le Forestier, Michel Fugain... et sait les mettre en valeur grâce aux bons soins de la maîtresse de cérémonie, Daniela Lumbroso. Autant dire que ce samedi 19 janvier marqua de toute son empreinte la saison culturelle 2008 avec la venue de Madame la ministre Albanel venue spécialement consacrer cet artiste incomparable qu’est Christophe Mae, en lui remettant en mains propres le prix Paris-Match, offert par cette grande institution du journalisme professionnel dont on connaît l’excellence dans ses choix culturels et ses reportages. D’ailleurs, le web anglophone ne n’y est pas trompé, publiant des photos de cet événement et notamment Madame la ministre entourée de tous ces artistes populaires d’Etat contribuant au rayonnement de la France.
Sous ces lignes ironiques se pose la question de la place de Mme Albanel auprès de stars de la chanson devenues officieusement des « artistes » d’Etat et même officiellement si l’on en croit quelques légions d’honneur distribuées à un Johnny ou une Sylvie. Phénomène confirmé par la récente campagne avec les Bigard, Macias, Johnny posant près de Sarkozy. Est-ce vraiment le rôle d’un ministre de la Culture que de défendre une culture de masse ayant plus d’accointances avec le show-business et le profit qu’avec les créations les plus poussées de l’esprit. Que penser de tout cela et de la distinction accordée à Vanessa Paradis ? Les uns approuveront, jugeant qu’il est normal qu’un ministre de la Culture mette à égalité des œuvres élitaires et des productions populaires. A l’inverse, un philosophe comme Alain Finkielkraut jugera ces pratiques détestables, arguant qu’une civilisation doit maintenir les hiérarchies dans les domaines de l’esprit, littérature, musique ; etc. Je serais prêt à le suivre, tout en soulignant qu’en matière de musique, le rock a livré aussi des œuvres dignes de figurer aux côtés des quatuors de Debussy et j’ajouterais en plus que Mme Albanel a mauvais goût et que je n’irai pas dîner chez elle si c’est pour écouter du Mae et du Joe le taxi de Paradis.
Une étude plus sérieuse nous conduirait chez un Marc Fumaroli, grand spécialiste de la haute culture des siècles passés et présents, qui voyait dans la mobilisation de l’Etat après Malraux, la profusion de moyens et le pilotage bureaucratique de l’art un enterrement de première classe nihiliste de la culture française. Fumaroli n’hésitant pas, non sans quelque dessein polémique, à placer très haut les artistes de la Troisième République tout en déplorant le désert artistique dans la France d’après 1945. Ce qui nous amène à constater quelque lent déclin, voire quelque décadence de la société officielle des arts et de la culture sous l’égide de ministres dont on se demandera l’utilité pour ce qui est de servir de terreau aux nouveaux genres et créateurs. Mais on conclura qu’en cette matière, l’Etat est hors de ses compétences et quelque part, en dépassant les prérogatives du ravalement des vieilles pierres et du maintien des anciennes cultures, cet Etat se dévoie en s’acoquinant avec ces chanteurs pour masses et foules déculturées.
Soyons-en sûrs, la politique du gouvernement Sarkozy est une politique de décivilisation. Et bien peu ne bronchent, affolés par les places boursières et les OGM.
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