« Mon nom est Personne », en version restaurée, ressort au cinoche !
Bonne nouvelle pour les cinéphiles, et alors qu’on serait bien en peine de trouver dans bon nombre de films sortant actuellement le moindre souffle lyrique animé par d’authentiques héros, Sergio Leone (1929-1989), le maître du western à l’italienne et du film noir américain, revient dans une poignée de salles par l’entremise de la réédition en version restaurée 4K de Mon nom est Personne (1973) de Tonino Valerii, avec Henry Fonda et Terence Hill, un western postmoderne loufoque dont il fut le producteur très interventionniste au point que ce film, devenu culte avec le temps, porte sa griffe inimitable : Morricone à la bande-son, mise en scène outrageusement stylisée, approche irrévérencieuse du western, humour noir ravageur, récit de vengeance, ralentis et dilatation du temps, duels épiques de fines gâchettes et très gros plans. Mon nom est Personne, montrant un jeune aventurier, un tireur d’élite énergique nommé Personne (variante de L’Homme Sans Nom coutumier chez Leone), croisant sur sa route une figure mythique de l’Ouest, Jack Beauregard, alors que La Horde sauvage, une bande de 150 tueurs fait régner la terreur dans plusieurs états, est né dans l’esprit du maestro, au début des années 1970, quand il a constaté, amèrement, que le western parodique On l’appelle Trinita (1970) d’Enzo Barboni avec le duo Terence Hill/Bud Spencer, qu’il n’appréciait guère (« J'ai accouché d'enfants débiles ! », disait-il, à propos de ses successeurs), avait connu plus de succès que ses propres films. Du coup, en fin limier, Sergio décida de contre-attaquer en produisant un western comique avec Terence Hill, le guignol bellâtre et blagueur qui fait rire la péninsule, et Henry Fonda, la légende de John Ford, réalisé par l’un de ses anciens assistants, sur Pour une poignée de dollars et Et pour quelques dollars de plus, Tonino Valerii, qui avait lui-même tourné quatre westerns et deux policiers (©photos V. D.).
Difficile de résister à l’attraction Sergio Leone, j’étais donc l’autre soir au cinéma Le Grand Action à Paname, 5ème arrondissement, avec écran panoramique idoine (juste quelques spectateurs dans la salle 1, Henri Langlois), pour revoir, pour le plaisir et la madeleine proustienne, Mon nom est Personne (Il mio nome è Nessuno) de Sergio Leone, oups... pardon, de Tonino Valerii ; « D’après une idée de Sergio Leone », nous précise son générique du début, la paternité du film ayant fait et faisant encore débat. En gros, avouons-le, et pour aller vite, c’est un long-métrage hybride, voire métissé (se nourrissant d’horizons culturels divers, dont la BD, la pochette du 45-tours italien de la bande originale de Mon nom est Personne était par exemple illustrée de façon humoristique par Renato Casaro), réalisé à quatre mains : Sergio Leone a tourné, selon la légende (comme on lui attribue la mythique course des chars dans Ben-Hur, 1959), plusieurs scènes du film (l’ouverture, lorsque Fonda braque son colt sur les cojones de l’homme qui s’apprête à l’égorger en lui coupant la barbe, la désopilante scène des gifles dans le saloon, le carnaval, la bataille et le duel final) sans être crédité. Le film, doté d’un budget confortable, fut tourné au Nouveau-Mexique, en Arizona et à la Nouvelle-Orléans, ainsi que dans les environs de Guadix, en Espagne, en partie dans le décor de Flagstone où avait été réalisé Il était une fois dans l’Ouest (1968).
- Sergio Leone (1929-1989), sur le tournage d’« Il était une fois la révolution », 1971
Tu finiras dans les livres d’Histoire !
- Henry Fonda/Jack Beauregard dans « Mon nom est Personne » (1973, Tonino Valerii)
Parfaitement restauré (en 4K : recherche d’une très haute définition de l’image visant une qualité optimale même sur des écrans de grand taille), grâce à Raffaella Leone, la fille du défunt imagier, et à la Cinémathèque de Bologne, qui avait déjà été partenaire de l’expo-événement remarquable Il était une fois Sergio Leone (2018) à la Cinémathèque française, Mon nom est Personne est drôle et beau, entre gag (détournement du western spaghetti, épithète soit dit en passant fort peu apprécié par Leone, qui était déjà, en soi, un détournement du grand western classique hollywoodien façon Ford) et profondeur (nostalgie, mélancolie, lyrisme et jeu de l’admiration). Personne, un jeune aventurier mystérieux plein de fantaisie (Hill), avec des ailes d'ange lui poussant dans le dos lorsqu’il tient sa selle de cheval à l'épaule, porte aux nues un héros d’antan, le bandit Beauregard, campé par le hiératique et usé Henry Fonda (sa vue baisse), qui veut se faire la malle façon Gauguin, par le truchement d'un bateau, le nouveau monde grouillant sur fond d’expansion capitaliste et de modernisme ne l’inspirant plus ; le facétieux jeunot admiratif rêve de voir son héros fatigué, as de la gâchette sur le retour qui veut seulement prendre sa retraite, quitter la scène avec panache en affrontant à lui tout seul une horde sauvage - coucou Sam Peckinpah !, une tombe porte même son nom dans un plan - de 150 cavaliers, comme autant de « fils de pute », dixit Personne !, bourrés de bâtons de dynamite afin de le faire entrer définitivement dans la légende, et ainsi dans « les livres d’Histoire ».
- « Mon nom est Personne », un film explosif !
Ce qui saute aux yeux, indépendamment de son influence indéniable, avec notamment ses cowboys en explosante-fixe lors de la charge de la horde sauvage aux accents de la « Chevauchée des Walkyries », sur des réalisations ultérieures (Le Gang des frères James, 1980, de Walter Hill, Djano Unchained, 2012, de Quentin Tarantino, ne tarissant jamais d’éloges sur l’Italien, « Sergio Leone restera dans l’histoire du cinéma comme l’homme qui a inventé le western spaghetti. Personnellement, je le considère comme le plus grand de tous les cinéastes italiens. C’est à la fois un grand styliste du cinéma – il crée son propre monde – et un très grand narrateur. Un mélange extrêmement rare ») et du superbe score signé Morricone, ici génialement inspiré, se trouvant en général dans toutes les bonnes compiles du maestro (lui-même détourne sa composition légendaire d’Il était une fois dans l’Ouest multipliant ritournelles parodiques et gimmicks sonores), c’est l’aspect bâtard d’un film explosif et satirique très référentiel, assumant pleinement ce qu’il est, à savoir des clichés – « les duels au pistolet étaient remplacés par des gifles en pleine figure ! », disait Leone des Trinita - sur des clichés (la patte Leone) faciles à tourner en dérision.
- Henry Fonda dans « Mon nom est Personne », l’Ouest d’antan
Et pourtant, malgré cette surenchère, c’est du sous-Leone qui, contre toute attente, tient furieusement bien la route, le charme de la patine du temps (les seventies) travaillant pour lui et l’arc scénaristique fonctionnant bien (il faut dire qu’au scénario on y retrouve non seulement Leone mais également ses collaborateurs réguliers, Vincenzoni et Donati), avec ses cache-poussières maniéristes, ses nuages de fumée en volutes, ses haricots chauds en gamelle ainsi qu’avec ses trognes patibulaires, répondant au souhait initial de Sergio Leone, devenu alors milliardaire via sa trilogie du dollar en passant par le poncho cool mexicain du taiseux Clint Eastwood, se rêvant désormais en mogul omnipotent, à la Selznick, pour fomenter « un film de Sergio Leone réalisé par quelqu’un d’autre ». Objectif Tunes, et c'est Leone qui parle (on n'apprend pas à un vieux singe à faire la grimace), « Confronter la fantaisie et la vulgarité du personnage de Trinita avec la légende de l'Ouest », poursuivant dans ses conversations légendaires avec Noël Simsolo aux éditions Stock/Cinéma (1987) page 170 : « Il était intéressant de confronter ainsi le mythe et sa caricature : Henry Fonda et Terence Hill. Je voulais montrer cette caricature en train d'agacer le mythe en l'envahissant, en allant jusqu'à l'introduire au sein d'une bataille improbable. Enfin, quand le mythe paraît, il mettait en garde sa copie. Il prévenait que la vérité le rejoindrait tôt ou tard. Hélas ! le film fut un petit peu décevant. Valerii n'avait pas su donner assez de dimension poétique à cette rencontre. »
- L’ouverture « muy caliente » de « Mon nom est Personne », tournée par Sergio Leone himself
Bref, il s'agissait pour Leone, alors qu’il a déjà la tête ailleurs (trouver le financement pour son grand-œuvre sur le Temps, le film de gangster Il était une fois en Amérique, 1984) et qu’il ne reviendra plus qu’une seule fois au western en produisant une sorte de suite à Mon Nom est Personne, toujours dans le registre humoristique du pastiche, avec Un génie, deux associés, une cloche (1975), associant cette fois-ci Terence Hill à Miou-Miou et Robert Charlebois, bonjour le casting improbable !, d’orchestrer un crossover (réussi et ratissant large) entre Italie et Amérique, entre pistoleros picaresques, comme tout droit sortis de la commedia dell'arte, et cowboys classiques taciturnes de l'âge d'or du cinéma hollywoodien, incarnés, entre autres, par les virilistes Wayne, Cooper et Fonda. C’est certainement le cinéaste Alex Cox qui, dans le livre-somme 10 000 façons de mourir (2021, chez Carlotta) consacré au western italien, en parle le mieux, voyant dans Mon nom est Personne une « réconciliation entre quatre types de westerns : le western américain classique, personnifié par Fonda ; le western américain moderne et revisité, avec ses nombreuses références à Peckinpah et à La Horde sauvage ; le western italien à la Leone, avec ses envolées morriconiennes et ses duels d’anthologie ; et enfin le western spaghetti à la Barboni (réalisateur de Trinita) avec Terence Hill, ses haricots et ses blagues. » Valerii lui-même, cité par Sir Christopher Frayling dans son bouquin paru en 2005 aux éditions de La Martinière (p.182), Il était une fois en Italie : les westerns de Sergio Leone, va dans le même sens, en précisant : « Mon nom est Personne est la synthèse de deux styles de westerns, le western américain et le western italien. Mais il faut aussi se rappeler que le western italien venait à l’origine d’outre-Atlantique. Mon nom est Personne voulait prouver que les westerns de Sergio Leone étaient supérieurs aux westerns d’Enzo Barboni. À cet effet, il fallait faire contraster un personnage de John Ford avec Trinita. Après cela, et après la scène de la Horde sauvage et des Walkyries, il n’y avait plus guère de perspectives. C’était la fin du western italien. Nous avions conscience que quelque chose se terminait. Le temps des contes de fées était fini. »
- La Horde sauvage dans « Mon nom est Personne »
Western spaghetti pêchu avec haricots et blagues potaches
- Terence Hill, son nom est... Personne ?
Par ailleurs, Mon nom est Personne est un objet filmique satirique, voire sardonique, étrangement séduisant, s’apparentant, avec son large Scope déployé et derrière le cirque de personnages crades hauts en couleur multipliant à l'image pets, rires gras, grincements de dents et rots, à un incroyable concours de beauté des yeux des mâles s’y trouvant (les femmes ont ici la portion congrue !) : certes, via Jack Beauregard, nom programmatique (incarné par Henry Fonda, l’homme en colère, qu’on ne présente plus : Les raisins de la colère, Douze hommes en colère) mais surtout avec les yeux bleus éclatants comme des billes, on les dirait en cristal, incroyable !, du beau Terence Hill au visage bronzé et souillé continûment là-dedans (western spaghetti oblige), contraste saisissant. Bref, que de beaux regards à l’écran !
- Hill pêche à la mouche dans « Mon nom est Personne »
Au passage, dans son duel au sommet avec Fonda, Terence Hill, souvent snobé par l'intelligentsia et la critique officielle de l'establishment parce que figure de proue notoire de la série burlesque naviguant entre le B et le Z Trinita s’accompagnant de son partenariat sériel, filon commercial exploité jusqu’à la lie, avec son compère, compatriote et champion du monde de la castagne Bud Spencer (de son vrai nom Carlo Pedersoli), était, euh… pardon, est - il a 84 ans aujourd’hui ! - un bon acteur : il joue, par exemple, très bien le mec bourré dans Mon nom est Personne sans jamais en faire de trop, ce qui est loin d'être évident. Acteur-histrion qui avait, soit dit au passage, démarré chez Visconti (Le Guépard, 1963), sous son vrai nom - Mario Girotti - et dont on disait qu’il avait, selon la critique italienne de l’époque, « les yeux les plus bleus du monde après ceux de Paul Newman ». Hill New Man : assurément, avec son sourire irrésistible contagieux et ses yeux ronds désopilants (il faut le voir mimer un volatile ahuri lors de la fable du petit oiseau racontée !), il apporte de la fraîcheur et de la jeunesse au film, réactivant la nôtre, sur fond de nostalgie, tant il est drôle et attachant, charismatique en diable, notamment grâce à son insouciance, c’est un trompe-la-mort, et à sa désinvolture canaille n’ayant pas pris une ride, semblant à jamais, avec gourmandise, faire sienne cette phrase bien connue de Fontenelle : « Ne prenez pas la vie au sérieux, de toute façon, vous n’en sortirez pas vivant. »
- Comme un gosse à la fête foraine, Terence Hill dans « Mon nom est Personne »
Terence, tel un gamin (il ne s'intéresse même pas aux filles faciles à froufrous dans le saloon, qui sont pourtant manifestement sous son charme !), passe son temps à jouer dans le Valerii, comme lorsqu’il s’éclate dans la galerie des miroirs ou donne des torgnoles à n’en plus finir, via un personnage-totem carnavalesque en bois bras écartés, à des desperados abrutis comme s’il était en train de faire un baby-foot. C'est un sale gosse toujours en récréation, la mouche du coche pour ses adversaires voire pour son idole Jack, qu'il regarde des étoiles bling-bling plein les yeux, comme dans un cartoon, mais qu'il a tendance à grave coller. Ce Personne, dont l’appellation est une référence à un épisode dans l’Odyssée d'Homère, est un vagabond à la Diogène dormant chaussettes trouées où bon lui semble (sa seule philosophie étant le rire). Il passe son temps à buller, préférant son vieux chapeau percé par une balle à un couvre-chef flambant neuf, il pêche à la mouche pour la beauté du geste, il vit tout en touriste, un peu comme Tati, alias le lunaire monsieur Hulot éternellement en vacances, adepte rêveur du chemin de traverse, regardant en contemplatif, avec toujours un pas de côté émancipateur, cette valse des pantins qu'est la comédie humaine. On pense, devant la relation attendrissante Hill/Fonda, à Gabin disant au jeune Bébel, tous deux bourrés comme des gorets dans Un singe en hiver (1962, Verneuil), « Embrasse-moi, mec ! Tiens, t’es mes 20 ans ! ». Réplique ô combien culte, portant la griffe humaniste d’Audiard. Pour l’anecdote, toujours adulé dans son pays, Terence Hill, qui est passé plus tard à la réalisation via Lucky Luke (1984), Don Camillo (1991) et autres Petit papa baston (1994), prépare pour 2024, à bientôt 85 printemps, une suite à Trinita mais cette fois, sans Bud Spencer, décédé en 2016.
- La scène malaisante du lieu d’aisance dans « Mon nom est Personne », 1973
Mon nom est Personne, quel titre génial, est devenu culte également avec le temps (les amoureux du baroque Leone l’intégrant même pour certains à sa filmographie tant il a peu tourné, sept films ni plus ni moins) et, au-delà du drolatique, il s’avère être un beau film sur la filiation, le passage de relais, l’héritage, la vieillesse et la fin d’une époque, autant celle de l’Ouest que celle du western italien, tel un chant du cygne, donnant, mine de rien (avec certaines allusions politiques et plans furtifs poétiques bienvenus, cf. la séquence du cimetière indien lorgnant vers les rêveries du dessinateur Mœbius), la part belle aux laissés-pour-compte du temps de la conquête de l’Ouest, maintenus à la marge voire hors cadre, qu’étaient les Amérindiens et les Afro-américains. Enfin, par moments (les meilleurs !), on y trouve sacrément le style Leone, généreux homme-orchestre d’un cinéma populaire sophistiqué (« Rare exemple filmique d’une avant-garde comprise et adorée par le plus large public », dixit le cinéaste indépendant Luc Moullet en 1983), fort à l’aise, comme habituellement, dans la réunion des contraires via, à l’œuvre, une « majesté du trivial » (Moullet, toujours) encore très accrocheuse. Ainsi, dans le goût fétichiste du détail et l’humour redoutable, un brin pervers, mettant à l’épreuve comme s’il tirait sur un élastique les nerfs du spectateur, difficile de ne pas reconnaître, telle une signature, l’estampille Leone à travers la trivialité majestueuse lovée dans la « scène de la pissotière », avec Personne aidant un brave conducteur à soulager sa vessie pour mieux piquer son train - scène que Valerii trouvait « affreuse » mais qui fut imposée par son producteur intrusif, qui n’hésitait pas à prendre le contrôle du plateau, tenant absolument à inclure ce « gag » car il connaissait des problèmes de prostate.
Personne n’est parfait
À l’arrivée, au box-office, Mon nom est personne, solidement charpenté sous ses airs décontractés un brin je-m’en-foutiste, fera un carton, avec près de 5 millions d’entrées en France, précisément 4 732 369, dépassant Le Magnifique avec Belmondo et L’Emmerdeur reposant sur le tandem Brel/Ventura, connaissant également un succès triomphal en Allemagne tandis qu’aux États-Unis, desservi par une campagne publicitaire médiocre, il n’aura qu’une audience modeste. Face tout de même au succès énorme dans moult pays, le matois Leone, qui amasse alors avec, en tant que producteur, davantage qu’une simple poignée de dollars, s’attribuera rapidement la paternité des scènes-clés du film (comme on l’a vu, il en a bien tournées certaines), au grand dam du réalisateur « de seconde main »Tonino Valerii (qui ne fera plus rien de concluant par la suite), jouant à l’arrivée, pauvre bougre !, le figurant de service : effacement dur à encaisser. Mais, comme disait le Roumain Brancusi, qui plus jeune s’était volontairement, et judicieusement, écarté de l’atelier de l'ogre Rodin, « Rien ne pousse à l’ombre des grands arbres. »
- Leone a réalisé lui-même la séquence du saloon dans « Mon nom est Personne », à la grande joie de Terence Hill
Le divorce entre les deux hommes fut clairement consommé lors de la promotion du western (et si l'on en croit le documentaire Nobody is... Perfect accompagnant l'une de ses éditons DVD, il semblerait qu'il y ait eu en amont de vives tensions entre Valerii et Leone pendant le tournage) : à la sortie du film Mon nom est Personne, le nom de Sergio Leone apparaissait trois fois dans le générique : « Sergio Leone présente », « D’après une idée de Sergio Leone » et « Produit par Sergio Leone », alors que le nom du réalisateur, lui, n’apparaissait qu’une seule fois – aussi, le public trépignait d’impatience de voir… le dernier film de Leone ! Détail révélateur : Spielberg ira même jusqu’à dire à Leone, un tantinet vexé (car c’est un film de détente, fait pour le fun et, disons-le, pour faire du fric et surfer sur la vague du western parodique cartonnant en salles fabriqué à la chaîne par des tâcherons de Cinecittà, afin qu’il redevienne, telle une vengeance artistique, le roi du western à l’italienne) - « C’est mon film préféré de vous ! » Eh oui, la décontraction de l’intelligence (faire une grosse farce filmique sans se prendre la tête en visant le grand film de classe A) a parfois du bon. Spielby était-il moqueur ou visionnaire ? Ça se discute. Dans le détail, cela donne ceci (toujours dans le Simsolo suscité, p. 170) : « Un jour, note Leone, je disais à Spielberg que Duel était son meilleur film. Il m'a répondu que, pour lui, mon meilleur film, c'était Mon nom est Personne. L'ennui, c'est que, lui, il plaisantait en disant cela. Moi, je ne plaisantais pas. Je pense vraiment que Duel est son meilleur film. »
- Le bateau comme échappatoire pour Jack Beauregard (Fonda), final « sentimental » de « Mon nom est Personne »
Enfin, Tonino Valerii lui-même n’était pas dupe de l’entourloupe (le label Leone comme garantie de succès), puisqu’il a précisé à Oreste de Fornari dans son bel ouvrage sur Sergio Leone, Le Jeu de L’Ouest (1997, aux éditions Gremese, dans l’entretien Un pistolet pour arlequin, p. 158) : « (…) On a dû interrompre le travail [tournage de Mon nom est Personne] pendant une semaine et comme Fonda devait commencer sans tarder un autre film, Noces de cendre, Leone proposa de diriger la deuxième équipe, en tournant quelques scènes avec Terence Hill (qui avait rudement envie de travailler avec le « maestro »). Mancini, l’organisateur, m’avait prévenu : "Si tu laisses tourner une seule scène à Leone, tout le monde dira que c’est lui qui a fait le film". Je ne l’ai pas écouté, je ne voulais surtout pas causer un ennui financier à Leone, en retardant la fin de tournage. Mais c’est exactement ce qui se passa. À la sortie du film (qui a encaissé sur le marché international plus que n’importe quel autre film de Leone), beaucoup de critiques ont parlé de Leone comme de l’auteur et de moi comme d’un exécutant, d’un copiste. Et Steven Spielberg juge Mon nom est Personne comme le chef-d’œuvre de Sergio Leone ! »
- Le sourire énigmatique de Noodles (De Niro), valant bien celui de Mona Lisa, dans « Il était une fois en Amérique » (1984) de Sergio Leone
Quant à Sergio Leone, qui tournait peu et était très lent à filmer de peur de faire moins bien que ce qu'il avait déjà réalisé, après Mon nom est Personne (1973), il ne reviendra au cinoche que longtemps après, onze années plus tard, pour nous livrer, passant du western au film de gangster (il avait commencé par le sacro-saint péplum, genre en vogue à la fin des années 1950 et pendant les sixties), un chant funèbre proustien désespérément nostalgique : Il était une fois en Amérique (1984) réunissant Robert De Niro, Jennifer Connelly et James Woods, une fresque flamboyante monumentale (4h11 pour la version intégrale) inoubliable, mâtinant « western » et crime tout en dépeignant aussi la fin d'une époque (c’est l'Amérique du temps de la prohibition et de l'avènement du gangstérisme), ainsi que celle d’un certain cinéma, sur fond de flûte de pan, de recherche opiacée du temps perdu et d’évocation crépusculaire des mythes américains. Son « testament mélancolique », de l’aveu-même du cinéaste, ainsi qu'accidentel, mourant hélas bien trop tôt, à tout juste 60 ans en 1989, d’une crise cardiaque, alors qu’il était sur le point de réaliser ses 900 jours de Leningrad, devant un vieux film en noir et blanc intitulé Je veux vivre ! - cela ne s’invente pas. Mais ça, c’est une autre histoire…
- Dans les livres d’Histoire du cinéma : Henry Fonda dans « Mon nom est Personne »
Mon nom est Personne (Il mio nome è Nessuno), 1973 – 1h56, Allemagne, France, Italie. Couleur. De Tonino Valerii. Produit et coréalisé par Sergio Leone. Avec Terence Hill, Henry Fonda, Jean Martin, Antonio Palombi, Geoffrey Lewis, RG Armstrong, Mario Brega. Actuellement en reprise au cinéma.
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