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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Moravia au scalpel de René de Ceccatty

Moravia au scalpel de René de Ceccatty

Portrait de Alberto Moravia par Renato Guttuso (1911-1987)

Cela fera vingt ans le 26 septembre que le romancier Alberto Moravia mourait d’un arrêt cardiaque, le matin après sa toilette, dans son appartement romain. René de Ceccatty, traducteur de son œuvre et ami du maestro, a sans doute pensé qu’il était grand temps de rendre hommage à l’écrivain italien d’où cette biographie : Alberto Moravia, parue en début d’année chez « Flammarion ». Et quelle biographie ! 678 pages consacrées à l’homme et à ses écrits (romans, nouvelles, journal, pièces de théâtre, critiques de films, articles pour la revue - qu’il avait fondée - Nuovi Argomenti ou pour les journaux) qu’il décortique d’une plume alerte et passionnée.

D’aucuns trouveront paradoxal que l’on se prenne de passion pour un auteur qui a écrit des romans dont les titres décrivent sinon une sorte de pathologie, un état morbide, du moins une asthénie morale, une absence de volonté : Les Indifférents (1929), publié à compte d’auteur, Le Conformiste (1951), Le Mépris (1954), L’Ennui (1960). Mais justement, c’est dans l’analyse des sentiments, le recours à l’introspection, que Moravia affirme son altérité : ce n’est pas pour rien qu’il admirait Dostoïevski, l’homme du Sous-sol, ici métaphore de l’inconscient. On lui a aussi reproché à partir de Moi et lui (1971) de parler trop crûment de sexe, d’évoquer - lui qui était l’ami de Pasolini - l’homosexualité ou des pratiques qualifiées de perverses, la sodomie dans Désidéria¹ (1978), mais aujourd’hui banalisées ; chic ! c’est vendredi, ce soir c’est sodomie. Que n’a-t-on dit, de même, à propos de son style : plat, prosaïque. Enlevez potage !

Et pourtant c’était la fierté de Moravia de considérer qu’il avait livré avec Les Indifférents le premier roman existentialiste, bien avant La Nausée (1938) de Sartre de qui il citait volontiers comme référence, de Ceccatty le rappelle, L’Enfance d’un chef, ou L’Étranger (1942) de Camus. Sa fierté aussi d’être resté extérieur au système, d’abord le fascisme sous Mussolini, puis la démocratie-chrétienne, pour laquelle il n’avait guère de tendresse, après-guerre ; il fut du reste élu député au Parlement européen en 1984 sur la liste du parti communiste italien et voulut en vain, à la fin de sa vie, rencontrer Gorbatchev séduit qu’il était par la perestroïka. Il paya ses choix - lui qui pourtant plaça toujours la littérature avant la politique - par le chemin de l’exil intérieur en 1943 dans la montagne romaine, il s’y cacha, et par l’absence d’attribution du prix Nobel de littérature qu’il aurait pu espérer, en 1959 ou en 1960 notamment.

René de Ceccaty souligne un aspect de sa vie peu connu, la surveillance constante qu’il subit, après l’assassinat à Bagnoles-de-l’Orne² par les hommes de “la Cagoule” (extrême droite des années trente en France) de ses cousins, les frères Rosselli. Il continuera bientôt à écrire sous un nom d’emprunt : pseudo !

 Personnellement je connais assez bien l’œuvre pour avoir lu plus de vingt livres de/sur Moravia. J’avoue ma préférence pour 1934 où il pose, comme dans beaucoup de ses livres, une question philosophique³ : « Peut-on continuer à vivre quand on est désespéré ? » Bref, le suicide est-il la solution… à défaut d’être le seul problème philosophique ? J’ai beaucoup aimé également Agostino (1943), un roman d’initiation, et ses Nouvelles romaines (1954) à travers lesquelles il décrit la vie du petit peuple de la capitale italienne. Dans cette biographie, que pour le coup on peut qualifier de définitive, de Ceccatty raconte aussi les amours de Moravia (successivement, Elsa Morante, Dacia Maraini et Carmen Llera seront les femmes - à forte personnalité - de sa vie) et l’importance pour sa renommée de l’adaptation cinématographique de ses romans, que ce soit par Vittorio de Sica, Jean-Luc Godard ou Bernado Bertolucci.

Oui, un grand livre de René de Ceccatty que l’on espère à Nîmes, en janvier 2011, au festival de la biographie. Après tout Moravia avait appris le français grâce à une gouvernante, Bisé Durand, d’origine nîmoise. Et ne dites pas, c’est le titre d’un recueil de nouvelles de Moravia (1982) : bof !

Notes

¹ titre original La vita interiore
² commune de Basse-Normandie, le crime fut commandité par le régime fasciste de Mussolini
³ on peut dire que Moravia a quasiment préempté le thème de la déréalisation


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9 réactions à cet article    


  • Immyr Immyr 22 mai 2010 08:53

     Merci. J’adore retrouver de tels articles sur Agoravox. Je n’ai lu de Moravia que l’Ennui, ses thèmes de prédilection n’étant pas les miens. Mais j’ai le souvenir de mots simples, dans une écriture complexe, qui vous prend aux tripes.

    • Michel Frontère Michel Frontère 22 mai 2010 11:52

      Même si j’ai l’impression que ça n’intéresse pas grand monde (week-end de Pentecôte, banalisation des forums sur Internet, manque de culture littéraire des internautes) je me dis que, dussé-je n’avoir qu’un seul lecteur, je continuerai à écrire ce genre d’articles.

      L’Ennui a été le premier livre que j’ai lu de Moravia, je l’avais emprunté à la bibliothèque de ma ville, à l’époque Béziers. Je vous suggère de lire Agostino, une petite merveille.


      • Immyr Immyr 22 mai 2010 12:31

         smiley


         Vous voyez.... Agostino commandé sur Amazon (avec l’Ennui dont j’avais perdu l’exemplaire depuis des années)... Qu’on puisse partager ses passions par osmose avec son voisin, que demander de plus ? (un bon verre de vin de Corbière et Gilels au piano pour déguster le tout ensemble).

         Amicalement.

      • Lorenzo extremeño 22 mai 2010 13:06

        merci monsieur Frontére,je n’ai lu de Moravia que L’Ennui,qui m’avait
        comme tendu un miroir de moi-même.
        je vais conserver votre article, afin d’y garder ces précieux renseignements.
        Je ne peux que vous encourager á continuer de publier de tels articles,
        qu’importe le nombre de lecteurs,mais c’est bien le seul que j’ai eu
        envie de lire aujourd’hui sur Avox,tant je vois de sujets futiles...
        Je n’avais pas eu le plaisir de vous lire depuis votre aticle sur Gainsbourg
        en Févier dernier, et en parcourant les articles de ce jour et leurs auteurs,
        votre nom a aussitôt reveillé ce souvenir dans ma mémoire.
        Alors qu’importe la quantité,merci de privilégier la qualité.

        Bien á vous.


        • Michel Frontère Michel Frontère 22 mai 2010 13:44

          @ Immyr : c’est marrant, le Corbières est l’un de mes vins préférés ! je ne connais pas Gilels, en ce moment j’écoute plutôt du Cole Porter

          @ Lorenzo extremeño : merci de vos compliments, je préfère publier peu mais, et surtout, ce qui paraît satisfaisant à mes yeux

          René de Ceccatty a bien du mérite car réussir une synthèse sur la vie de Moravia c’était une sacrée gageure.


          • Immyr Immyr 22 mai 2010 14:19

            Emil Grigoryevich Gilels : grand grand grand (très grand quoi) pianiste soviétique (1916-1985) (c’est Guilels en Français mais j’ai toujours préféré le Gilels en prononcant gu-)


            Le prélude opus 23 numero 5 par Gilels (une des plus belles interprétations de Rachmaninoff, même meilleure que celle réalisée par le compositeur qui était déjà un grand... j’ai chaque fois les larmes aux yeux en écoutant Gilels. C’était un perfectionniste dans tous les sens du terme, un joyau pur, emmené à des sommets insoupçonnés par un travail plus qu’acharné)



          • Immyr Immyr 22 mai 2010 14:26

            Polonaise de Chopin par Gilels


            Etude numero 2 de Scriabin par Gilels
             
            Concerto pour piano de Tchaikovski (premier mouvement) par Gilels dirigé par Zubin Mehta


          • 65beve 65beve 23 mai 2010 22:27

            Bonsoir,

            Merci à l’auteur de rappeler cet écrivain à ma mémoire.
            A l’age de 20ans, j’ai lu une dizaine de ses titres.
            Lire le Mépris puis voir le film...., Ah les fesses de BB !

            cdlt
            bv


            • Michel Frontère Michel Frontère 24 mai 2010 08:27

              Figurez-vous que ça a failli être les fesses de Jeanne Moreau !

              Mais je crois que je préfèrerai toujours le charme, le mystère et la grâce de Claudia Cardinale (dans ses films du début des années soixante) aux fesses, aujourd’hui ramollies, des deux vedettes de « Viva Maria » !

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