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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Mother Land », le retour en demi-teinte d’Alexandre Aja aux (...)

« Mother Land », le retour en demi-teinte d’Alexandre Aja aux affaires... du film d’horreur

Alexandre Aja (46 ans), fils du réalisateur Alexandre Arcady (à propos de son père, qui lui aussi s’est essayé par le passé au « film à l’américaine », tel Hold-up (1985) avec Bébel, il disait récemment ceci dans Paris Match #3934, 26 septembre 2024, « Je lui dois ma ténacité, c’est quelqu’un qui n’abandonne jamais  »), et de Marie-Jo Jouan, critique de cinéma, nous revient en salles obscures, après un détour par Netflix via Oxygène en 2021 qui coinçait Mélanie Laurent dans un caisson, avec Mother Land, sorti aux States sous le titre Never Let Go (Ne jamais lâcher), porté par la star Halle Berry (productrice déléguée du film), qu’on n’avait pas vu inspirée comme ça, elle y croit dur comme fer à cette histoire de survivalisme ! (survivre vaille que vaille dans un monde contemporain dévasté par une catastrophe), depuis un bon moment ; lors d’une conférence du CinemaCon organisée par Lionsgate en avril dernier, l’actrice américaine (58 ans) a déclaré qu'elle avait accepté le rôle-titre de Mother Land parce qu'elle est « accro à l'adrénaline » et que le film « lui donnait l'occasion de faire partie d'un monde qu'elle n'avait jamais vu auparavant. »

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Portrait polaroid d’Alexandre Arcady, père d’Alexandre Aja, Paris, le 14 septembre 2002, ©photo VD (NB : l’appareil photo instantanée à son importance dans « Mother Land » !)

Concernant le Frenchie Alexandre Aja, l’un des rares à officier en terres américaines et à s’être fait un nom à Hollywood, il s’agit de son dixième long-métrage de fiction (©photos VD, pour un certain nombre) : que de chemin parcouru depuis son premier film, Furia (1999), avec Marion Cotillard et Stanislas Merhar (acteur trop rare sur les écrans), qui remonte tout de même à vingt-cinq ans. Depuis, ce « fils de », talentueux, ce qui n’est pas toujours le cas, loin de là même !, s’est, de toute évidence, fait un nom, avec, à mes yeux, quelques réussites du genre (horreur, épouvante) majeures (Haute Tension, 2003, produit par Luc Besson, via EuropaCorp, La colline a des yeux, 2006, produit par Wes Craven himself, roi du cinéma de genre, Piranha 3D (2010), remake fort inspiré, à l’humour méchant, de celui (1978) signé Joe Dante, le papa des deux Gremlins – à quand, au fait, un opus 3 si attendu ?), sans oublier quelques autres, bien ficelés sans être pour autant très novateurs (faut bien l’avouer), qui se regardent non sans un certain plaisir, tels Mirrors (2008), Horns (2014) et Crawl (2019).

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Halle Berry (June), mère salvatrice ou ogresse ?, dans « Mother Land » (2024, Alexandre Aja, 101 minutes sous tension)

Les Bois du Mal

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La petite famille afro-américaine retranchée dans le Sud des États-Unis de « Mother Land »

Ce tout dernier film d'Aja, Mother Land, qu’on peut traduire, à peu de choses près, par mère-patrie ou terre maternelle nourricière, appartiendrait plutôt à la deuxième catégorie : bien (du 3,5 sur 5 pour moi), mais sans plus. Lorgnant du côté de films comme Le Village (2004), La Route (2009) et autres Le Labyrinthe (2014), il lui manque sûrement un petit quelque chose (ainsi qu’une once d’originalité), qu’on pourrait certainement nommer supplément d’âme, qui le ferait décoller du cinéma de genre pour prétendre à plus, à savoir être un grand film tout court, de classe A, échappant à son genre même pour tendre vers LE film-gigogne fascinant aux multiples lectures, comme ont pu le faire, par le passé, des grands maîtres, avec des espèces de films-prototypes qui ont fait date, tels Hitchcock (Psychose, 1960, Les Oiseaux, 1963) et Kubrick (Shining, 1980), ou même, plus récemment, et ce dans une moindre mesure, le très malin M. Night Shyamalan (Le Village), avec lequel il partage un tropisme des plus prononcés pour l’archaïsme forestier - le côté beau conte dépouillé de Mother Land fait sa force - et pour un symbolisme de bric et de broc nourrissant abondamment la mythologie d’un bois mystérieux abritant possiblement des esprits de la forêt malicieux, si ce n’est sataniques.

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Portrait polaroid du cinéaste Alexandra Aja, au Forum des Images (Paris), le 19 février 2011, ©photo VD

C’est dommage, car l’on sent bien qu’Aja n’ironise pas sur le genre (horreur, épouvante), il l’aime vraiment, sans du tout chercher à s’inscrire dans une geste postmoderne, pour faire simple à la Quentin Tarantino (on peut aussi penser à David Robert Mitchell), qui conduirait à jouer avec gourmandise, au risque de l’overdose de la citation, avec les codes du genre, quitte à briser ouvertement, avec la complicité du spectateur amusé, la suspension (consentie) de l’incrédulité.

Dans la revue – dont il est dingue depuis sa plus tendre enfance (rebelle) - Mad Movies #385, septembre 2024 (numéro offrant la couve, joliment dessinée, à l’univers horrifique déjanté du cinéaste, « Le cirque infernal d’Alexandra Aja »), il déclarait ceci (in article Alexandre Aja, à conte d’auteur, propos recueillis par Fausto Fasulo), et c’est tout à son honneur, selon moi : « Je sais que pour certains studios américains, "elevated genre" rime avec "film d'horreur qui va à Sundance" ou "film d'horreur avec un faible potentiel commercial"  ! (rires) Pour ma part, je me retrouve plutôt dans ce terme, dans le sens où je pense qu'il correspond au cinéma que j'essaie de faire. Quand je tourne Crawl, par exemple, je m'échine à proposer une histoire sérieuse, filmée avec un maximum de réalisme et avec de vraies ambitions artistiques. Et récemment, quand je vois un film comme Longlegs, je me dis qu'Oz Perkins creuse le même sillon. Pareil pour Vermines  : on sent bien que Sébastien Vaniček ne veut pas se foutre de la gueule du public, qu'il prend au sérieux son histoire, qu'il a une vision et qu'il utilise toute son énergie de metteur en scène afin de la concrétiser à l'écran. Je sais que certains spectateurs préfèrent la gaudriole, mais moi, ce n'est pas mon truc. Je veux respecter mon scénario, mes personnages, mes comédiens et toujours proposer au public "le meilleur film possible". Enfin presque, car des fois, on se dit vraiment : "Non, mais là, ils n'ont même pas essayé les gars, leur film est juste une grosse merde !" (rires) »

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Halle Berry (June) et le chien Koda/BRASS dans « Mother Land » (2024), signé Alexandre Aja

Alors, que raconte précisément ce film-concept qu’est Mother Land ? Depuis la fin du monde, June (Halle Berry, très bien) protège ses gamins, deux jumeaux ayant pour prénoms Samuel et Nolan (campés respectivement par Anthony B. Jenkins et Percy Daggs IV, un jeu solide également, on peut même parler de deux petites révélations), en les confinant dans une maison isolée, au sein d’un univers sylvestre bien mystérieux, façon southern gothic. Ce chalet, nous dit-on en « bois sacré », agit comme un camp retranché : gare si on s’en éloigne. « Les garçons, je sais que la vie est difficile depuis que le monde s’est éteint, leur dit June, mais le mal qui rôde dehors est intelligent. Une seule sortie sans la corde ça lui suffit : ne jamais la lâcher. Toucher la moindre chose sans corde est suffisant… » Aussi, les deux mômes chassent et cherchent de quoi se nourrir dans la forêt avoisinante, constamment reliés à leur maison par une corde épaisse que leur mère leur demande de ne surtout pas lâcher car, à l’en croire June, la vieille cabane est le seul endroit où la famille est à l’abri d'un Mal... ô combien rusé (« Il veut semer le doute, dit-elle, à l’un de ses fils circonspects, le danger a peut-être disparu ? Il veut te le faire croire »), régnant désormais sur la planète Terre. Mais, un jour, la corde est rompue, ils n’ont alors d’autre choix que de s’engager dans une lutte terrifiante pour leur propre survie, commence alors un véritable survivalMother Land naviguant assez habilement entre différents types de récit : ce dangereux combat pour leur survie surfe alors adroitement du côté d'un conte moral imbibé de fantastique, façon les histoires paranormales séduisantes de la série télé culte La Quatrième Dimension.

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Cette corde « familiale », un fil à la patte ou un cordon de sécurité providentiel ? Anthony B. Jenkins est Samuel dans « Mother Land » (Copyright Metropolitan FilmExport)

En amorce de ce nouveau long-métrage, oscillant efficacement entre film d’horreur, épouvante, conte de fées, huis clos psychologique et thriller paranoïaque, le Français Aja a particulièrement apprécié le scénario de départ écrit par Kevin Coughlin et Ryan Grassby : « Je me souviens qu’en lisant le script, j’ai éprouvé un type de peur que je ne ressens pas d’habitude avec ce genre d’histoire. Mais mon coup de cœur, c’est la manière très singulière dont cette histoire, très contemporaine, est racontée à travers les codes du conte de fée. Cela m’a sauté aux yeux quand j’ai lu le scénario qui mêle habilement l’horreur, l’humain et la psychologie. Mother Land raconte comment l’on peut surmonter un traumatisme intergénérationnel et évoque ce moment de la vie où l’on décide de s’émanciper de certains schémas héréditaires.  »

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Jump scares (sauts de peur) et scènes de frousse dans la forêt hantée post-Covid de « Mother Land »

Et si maman avait tort ?

Le film Mother Land, à dire vrai, se laisse voir sans déplaisir, comme s’il s’agissait d’un bon premier film, son côté rétro (cf. le vieux tourne-disque vinyle, l’appareil polaroid vintage (encore croisé récemment dans Blink Twice, décidément, l’apparition magique, ou épiphanique, de son tirage photographique unique inspire en ce moment !), la découverte des joies de la forêt par les gamins, et hop je gobe une petite grenouille humide vivante) plaidant en sa faveur, tout en participant grandement à son capital sympathie « désuet », celui-ci étant boosté, en outre, par une BO inspirée signée Rob (Robin Coudert) : ce « modeste » Mother Land, sans gros effets de manche, se tient, en tout cas, et ce fort heureusement, à distance des effets spéciaux pyrotechniques et des fonds verts (ou bleus) numériques, quelque peu asphyxiants, qui pullulent dans le cinéma hollywoodien actuel.

Ainsi, et c’est tant mieux, Alexandre Aja ne joue pas au jeu de la surenchère : de toutes façons, au vu de sa filmographie passée, et c’est encore le cas ici, il n’est jamais aussi bon, et ingénieux, que lorsqu’il crée une tension maximale dans un petit périmètre topographique - que l’on se souvienne des frappadingues, dégénérés en puissance, se concentrant à l’extrême sur une caravane isolée dans sa Colline a des yeux, abritant un innocent bébé, ou des piranhas, s’invitant à un Spring Break dantesque, et autres alligators orfèvres en jeu de massacre, faisant un maximum de dégâts auprès de l’espèce humaine, dans un pourtour géographique somme toute restreint (Piranha 3D, Crawl).

Ici, avec Mother Land, il ne déroge pas à la règle, c’est comme sa marque de fabrique ou effet de style, on reste en grande partie, comme en vase clos, dans la maison entièrement boisée, soi-disant construite en bois pur (tous les trois, mère et fistons, font régulièrement la prière : « Ô maison bénie de bois ancien, abri de la pureté et du bien, nous te ferons briller sans jamais nous éloigner, le paradis est ici, dans notre foyer »), dans laquelle la mère protectrice June assigne ses enfants à résidence pour les protéger d’un mal obscur (elle seule voit des monstres humanoïdes à quatre mains, façon L’Exorciste, gravissant avec vélocité le tronc des arbres ou encore des espèces de zombies à la langue fourchue, dont une belle-mère veule et baveuse des plus effrayantes !), on reste obstinément dans cette bicoque de fortune puis dans sa forêt avoisinante, sauf à la toute fin, où un plan en plongée, en hélicoptère, nous conduit possiblement vers un ailleurs possiblement plus respirable (à savoir une société sans œillères libérée de l'empreinte étouffante de la Matouze).

Cette maison est d’ailleurs, comme dans tout film d’horreur qui se respecte, avec chausse-trape à la Evil Dead (en fait, il s’agit d’une « cellule » sous le plancher pour être « purifié »), l’un des « personnages » à part entière du film ; à son sujet – elle a été trouvée sur un site naturel, dans les environs de Vancouver, au Canada (le tournage s'est déroulé entre avril et juin 2023), puis enrichie, ou rendue plus complexe, en postproduction - le producteur de Mother Land Dan Cohen déclarait : « C’était une maison abandonnée, entièrement vide, nichée dans une forêt extraordinaire où coexistent des écosystèmes totalement différents.  » Quant au chef-décorateur Jeremy Stanbridge, il ajoutait : « Même si la structure d’origine tenait toujours debout, il n’en restait pas grand-chose. Il a donc fallu qu’on crée un patio et un salon. On a construit au moins 60% de la maison telle qu’elle apparaît à l’image.  »

En outre, toujours en ce qui concerne ses qualités indéniables (une actrice, Halle Berry, littéralement habitée par son rôle, tour à tour débraillée, effrayante, chasseuse à l’arbalète puissante, maternante, autoritaire et hallucinée, « Elle est terrifiante, mais en même temps, on ne peut pas dire qu’elle n’aime pas ses enfants. Elle est convaincue d’être dans le juste, et elle est prête à tout pour protéger sa famille  » (dixit Aja dans le magazine Mad Movies suscité), la maison-refuge, la forêt foisonnante, épaisse et confondante, de jour comme de nuit, magnifiée par une superbe photo signée Maxime Alexandre), on sent bien que c’est un film post-pandémie Covid-19 (c’est une famille en huis clos qui se protège d’une menace fantôme extérieure généralisée) qui parle de l’Amérique contemporaine coupée en deux, avec deux camps antagonistes (le Parti démocrate et le Parti républicain), outrageusement repliée sur elle-même, et à forte tendance bigote, comme alimentée par un sombre obscurantisme religieux ; toujours dans le même Mad Movies, n°385, Aja, non sans clairvoyance, notait ceci (pp. 38-39) : « Et aujourd’hui, quand je m’intéresse à un scénario comme celui de Mother Land (…), c’est parce que j’y trouve une matière dramatique passionnante qui résonne avec ce que les Américains vivent actuellement. Mother Land, c’est littéralement la ‌"Terre de la Mère", celle-là même qui se voit maintenant violemment divisée. On a ainsi deux blocs opposés du spectre politique, mais qui agissent paradoxalement de la même façon dès qu’il est question de ‌"vérité" : chacun a la sienne et conteste avec virulence celle de l’autre. Pour ma part, je trouvais très stimulant d’explorer sur Mother Land ce terrain de la croyance – à laquelle vient se greffer un mysticisme de plus en plus prégnant – et aussi de retrouver des thématiques qui me parlent, comme celles de la faille, de l’héritage, des traumatismes et de la manière dont on parvient à s’en débarrasser. »

Puis, page 41, toujours dans la même revue cinoche, il poursuivait : « Je parlais tout à l’heure de cette Amérique coupée en deux. Mais en réalité le pays est divisé en trois, avec un autre groupe qui, lui, a décidé de se retirer totalement de la société et qui vit dans l’attente – le fantasme ? – d’un effondrement global. Ce désir de rupture – motivé par plein de raisons différentes, politiques et religieuses, entre autres – est tellement prégnant aux États-Unis que je trouvais ça intéressant de le traiter à travers le genre. Ce n’est pas nouveau, hein : le survivalisme nourrit depuis un moment déjà une multitude de fictions – je pense notamment à The Walking Dead -, et cette angoisse de la fin du monde est présente dans la culture populaire depuis au moins la guerre froide. »

Il s’agira de croire ou non au Mal en question, décrit par la mère (est-elle dans le juste ? Ou est-elle folle ?). Les deux gosses d’ailleurs, quant à cette « croyance », n’ont pas la même approche : une dualité – c’est le moteur de l'arc narratif du film - naît bientôt entre eux. Si l’un est sceptique (Percy Daggs IV, alias Nolan), se mettant peu à peu à douter de l'existence du Mal, car en fait leur mère est la seule à les voir, ces dites manifestations maléfiques dans le bois, s’interrogeant volontiers, voire s’opposant farouchement à elle lorsqu’elle veut s’en prendre au brave chien du trio (entre nous, ils ont déjà bouffé de l’écureuil, puis assez souvent des insectes grillés, alors pourquoi pas un clebs, si attachant que soit celui-ci, nous sommes ici délibérément en mode survie), « Quand la corde s’est rompue, ça a changé quelque chose ? », son frangin Sam (Anthony B. Jenkins), lui, veut coute que coute croire sa mère-ogresse, alors possiblement gourou d’une petite cellule familiale, aussi il lui rétorque illico : « Pourquoi tu me demandes ça ? Maman nous a jamais mentis.  »

Le cinéaste confiait, au sujet de ce piège en eaux troubles (d'où vient le danger ?) : « On a d’abord évoqué la manière de restituer le regard des enfants et celui de Maman. La première différence entre les deux tient au fait que le Mal se manifeste dans l’univers de Maman, tandis qu’il en est absent dans celui de Samuel et Nolan. Maman est la seule qui le voit, mais on voulait maintenir cette tension à chaque fois qu’on filme les enfants  »

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Halle Berry (mommy June) dans « Mother Land » : proie ou prédatrice ?

C’est un univers de conte de fée lovant un film de survivalisme sur fond de monde post-apocalyptique (ou du deux, voire trois, en un : l’ombre d’une mini secte cachée dans une forêt passant pour maléfique ; l’enfance corsetée sous le joug de l’emprise maternelle, s’appuyant sur des règles établies et des rites fort discutables ; l’obsession tout américaine du foyer familial vanté, et vendu, comme Home, Sweet Home, alors qu’il s’agit visiblement d’une baraque paumée située dans un bois maudit).

Au fond, le pitch du film est des plus simplissimes : il était une fois une mère et ses deux fils, ils étaient en sécurité tant qu'ils restaient reliés à la maison...

Cette maman protectrice maintient ses fils jumeaux, aimants, sous sa coupe, au sein d’une maison isolée dans la forêt avec, alentour, un mal extérieur redoutable tapi dans les bois : surtout ne pas s’en approcher et ne pas rompre le lien entre eux, l’union faisant la force. Comment ? Grâce à ce système rudimentaire de cordes, fixées autour de la taille, les reliant les uns aux autres avec comme base de départ et de ralliement, si la nature, hantée semble-t-il, devient soudain hostile, cette demeure en bois protectrice fonctionnant comme un cocon familial ; ainsi, bien sûr, il n’est pas interdit de voir cette corde, accessoire des plus symboliques, oscillant entre fil à la patte servant l’emprise maternelle, cordée en montagne libératrice et fil rouge continu de la protection rapprochée, allant de la toxicité qui phagocyte à l’amour débordant, comme un cordon ombilical.

Promenons-nous, donc, dans les bois (avec autorisation parentale), en compagnie de maman, en espérant qu’elle dise vrai. Le scénario, habilement, même si classiquement, joue sur les deux tableaux : l’univers malveillant de fin du monde décrit par la mère des deux gosses existe-t-il vraiment ou bien est-on dans une dérive doctrinaire, autrement dit sectaire, fomentée par une mère envahissante et tyrannique voulant extraire ses enfants du monde véritable de tous les jours en les maintenant, de manière autocratique, dans une réalité parallèle dont sa folie tire les ficelles ? Autrement dit, le mal décrit, par la mère, dans le cadre d’une famille monoparentale à tendance dysfonctionnelle (exit le père, disparu), est-il extérieur ou intérieur (en elle), façon le ver est dans le fruit ?

Foyer, doux foyer

C’est sylvestre à souhait, bien sûr, on pense au Village (2004) de M. Night Shyamalan, l’un des fleurons (horrifiques) du genre, revisitant malicieusement l’allégorie de la caverne de Platon où des prisonniers vivent enchaînés à l'intérieur de cette caverne depuis leur naissance (in La République, les apparences, surtout entre chien et loup, sont forcément trompeuses), ou encore, parce qu’il s’agit d’une mère étouffante phagocytant, pour le meilleur ou pour le pire, ses mômes, le tout dans un lieu complètement isolé (une maison dans un bois maudit), au Shining (1980) de Stanley Kubrick, la puissance démiurgique - et le sublime de la nature - tout de même en moins, d’autant plus que le crépusculaire Mother Land pique quand même deux ou trois bricoles à ce canonique Shining, adapté du grand Stephen King, dont le chapitrage frontalement affirmé à l’écran, les plans en plongée sur la forêt ou encore l'acte photographique comme preuve d’un Ça a été, façon Roland Barthes (cf. la photo en noir et blanc vintage du bal du 4 juillet 1921 de l'hôtel Overlook), vers la fin du Aja attention spoiler la présence, via un Polaroïd filmé en plan rapproché, d’une main fourchue posée sur l’épaule du gamin Sam, aurait tendance à nous faire croire que le Mal existe vraiment, au sein de la forêt en question, puisqu’il a été capté par l’œil photographique, enregistrant froidement, avec objectivité et neutralité, la chose (maléfique, démoniaque).

Mais, dommage qu’à la fin de Mother Land, on reste de trop sur sa faim, sans mauvais jeu de mots, stagnant, en tant que spectateur, dans du surplace émotionnel : eh oui, il n’y a pas vraiment de twist vertigineux, comme quand Shyamalan est à son meilleur (Sixième sens, Le Village, Knock at the Cabin), et cette ambiguïté cultivée (la mère a-t-elle tout inventé ? Ou bien le Mal hante-t-il vraiment factuellement cette forêt ?) manque d'intensité dramaturgique, voire de profondeur, pour pleinement rafler la mise en nous séduisant à 100%. 

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Une mère vampiresque ? Halle Berry (June), dans l’un de ses meilleurs rôles au cinéma (avec « À l’ombre de la haine », « Meurs un autre jour », « Gothika » et « Cloud Atlas »), via « Mother Land » (2024, Aja)

En réalité, nous sommes dans un univers ambivalent, mi-réaliste mi-fantastique, où les deux interprétations sont possibles (le mal serait autant dû à des problèmes psychologiques et psychiatriques de la mère qu’à des phénomènes surnaturels, orchestrés par Pazuzu), même si, au vu de la photo polaroid filmée en gros plan, on pencherait plutôt in fine pour la deuxième solution, le tout étant un tantinet trop téléphoné ou restant trop en surface pour véritablement nous impressionner ou nous pousser, dans nos retranchements psychiques, afin de nous questionner longuement.

Dommage donc, car, quant au genre du film d’horreur, dans lequel il lui arrive d’exceller (cf. son chef-d’œuvre malaisant La colline a des yeux), Aja le prend au sérieux, ne sous-estimant pas sa puissance de frappe, tant dramaturgique que symbolique (il voit à raison, comme avant lui des Joe Dante, Wes Craven et autres George A. Romero, le film d'horreur comme un miroir (cathartique) du temps présent, in Mad Movies #385, p. 38, il précisait dernièrement, non sans finesse : « Toutes mes œuvres favorites - qu'elles soient cinématographiques ou littéraires - s'ancrent autant dans un registre - le fantastique, l'horreur, la science-fiction... - qu'elles se posent en miroir de la société. Et je crois que l'âge d'or que le cinéma de genre traverse aujourd'hui - jamais celui-ci n'aura été aussi puissant et représenté que depuis ces vingt dernières années, du moins aux États-Unis, où la production ne s'essouffle pas - s'explique en partie par cette capacité à commenter la société, une qualité qu'avaient aussi les contes des siècles précédents. Quand on se penche sur la production de genre actuelle, on y décèle une tendance presque cathartique à raconter l'époque, à nous faire réfléchir à ce que nous sommes. C’est en tout cas de cette manière que j’ai envisagé Mother Land, et un peu plus tôt Horns également. »

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Alexandre Aja (©photo Patrick Fouque, parue dans « Paris Match » n°3934 (26 septembre - 2 octobre 2024, in papier « A. Aja, le fils rebelle » par Fabrice Leclerc)

Et espérons, qu’à l’avenir, car au vu de son grand talent, il en a assurément les capacités, le maître français de l’horreur qu’est Alexandre Aja, tournant régulièrement avec de grosses vedettes (Halle Berry, mais aussi Kiefer Sutherland (Mirrors) ou encore Daniel Radcliffe (Horns)), le tout en s’aidant toujours de son complice scénariste Greg Levasseur, rencontré sur les bancs du lycée Montaigne à Paris !, nous surprenne, voire nous enthousiasme davantage, ce qui devrait être possible, à en croire le journaliste Fabrice Leclerc, écrivant ceci dans son article intéressant « Alexandra Aja, le fils rebelle », in Paris Match #3934 (sept. 2024), avec une Bardot incandescente en couve, période Saint-Tropez 1960 : « Aujourd’hui, Aja regarde presque avec gourmandise le cinéma français s’ouvrir à d’autres univers, de Julia Ducourneau (Titane, récompensé à Cannes) à Sébastien Vaniček (Vermines). Et s’il continuait sur la voie de Mother Land, sortir du pur film d’horreur pour explorer d’autres types de cinéma ? À 46 ans, l’envie semble poindre : ‌"Plus ça va et plus je suis attiré par le questionnement, la réflexion qu’on peut trouver dans le fantastique ou la science-fiction." Il confie qu’il réalisera avec plaisir le second volet de Crawl et ses alligators tueurs. Mais évoque un autre projet, français celui-là, sur lequel il planche depuis longtemps : une adaptation des Fleurs du mal de Charles Baudelaire. ‌"Une sorte de biopic de genre", sourit-il.  »

Croisement on ne peut plus improbable, à la lisière de ce qu’on appelle de nos jours le « genre bending », à savoir une (con)fusion entre les genres, au cinéma ou à travers les séries télé, admise par les spectateurs que nous sommes, agréablement ballottés d’un genre à l’autre, comme a pu le faire dernièrement assez brillamment Jacques Audiard, avec son réussi Emilia Pérez, qui soit dit en passant représentera la France aux prochains Oscars, nous trimballant allégrement, et ce non sans émotion, du polar poisseux à la comédie musicale enlevée, en passant par le thriller depalmesque (cf. le splitscreen), la quête identitaire trans (un baron de la drogue mexicain devient une femme) et le mélo almododóvarien flamboyant, aux allures pop, qui lorgnerait, gaiement ou tragiquement, vers la telenovela haute en couleur. Affaire « ajesque » à suivre, donc. 

Mother Land (Never Let Go), 2024 – 1h41, États-Unis. Couleur. D’Alexandre Aja. Produit par 21 Laps Entertainment et Media Capital Technologies. Distribué par Lionsgate (États-Unis) et Metropolitan Filmexport (France). Avec Halle Berry, Anthony Jenkins, Percy Daggs, William Catlett, Matthew Anderson, Mila Morgan. En salles depuis le 25 septembre 2024.


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