Pierre Soulages peint le noir. Dit comme ça, on se dit : « Déjà qu’on broie du noir avec la situation actuelle, bof ! ». Sauf que c’est tout le contraire, avec le noir, les brous de noix, les bleus sombres, Pierre Soulages met en valeur lalumière. (...)Vous pensez que ces tableaux ne peuvent séduire que des bobos intellos branchés – genre : passer une heure devant un mur noir, en s’extasiant : « c’est fort, c’est très fort » - or, c’est tout le contraire. En découvrant l’œuvre de Pierre Soulages, on se dit « Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! ».
http://pierrethivolet.blogspot.fr/2014/05/musee-soulages-rodez-un-moment-de.html
Après les « Bleus » hier à Clairefontaine, François Hollande fera aujourd’hui dans le noir ou mieux les « ultranoirs ». Le Président inaugure le nouveau Musée Soulages à Rodez au cœur de l’Aveyron. C’est le pays natal de ce peintre, l’un des artistes français les plus côtés au monde.
« Après les bleus, le noir ». « Broyer du noir » : Les jeux de mots sont faciles. Pourtant, c’est un pari formidable qui est fait là, un Musée à taille humaine, pas prétentieux, totalement justifié parce que Pierre Soulages s’explique aussi par les paysages, les schistes et les granits, les lumières de son pays natal. Au-delà, il y aussi cette idée qu’un investissement culturel peut servir de moteur pour relancer l’économie et ancrer dans la modernité une région restée un peu retrait jusque là.
A 94 ans, Pierre Soulages, bon pieds bon œil avec son épouse Colette, assiste à l’ouverture de ce musée qu’il avait longtemps refusé parce qu’il ne voulait surtout pas d’un mausolée égocentrique. C’est un beau bâtiment simple, couleur rouille, roche, et qui rassemble une partie de l’œuvre du « maître du noir ».
« Maître du noir » : Vous vous dîtes « ce n’est pas pour moi ! ». « Ca va être chiant, c’est de l’art abstrait difficile d’accès ». « La Joconde, ou Picasso, au moins là je comprends ».
Mais ce n’est qu’une apparence, et il faut non pas faire le détour mais aussi le voyage à Rodez pour aller (re)découvrir une œuvre, une démarche artistique vraiment géniale.
Pierre Soulages est d’abord une personnalité lumineuse. Par sa stature physique même, 1m90, ancien rugbyman (on n’est pas en Aveyron pour rien), crinière blanche, la classe à 94 ans ! .
C’est un conteur, passionnant qui mieux que personne, explique sa peinture, sa manière de travailler la matière-peinture, parle de ses rencontres avec les plus grands artistes du XXème siècle. Il parle avec un accent rocailleux comme - et là continuons dans les clichés - les roches et les plateaux de l’Aveyron, de l’Aubrac, vous savez ces étendues avec de superbes vaches, Laguiole, fromages, couteaux et cie !
Pierre Soulages peint le noir. Dit comme ça, on se dit : « Déjà qu’on broie du noir avec la situation actuelle, bof ! ». Sauf que c’est tout le contraire, avec le noir, les brous de noix, les bleus sombres, Pierre Soulages met en valeur la lumière. Ses tableaux dont certains sont monumentaux, sont faits de matière noire qui a des reliefs, des épaisseurs qui « accrochent » la lumière et mettent en valeur les couleurs. Vous pensez que ces tableaux ne peuvent séduire que des bobos intellos branchés – genre : passer une heure devant un mur noir, en s’extasiant : « c’est fort, c’est très fort » - or, c’est tout le contraire. En découvrant l’œuvre de Pierre Soulages, on se dit « Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! ». Et d’ailleurs, une des réalisations les plus géniales de ce peintre sont les vitraux de l’Abbaye de Conques, une des plus belles églises romanes d’Europe, située à 50 km de là.
Il y a 30 ans, Jack Lang avait eu l’idée de demander au « maître du noir » d’en concevoir les vitraux. Vous vous rendez compte : Que faire dans un bâtiment millénaire, classé au Patrimoine mondial de l’humanité ? Tout sauf du kitsch, du « à la mode », et évidemment, pas du noir. Le génie de Pierre Soulages a été de jouer sur les différences de réfraction de la lumière par le verre. De l’extérieur, les vitraux sont opaques, presque minéraux. De l’intérieur, c’est l’inverse, des jeux de lumière provoqués par des assemblages de vitraux transparents, mais qui de qualité et d’épaisseurs différents, créent des jeux de couleurs. Tous les cartons de cette réalisation se trouvent expliqués au Musée de Rodez.
La ville de Rodez attend beaucoup de ce nouveau Musée. On peut appeler cela le syndrome Guggenheim Bilbao, Pompidou Metz, Louvre Lens ou MUCEM Marseille.
Ce n’est pas gagné.
Parce que contrairement aux exemples précédents, il s’agit d’un Musée essentiellement consacré à seul peintre, qui est moins immédiatement grand public, en tout cas dans l’impression que l’on peut en avoir, qu’un Picasso.
Ce n’est pas gagné.
Parce que Rodez n’est ni Bilbao, ni Marseille, et qu’elle n’est reliée ni par autoroute, ni par TGV à aucune métropole.
Pourtant, avec ce Musée, elle vaudra au moins le détour. Entre le viaduc de Millau, à l’Est, formidable œuvre dessinée par Norman Forster, et qui met en valeur la géographie spectaculaire de cette région, avec Michel et Sébastien Bras, qui en voisins depuis leur restaurant 3 étoiles de Laguiole, ont ouvert un café-brasserie dans le nouveau Musée, avec Conques, et son abbatiale et son village perchés dans un coude du Dourdou, à 50 kilomètres à l’Ouest, Pierre Soulages et son musée valent même le voyage.
Un moment de lumière dans un monde de brutes qui broie du noir. Quelques heures pour toucher ce que peut être la beauté. On en ressort plus intelligent et avec la banane !