N’en fait-on pas trop avec « Tetro » ?
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Face au film-mastodonte qu’est le blockbuster stellaire Avatar, le film intimiste en noir & blanc qu’est Tetro, sorti en salles depuis le 23 décembre, apparaît comme un tout petit film d’auteur signé par un artiste qui débuterait dans le métier. Il est pourtant signé du grand Coppola, le cinéaste expérimenté et génial des Parrains, du fantastique Apocalypse Now et de pépites filmiques telles Conversation secrète [1], Rusty James et autres Tucker. A dire vrai, on attend depuis tellement longtemps le VRAI retour de ce grand cinéaste (il a traîné durant des années un projet filmique pharaonique intitulé Megalopolis - titre qui parle de lui-même - et il nous est revenu en 2007 avec un « petit » film tourné en Roumanie, L’Homme sans âge) que d’aucuns ne manquent pas de vouloir à tout prix voir en Tetro, je cite, « le grand retour de Coppola ». Les Cahiers du cinéma en font leur couverture (n°651) avec pour légende « Coppola, retour au sommet » (Tetro arrive même 6ème de leur Top ten 2009 - chapeau Francis, t’es trop !), et un peu partout, dans la presse papier ou web, chacun y va de sa petite musiquette verbale pour entrer dans la ronde des critiques élogieuses, risquant d’être ainsi au bord de l’aveuglement que peut causer l’adhésion paresseuse à la sacro-sainte politique des auteurs ; politique qui veut que, quel que soit l’opus signé par un cinéaste reconnu, on place aussitôt sa dernière production dans le droit fil de ce qu’il a pu faire auparavant, on juge donc celle-ci à l’aune de ses films précédents, ce qui peut entraîner, regrettablement, de légitimer n’importe quelle daube à partir du moment qu’elle est signée par un « grand » - un exemple, certains derniers De Palma (Femme fatale, Le Dahlia noir) sont loin d’être convaincants et pourtant, aux Cahiers, dans leur ancienne équipe (renouvelée en septembre 2009), certains ont soutenu mordicus qu’il s’agissait de grands films et d’un grand De Palma maniériste et patati et patata. Sans être aucunement un mauvais film, je crains que le dernier Coppola, Tetro, d’une élégance filmique indéniable (grâce notamment à un superbe noir & blanc et à une musique mêlant habilement airs latinos et accents opératiques), souffre du même syndrome de la critique en état critique : en faire trop à l’égard d’un film, aimer un artiste au point de se risquer à le surestimer et apprécier un film davantage pour le méta-cinéma auquel il renvoie (la biographie de l’auteur, le parfum mythologique qu’il trimballe avec lui) que pour ledit film en question. D’autres exemples de surenchère de la critique à l’égard de Tetro ? « Victoire par chaos ! » (Libé), « Coup de cœur » (Télérama), « Voici bel et bien une œuvre majeure. » (UGC illimité) et autres « Un grand Coppola » (Le Nouvel Obs). Play it again ?
« Chaque famille a un secret », c’est la catchline de l’affiche de Tetro et elle est effectivement fidèle au film. Tetro/Vincent Gallo, écrivain maudit, se veut être un homme sans passé. Exilé à Buenos Aires, il a rompu tout lien avec sa famille, notamment avec un père tout-puissant, chef d’orchestre égoïste et vampirique. C’est alors que débarque en Argentine son jeune frère matelot, Bennie, à la recherche de son frère aîné. Le petit frère veut absolument comprendre la fuite en avant de son grand frère ainsi que l’histoire en eaux troubles de leur famille, ce récit tragique finira par les mots suivants : « Qu’est-il arrivé à notre famille ? », et Tetro de répondre - « Rivalité ». A dire vrai, cette histoire familiale, sur fond de théâtre, de ballets et d’opéras en clins d’œil à Sirk, Minnelli et Powell, n’est pas déplaisante à suivre car, on le sait, Coppola est par excellence le cinéaste de la famille, rappelons par exemple la figure tutélaire et écrasante du père, au sens large, dans Le Parrain (Don Vito Corleone pour Michael/Pacino) et dans Apocalypse Now (le colonel Kurtz-Brando pour le capitaine Willard-Martin Sheen), ou encore la fascination qu’exerce le grand frère, Motorcycle Boy (Mickey Rourke), sur le jeune Rusty James (Matt Dillon) dans Rumble Fish (1983).
Tetro (du 3 sur 5 pour moi) n’est pas déplaisant à suivre parce que Coppola est un cinéaste-artiste et, qu’esthétiquement, le film est séduisant. Les trouées de lumière, les ampoules électriques qui battent de l’aile, les cliquetis qui ponctuent la bande-son et qui évoquent des phalènes qui papillonneraient dans un verre en cristal restent longtemps en tête et participent de cette impression que la lumière, dans une vie d’artiste et d’homme, est à double tranchant : d’un côté, c’est la lumière de la scène, les feux de la rampe, l’envie pressante d’être exposé sous les sunlights pour vivre son quart d’heure de gloire et, de l’autre, c’est la lumière aveuglante de la vanité - on la recherche tellement qu’on peut finir par se faire phagocyter par elle, tels les lapins pris dans les phares des voitures. Ainsi, la séquence de l’escapade en voiture pour se rendre au festival fantoche qu’est un certain festival d’art en Patagonie (grand-guignolesque à souhait), et où l’on voit un Gallo aux lunettes noires réfléchissant le blanc aveuglant de glaciers pointant à l’horizon, est, à mes yeux, le plus beau passage du film : ce blanc miroitant est à la fois signe d’éclat et mirage de la vie. On retrouve là le grand Coppola, celui qui sait avec brio faire naître le fond d’une forme choisie élaborée. L’image qui fait sens (on se souvient encore du coucher de soleil d’Outsiders ou des néons éblouissants de Coup de cœur), Coppola maîtrise parfaitement cet alliage, mais hormis cette belle séquence diaphane, Tetro, par rapport au cinéma expérimental qu’était le trépidant Rusty James (« un film d’art pour adolescents », Coppola), me déçoit.
Certes, le twist [2] final fait son effet, mais l’ensemble a un côté quelque peu poussif, vieillot, ampoulé, au bord par moments du pathos et de la grandiloquence plutôt gênante. Le film est loin d’être exempt d’un certain sur-lignage. Par exemple, la scène où le jeune marin a du mal à s’endormir chez le frangin bougon est découpée assez platement, on pourrait se croire dans un cinéma storyboardé façon le Besson publicitaire d’Angel-A. Et le finale des funérailles du père, où l’on voit Gallo prendre la baguette de chef d’orchestre de son père pour la remettre à son oncle, a une lourdeur symbolique qui plombe un peu le film. Autres écueils, l’histoire se passe à Buenos Aires, dans le quartier de
Certes, c’est fascinant de voir un grand cinéaste comme Coppola, qui a eu sur le dos des blockbusters à plusieurs millions de $ (Le Parrain, Apocalypse Now, Dracula), revenir avec un petit film fait avec un studio ambulant qui peut tenir dans un camion (Coppola a entièrement fabriqué son film en Argentine). Ça donne une espèce de plus-value créative à Tetro. Certes, c’est passionnant pour les cinéphiles de décrypter l’histoire du film en l’éclairant par le parcours du cinéaste (Coppola a toujours admiré son frère aîné ; il a perdu un fils en 1986 ; il a connu un père (Carmine) flûtiste solo de Toscanini ; ses enfants (Roman & Sofia) font du cinéma malgré son ombre dévorante), mais il n’empêche que ce sous-texte et ce méta-cinéma qui cohabitent avec le film lors de sa projection ne doivent pas faire écran pour évaluer le film pour ce qu’il est réellement : selon moi, Tetro est un petit Coppola, courant loin derrière certains films géniaux de l’auteur. Bref, n’en déplaise à ceux qui confondent trop souvent travail de critique et pratique d’attaché de presse, j’attends toujours le grand retour de Francis Ford Coppola.
[1] En reprise actuellement au cinéma Le Nouveau Latina (Paris, 4e) pour deux semaines.
[2] ATTENTION SPOILER : coup de théâtre qui révèle que Bennie n’est pas le frère de Tetro mais son… fils, que ce dernier a eu avec une petite amie danseuse que lui avait chapardée son ogre de père.
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