Nadar, l’Anar

Ce Lyonnais rouquin, né en 1820, s’appelait en réalité Gaspard-Félix Tournachon, et son joli pseudo prouve qu’il avait un sens aigu de la communication.
Génial touche à tout, il était caricaturiste, éditeur, écrivain, aéronaute, agent secret, inventeur…et bien sur photographe.
La commémoration du centenaire de sa disparition, le 21 mars 2010. à part une exposition au Château de Tours, est hélas passée assez inaperçue. lien
Muni d’un diplôme de l’école des mines de st Etienne, il entame des études de médecine, qu’il doit abandonner pour nourrir sa famille, à la disparition prématurée de son père.
A 16 ans, il se met à fréquenter les milieux du journalisme lyonnais, faisant des petits travaux d’écriture pour différents journaux, avant de tenter l’aventure, en « montant » à 17 ans, à Paris.
Du « journal des dames et des modes », il passe à « la revue et gazette des théâtres », puis entre au « négociateur », et enfin à « l’audience ».
Il a 19 ans, et prend le pseudo de Nadar. lien
Sa bande de copains s’appellent Eugène Labiche, Léon Noel, Asselineau, Antoine Fauchery, Auguste Privat, Jules de la Malène, Alfred Fancy…
Ce dernier vient d’hériter d’une somme coquette : 6000 francs.
Grâce à lui, Nadar, avec Léon Noel, crée une revue luxueuse « le livre d’or » dont il sera le rédacteur en chef.
il va s’assurer la collaboration d’Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Balzac, Alfred de Vigny, Daumier, Gavarni…que du beau monde.
L’aventure sera de courte durée et le journal s’arrêtera hélas au numéro 9. lien
A 23 ans, il connait une vrai vie de bohème, le froid, la faim, le vagabondage et il pratiquera des métiers plus ou moins avouables : braconnier, sténographe, marchand de poussier de mottes, aide sculpteur, secrétaire de député, et fabriquait notamment des tuyaux de pipe, avec des tiges de sureau, qu’il avait ramassé en plein bois de Boulogne, tuyaux qu’il allait ensuite vendre dans les bureaux de tabac.
Commence alors pour lui une petite carrière littéraire : son premier conte, « l’indienne bleue », parait en 1845, puis il enchaine sur la caricature qui va contribuer largement à le faire connaitre.
Du « Corsaire Satan », au fameux « petit journal », en passant par « la silhouette », « le voleur », ou « le Charivari » il acquiert une jolie notoriété.
Ses caricatures se vendent aujourd’hui de petites fortunes : en 2004, son autoportrait étonnant s’est vendu 148 000 € à Drouot ! lien
Mais Nadar à d’autres passions.
Il aime la peinture.
Il a pour ami une trentaine de peintres, lesquels avaient déjà subi l’humiliation d’avoir été refusés lors du salon de la peinture, ce qui a provoqué le « salon des refusés ».
Onze ans après, Nadar reçoit Louis le Roy, un « critique d’art » qui œuvre dans le journal « Le Charivari », et qui s’est moqué du tableau de Claude Monet, « impression soleil levant ».
Ce critique a rédigé un article au vitriol avec pour titre « l’exposition des impressionnistes » afin de les ridiculiser.
Convaincu de la finesse de son esprit, Il écrit : « impression, impression, j’en étais sur. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans ».
Les peintres moqués vont reprendre la balle au bond, et retourner la critique contre son auteur, en se déclarant publiquement « Les Impressionnistes ».
Aujourd’hui, presque tout le monde à oublié le nom de Louis le Roy, par contre ceux dont il se moquait, sont célèbres dans le monde entier.
Juste retour des choses.
Nadar mettra à leur disposition son ancien atelier afin qu’ils tiennent leur premier salon, le 15 avril 1874.
Ce sont Boudin, Degas, Cézanne, Caillebotte, Monet, Pissarro, Renoir, Sisley etc. et ils prendront pour nom « la société anonyme coopérative d’artistes-peintres, sculpteurs, graveurs et lithographes ». lien
Il n’y aura guère que Manet et Corot pour refuser d’en faire partie. lien
Mais ce sont aussi pour Nadar ses photos qui lui ont assuré sa célébrité : aujourd’hui elles se négocient parfois au-delà des 1000 €. lien
Il se dit l’inventeur du portrait psychologique. lien
Sa galerie de portraits est éloquente : Victor Hugo, bien sur, mais aussi Alexandre Dumas, Pasteur, Sarah Bernhardt, Jean Jaurès, Claude Monnet, Charles Baudelaire, Rimbaud, Casimir Perier, Jules Verne, Mitchell Graeme, Gustave Courbet, Claude Debussy, Bakounine, Georges Sand, Alphonse Daudet etc.
Le seul qu’il se soit refusé à photographier, c’est Napoléon III. lien
Il est aussi l’inventeur d’un procédé photographique permettant des prises de vues dans l’obscurité.
C’est en quelque sorte l’inventeur du flash, puisqu’il conçoit de projeter un éclair de lumière en utilisant du magnésium, au moment ou il prend la photo. lien
Ses premières photos seront prises dans les catacombes parisiennes. lien
De la photo, il passe à l’astronautique, fabrique un ballon, et bien avant Yann Arthus Bertrand, cet « écolo » qui préfère voir la terre de loin, Nadar invente un procédé permettant les prises de vues aériennes, déposant son brevet le 23 octobre 1858. lien
Du coup, il est le premier photographe à avoir réalisé des photos aériennes, ce qui inspirera son ami Jules Verne pour son fameux « 5 semaines en ballon » appelant son héros Ardan, ce qui n’est rien d’autre que l’anagramme de Nadar.
D’ailleurs Jules Verne appartiendra plus tard à la « Société de Locomotion Aérienne au moyen d’appareils plus lourds que l’air », que Nadar fondera en 1863.
Sur ce lien, la première photo aérienne de l’histoire, au dessus du petit Clamart. lien
Quelques temps après, il fait construire « le Géant », énorme ballon de 45 mètres de haut, utilisant 6000 m3 de gaz pour le gonfler, et le 4 octobre 1863, à 5 heures du soir, 200 000 personnes assistent au décollage du ballon.
L’opération a couté très cher, et pour amortir définitivement les frais, il redécolle 15 jours plus tard. Envol malheureux qui provoquera des fractures aux deux jambes de Nadar, et un enfoncement du thorax de sa chère et tendre.
Ils étaient 9 à avoir pris place à bord de la nacelle. lien
De son lit d’hôpital, Nadar le visionnaire, écrit à son ami Victor Hugo.
« Il s’agit de s’envoler, comment ? Avec des ailes…pour que la navigation aérienne, qui est un songe, devienne un fait, nous n’avons qu’à construire une opération bien simple et bien petite : construire le premier navire », et Jules Verne lui répond indirectement en écrivant :
« Prenons pour devise la formule de Nadar : vive l’hélicoptère ! » lien
Plus tard, il monte toute une flotte de ballons, lors de la guerre de 1870, que Clemenceau utilisera à son profit pour quitter Paris, encerclé par l’ennemi. lien
Trois ballons vont être installés au dessus de Paris pour surveiller l’ennemi, et ils vont aussi servir à organiser des liaisons entre Paris et la province, en passant au dessus des lignes ennemies. lien
Sa flotte de 66 ballons va prendre des photos, faire parvenir des renseignements, déjà sur microfilms !
Engagé avec son frère dans la légion polonaise, il est arrêté par les prussiens, et une fois relâché va être engagé comme agent secret pour renseigner le gouvernement français.
Il est aussi anarchiste, ce qui est moins connu, et ce qui à l’époque était le fait de beaucoup d’intellectuels et d’artistes.
Courbet, Mallarmé, Pissarro, Elisée Reclu, Signac, Mirbeau, et beaucoup d’autres partageaient son engagement.
Il faut dire qu’à l’époque, l’anarchisme défendait surtout des valeurs de solidarité, et si l’antimilitarisme, l’anticléricalisme, l’anti-autoritarisme en étaient les valeurs, il y avait aussi le refus de la propriété privée, la promotion de l’éducation, la défense des libertés, et le renoncement au pouvoir. lien
D’ailleurs le célèbre anarchiste Elisée Reclu s’était engagé aux cotés de Nadar, dans la compagnie des aérostats.
Et pourtant, malgré tous ces succès, Nadar va se trouver ruiné. Il avait déjà connu la prison, suite à des dettes lorsqu’il avait 40 ans.
En effet, ses entreprises aéronautiques ont couté très cher, et connu de nombreux déboires,
Il s’installe au manoir de l’Ermitage de la foret de Sénart, mais même ruiné et malade, il y accueille ses amis, dans le besoin.
A 77 ans, il décide de retenter sa chance, et monte un nouvel atelier photographique à Marseille, devenant par la même occasion l’ami d’Alphonse Daudet.
Il va enfin connaitre la gloire, triomphant en 1900 à l’exposition universelle de Paris où, grâce à son fils, une rétrospective de son œuvre est présentée au public.
Il aura du attendre l’âge de 80 ans pour être enfin reconnu.
Comme aime répéter souvent mon vieil ami africain : « Le vieux se chauffe avec le bois récolté dans sa jeunesse ».
L’image illustrant l’article provient de « ‘clioweb.free.fr »
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