• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Naples à Paris, direction Le Louvre !

Naples à Paris, direction Le Louvre !

Si l’on n’a pas l’opportunité d’aller en vacances à Naples cet été, ville du Sud de l’Italie connue pour son caractère bouillonnant (le Vésuve, qui n’a pas craché depuis 1944, s’y trouve), son empreinte caravagesque et footballistique (L’Argentin Maradona est partout !), sa Camorra et ses sombres ruelles ainsi que pour ses églises à profusion, le musée du Louvre a l’excellente idée, et ce durant encore six mois (jusqu’au 8 janvier 2024, ©photos in situ V.D.), de nous y « conduire » par le truchement de l’art, via de grands maîtres fêtés tels Masaccio, Bellini, Michel-Ange, Raphaël, Titien, Caravage ou Guido Reni.

JPEG

JPEG - 61.8 ko
« La Chute des Géants », Real Fabbrica della porcellana di Napoli Filippo Tagliolini, 1785, biscuit de porcelaine, H 1,62 m

À l’initiative du Français Sylvain Bellenger, directeur depuis 2015 du musée italien, le Louvre, via l’action de sa directrice aussitôt enthousiaste, Laurence des Cars (« Une collaboration exceptionnelle : Naples s’installe à Paris pendant près de six mois »), et de Sébastien Allard, directeur du département des peintures, expose et ce sans contrepartie, si ce n’est que cela ne peut que favoriser une meilleure entente entre la France et l’Italie suite aux tensions entre le président Macron et Giorgia Meloni concernant la question de l’accueil des migrants (ne nous leurrons pas, l’art est aussi du soft power !), plus de 60 des plus grands chefs-d’œuvre du musée de Capodimonte qui est actuellement en travaux et dont le fonds repose sur l’héritage des Farnèse, situé en plein cœur de Naples, cité lovant le Vésuve sur la côte sud-ouest de l’Italie, parmi les plus grands de la peinture italienne, dont Caravage (1571-1610) et Ribera (1591-1652), qui ne sont pas, faut-il le préciser, Napolitains au départ ; on y trouve aussi, parmi maints joyaux picturaux, des dessins, sculptures, porcelaines et objets d’art, dont une hallucinante Chute des Géants, 1785 et années suivantes, en biscuit de porcelaine (les blockbusters pyrotechniques de superhéros américains peuvent aller se rhabiller !), ainsi qu’une impressionnante Cassette Farnèse, joyau d’orfèvrerie (1548-1561) des plus scintillants qui valait en son temps bien plus que bon nombre de Titien réunis ! 

JPEG - 68.9 ko
Coffret dit cassette Farnèse, 1548-1553, Manno di Bastiano Sbarri et Giovanni Bernardi, 1548-1561, argent doré, repoussé et ciselé, cristal de roche gravé, émail, lapis-lazuli

Feuilles frémissantes

JPEG - 54.2 ko
« Tête d’homme », par Michel-Ange (1475-1564), pierre noire, estompe. Partiellement piqué et incisé pour le report et le transfert

Cette grandiose collection du musée de Capodimonte, autrefois résidence des rois napolitains, est habilement distribuée au sein du Louvre. Elle prend place, dans ce temple de l’art gavé en ce moment de touristes subissant les grosses chaleurs, dans trois espaces : tout d’abord, la Grande Galerie/salon Carré/salle Rosa (aile Denon), où l’union des deux collections bat son plein via la présentation de la peinture italienne du XVe siècle au XVIIe siècle (ainsi Capodimonte vient combler des lacunes du Louvre tel un magnifique et poignant Masaccio exposé, La Crucifixion (1426, tempera et or sur panneau), artiste absent de sa collection), la salle de la Chapelle (aile Sully), qui réunit des sculptures, objets d’art et tableaux autour de l’héritage des Farnèse et le mécénat des Bourbons à Naples, dont la baroque Chute des Géants et l’éblouissante Cassette précédemment évoquées et, enfin, la salle de l’Horloge (toujours Sully), abritant dans une lumière idoine, à savoir tamisée, des dessins de la Renaissance, avec une pléiade de « cartons » italiens signés notamment Michel-Ange et Raphaël : ces papiers intimes, feuilles frémissantes marquées pour certaines par le passage du temps (on y voit des taches) et où souffle et mains de ces artistes légendaires s’y ressentent, sont, pour la plupart, des dessins grand format, aux contours quelquefois perforés, qui servaient de modèles pour des compositions picturales à venir ; l’auteur y pulvérisait de la poudre noire pour reporter les traits. Bref, on est dans la matrice de leurs créations et cela s’avère tant instructif qu’émouvant, voire magique, leur savoir-faire technique redoutable lorgnant vers les mystères de l’alchimie.

Joyaux de France et d'Italie

JPEG - 41.5 ko
Juste avant l’expo « Naples à Paris », Grande Galerie, mai 2023

Mais revenons à la Grande Galerie ! Le clou de cette expo, c’est assurément là. Au lieu d’être regroupés dans une salle spécifique, les trésors de Naples, comme tombés du ciel (la plupart des peintures dévoilées sont religieuses, invitant que l’on soit croyant ou non, de par leur grande force de persuasion artistique, à l’envolée lyrique ou métaphysique), se glissent parmi ceux du Louvre. Nous sommes ainsi invités à une sorte de jeu de piste, avec, heureusement, pour s’y retrouver dans ce dédale d’œuvres d’une richesse infinie, des cartons rouges (cartels de présentation), rouge comme la passion, ce qui va très bien à cette ville volcanique, capitale trimillénaire pompéienne et baroque ô combien éprise de centres d’intérêt divers dont le foot – carton rouge ! -, nous aidant à identifier facilement les peintures en provenance de Naples. Puis ce rouge rappelle le sang. Et c’est étonnant combien le circuit proposé, il faut être en jambes !, regorge de peintures violentes, où le rouge sang gicle de partout !

JPEG - 44.3 ko
Une visiteuse avant « Naples à Paris », Louvre, mai 2023

Pour l’anecdote, quelque temps avant la monstration de ces chefs-d’œuvre, vers fin mai, les visiteurs, non avertis, tombaient, dans cette fameuse galerie à la perspective vertigineuse, sur d’énigmatiques couvertures blanches qui cachaient, en fait, les tableaux napolitains de tout premier plan dessous - tiens, pouvait-on se dire (d’autant plus qu’à l’heure actuelle les musées classiques aiment, soi-disant pour la dynamiser, agrémenter leur collection en y incorporant de l’art contemporain dernier cri), voici… du conceptuel iconique au Louvre ! Ce blanc immaculé, à tendance virginal si l’on aime gloser, apparaissait alors comme de l’art minimaliste citationnel s’invitant soudain dans le département des peintures italiennes, qui n’en demandaient pas tant. Diantre, après le baron noir Soulages (1919-2022) et son outrenoir pénétrant exposé en grande pompe en 2019 dans le salon Carré, s’agissait-il alors de consacrer pleinement un plasticien contemporain en lui offrant sur un plateau (promotionnel) le Louvre, pourquoi pas un certain Giovanni di Bianco (nom inventé !), qui reconnaîtrait comme il se doit quatre influences majeures (Robert Ryman, Piero Manzoni, Christo, Claude Rutault) ? Avec amusement, il était difficile alors de ne pas penser à la bien connue pièce de théâtre Art (1994) de Yasmina Reza qui, l’on s’en souvient, racontait avec ironie le conflit inattendu entre trois amis de longue date réunis autour d’une toile blanche, argumentant autour de l’art comptant pour rien, oups pardon, contemporain : puissant ou fumeux ? Mais, si l’on veut se montrer positif ou soudainement inspiré, on pouvait voir à travers ces « linceuls » blancs au Louvre disséminés au sein d’une imagerie foisonnante et chiadée un geste radical, faisant curieusement largement écho aux nombreux drapés blancs comme neige, ainsi qu'à l'incontournable Voile de Veronique (cf. un détail du Portement de croix, vers 1500, peint sur du bois de peuplier par Biagio d'Antonio (Florence, 1446 - après 1508) pour la chapelle Antinori de l'église Santo Spirito de Florence), présents dans moult tableaux religieux alentour. Bref, c’était fin, ça se regardait sans fin : vertigineux, quoi !

JPEG - 52.6 ko
Détail de « Le Portement de croix », Biagio d’Antonio (1446-après 1508), peint sur bois (peuplier), vers 1500, collection du Louvre

Le Grand Tour

JPEG - 60.1 ko
« La Flagellation du Christ », 1607, Le Caravage, huile sur toile, 286 x 213 cm

Mais, trêve de plaisanterie, revenons à cette exposition d’envergure qu’est Naples à Paris, bénéficiant du concours du prestigieux musée napolitain (Capodimonte, jeune musée créé au milieu du XVIIIe siècle, réunissant idéalement mer, montagne et civilisation selon un Stendhal émerveillé, « Le royaume de Naples se réduit à cette ville, la seule d’Italie qui ait le bruit et le ton d’une capitale » (in Rome, Naples et Florence, 1826), mêlant trésors de France et d’Italie. C’est peu dire, en la parcourant, que l’on devine l’émotion palpable des visiteurs, en parallèle de la nôtre (celle-ci, vous l’aurez devinée), devant cette exposition inédite, avec quelques œuvres d’une telle puissance esthétique et émotionnelle que l’on reste sidérés devant : je pense par exemple à la Flagellation (1607) de Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Caravage (peintre voyou et maudit !), bloc monolithique virtuose comme surgi tout droit des ténèbres alternant avec brio le sacré et le profane (les trognes représentées font penser aux westerns-spaghetti de Sergio Leone ou à La Passion du Christ, 2004, film doloriste sanguinolent de Mel Gibson !), à la Danaé (1544-1545, huile sur toile) de Titien, à la composition parfaite maintes fois copiée mais jamais égalée, ou encore à l’éblouissante Transfiguration (vers 1478-1479, huile sur panneau) de Bellini, tableau cosmogonique par excellence (peinture magique à la spiritualité solennelle fonctionnant par strates successives, avec une fusion parfaite entre l’humain, le divin et le paysage ; la superbe blancheur du vêtement du Christ se détachant sur des tons automnaux mordorés baignant l’arrière-plan vénitien), authentique chef-d’œuvre intemporel, l’une des pièces maitresses de Capodimonte, dont le luxe de détails à la Mantegna, notamment pour représenter la diversité de la nature, ne déplairait certainement pas à des peintres figuratifs talentueux d’aujourd’hui très attachés à rendre le réel et ses vertiges sur leurs toiles, tels Julien Beneyton, Thomas Lévy-Lasne et Guillaume Bresson.

JPEG - 62 ko
« La Transfiguration », vers 1478-1479, Giovanni Bellini (1430-1516), huile sur panneau, 1,15 x 1,52 cm

Sébastien Allard, directeur du département des peintures, précisait à raison dans le journal du Louvre, Grande Galerie #63 (été 2023, p. 44) : « En proposant d’exposer les chefs-d’œuvre du musée napolitain au sein même des peintures du Louvre, dans la Grande Galerie, notre idée était d’offrir aux visiteurs un moment exceptionnel marqué par l’union de ces deux collections insignes. Ce qui a conduit à porter un regard critique sur la façon dont on présente, au Louvre, la peinture italienne, en soulignant les forces tout comme les limites de notre collection. L’hommage du Louvre à Capodimonte célèbre à la fois l’intensité des relations qui l’unissent aux institutions italiennes, nos premiers partenaires à l’échelle européenne, et la qualité extraordinaire des prêts consentis par le musée napolitain. (…) En raison des tribulations dynastiques qui ont marqué l’histoire de la collection Farnèse, en grande partie parmesane et romaine, Capodimonte conserve des œuvres napolitaines évidemment, mais aussi, en grand nombre, des œuvres vénitiennes, parmesanes, florentines, romaines… comme au Louvre. La présence des tableaux de Capodimonte vient donc offrir aux visiteurs des dialogues inédits que l’on ne reverra probablement pas de sitôt, notamment dans les domaines du nu avec Titien et Corrège et du portrait à la Renaissance. »

JPEG - 57.7 ko
Détail de « Nature morte avec poissons et autres animaux marins », 1671, Giuseppe Recco, huile sur toile, 260 x 340 cm

Naples à Paris, franchement, ça le fait ! Direction le Louvre, Paname, en passant par ce musée de Capodimonte, donc. Ses toiles, majoritairement distribuées dans les collections permanentes (Grande Galerie), accrochent irrésistiblement le regard, elles ne sont pas mieux que celles de l’institution parisienne (le Louvre a ses propres joyaux), mais elles ont peut-être un grain de folie en plus, la violence physique y est très présente, puis elles sont plus enclines aux couleurs éclatantes et à la démesure, voire à la dimension du sublime, alors que le goût français, certainement dans l’héritage d’un sage Poussin, se montre davantage sensible à la ligne claire et à la veine classique. Puis, quelle abondance visuelle ici ! On ne sait plus où donner de la tête tant les toiles de maîtres s’enchainent. À l’image de ce monumental amoncellement baroque de poissons façon corne d'abondance (Nature morte avec poissons et autres créatures marines, huile sur toile de 1671 par un certain Giuseppe Recco, à la portée écolo étonnante : une tortue géante retournée a encore l’œil ouvert pleurant), alternant en maestro des fourneaux - les tons sont magiques, au bord de l'électrique - le frais et le mortifère et dont la saturation de l'espace m'a rappelé une série du contemporain Philippe Cognée dans laquelle il agglomère aussi, en la figeant, dans ses tableaux à l’encaustique, de la poiscaille comme sur un étal de marché, ou encore Erró, héraut de la Figuration narrative, multipliant ad nauseam les images dans l’image saturée, tel un kaléidoscope de visuels étouffant.

JPEG - 49.4 ko
La Joconde au loin ! Louvre, le 7 juillet 2023

Alors, d'aucuns diront, pour la fluidité du regard, que ce serait mieux de les voir dans un espace approprié et calfeutré. Car, en effet, il y a trop de monde et quelques embouteillages (la superstar du site, La Joconde, est dans les parages, personne ne semblant regarder en face de Mona Lisa les pourtant phénoménales Noces de Cana, 1563, de Véronèse - quel dommage ! Soit dit en passant). Mais, pour ma part, j'apprécie comme ça. Le geste de cette manifestation n'en est que plus généreux. La peinture pour tous, quoi. Et surtout la peinture... vivante, fraîche : ne lui offrons pas un mausolée pour happy few, ou un camp retranché sélect, voire un mouroir si ce n’est un enclos en guise de tombeau, mais un boulevard, démocratique et populaire (c’est la vocation du musée d’État en tant qu’institution publique), pour le commun des mortels. C'est mieux, je trouve.

JPEG - 53.6 ko
« Caïn et Abel », 1612-1614, Lionello Spada, huile sur toile, 178,5 x 118 cm
JPEG - 43.9 ko
« Atalante et Hippomène », vers 1615-1618, Guido Reni, huile sur toile, 192 x 264 cm

Au fait, cette bonne vieille peinture, moyen d’expression de plus de 40 000 ans, art d’hier ? Que nenni, d’aujourd’hui. D’ici et maintenant même, tant certaines pièces dévoilées ici s’avèrent éminemment modernes. Caravage, par exemple, y est monstrueux, j’en ai déjà parlé, sa toile, fraîchement restaurée d’ailleurs, est effarante. Se remarquant de loin, telle une évidence plastique ou une arme de séduction massive : qui peint encore puissamment comme ça de nos jours ? Me suis-je aussitôt demandé devant. Personne ! Il semble y jouer sa vie, ne lâchant rien, c’est cela certainement qui rend sa peinture, offrant une scénographie érotisée fonctionnant telle une chorégraphie, si vivante et son Christ supplicié, que seule surplombe une colonne plongée dans la nuit obscure, si poignant, si proche de nous, bref si humain, avec sa chair rougie par endroits par les coups de ses bourreaux, sales, grimaçants et sadiques, dont l’un, accroupi, dans la partie inférieure du tableau, lie des fagots pour confectionner un autre fouet.

JPEG - 46.8 ko
Détail de « La Flagellation » par Caravage

Mais d’autres artistes présents ne déméritent pas pour autant, tels un splendide Guido Reni aux raccords couleurs (bleu nuit du fond, rose poudré des chairs, violine du tissu) à tomber par terre (Atalante et Hippomène, vers 1615-1618, on pense à Garouste, en mieux), un Spada (Caïn et Abel, circa 1612-1614) aux contours et contrastes si marqués, presque à la Tamara de Lempicka, la peintre préférée de Madonna, un grotesque et fellinien Ribera (Silène ivre, huile sur toile, 1626), un hiératique portrait, signé Parmesan, de jeune femme, dite Antea (huile sur toile qui fait l’affiche de cette expo collective d’importance, circa 1535), dont les yeux de chat mystérieux font malicieusement écho à ceux du rongeur, posé sur son vêtement et qui semble comme une extension de son gant - quelle bizarrerie, on dirait de la mode contemporaine !

JPEG - 47.4 ko
« Silène ivre », 1626, Jusepe de Ribera, huile sur toile, 185 x 229 cm

Rouge sang à la sauce napolitaine

JPEG - 40.4 ko
« Apollon et Marsyas », vers 1660, Luca Giordano, huile sur toile, 205 x 259 cm

« Vois Naples et puis meurs » (« Vedi Napoli e poi muori », dit un célèbre proverbe. Et si c'était vrai ?, tant cette ville d'Italie - certes, ce n'est pas la seule ! - regorge, entre Baroque et Lumières, clarté divine et obscurité des mafiosi (cf. le film Gomorra (2008 avec la devise de la Camorra : « Une seule loi : la violence. Un seul langage : les armes. Un seul rêve : le pouvoir. Une seule ivresse : le sang »), de splendeurs, tant en ce qui concerne ses paysages que ses richesses artistiques ainsi que ses ruines, voire la mort. Puis, la preuve en images, la violence, tant psychique que physique, semble inhérente à cette cité chaude du Sud. Quelques exemples, il y a tout d’abord ce splendide Apollon et Marsyas (huile sur toile, 1660) de Luca Giordano, peintre encore trop méconnu exposé il n'y a pas si longtemps au Petit Palais via une rétrospective remarquée, présentant, dans sa partie basse (encore une fois, la scène est violente, Naples à l'époque ou pour toujours, via notamment sa pierre rougeoyante volcanique, ça semble être Mean Streets !), un visage hurlant avec un pied vengeur qui écrabouille. Au cinéma, séquence choc, il y aurait un jeu de montage, avec possiblement du Hans Zimmer à fond, en Dolby Surround, dans les oreilles. Pas là, tout nous est donné en une seule fois. Tel un uppercut visuel. Ou un haïku, si c'était de la littérature… C'est une image très forte. C'est de la peinture dans son langage universel, on pense alors au Picasso humaniste percutant de Guernica ou à L'Enlèvement des Sabines du même, ou bien signé Poussin ou David, prestigieux Français du Louvre. Bref, on est dans la cour des grands, dans la crème de la crème, c'est ici du très haut niveau de peinture. Que vient confirmer également, un peu plus loin, une splendide Sainte Agathe (vers 1640, huile sur toile), signée Francesco Guarino : à mi-corps, une jeune femme, aux yeux emplis de larmes, se détache sur un fond sombre, une partie de son visage, au teint livide, est dans l’ombre, elle tamponne sa poitrine avec un tissu blanc imbibé de sang. Quel superbe tableau, avec un côté Delacroix (je pense à sa Jeune orpheline au cimetière, 1824, Louvre), je trouve. Certainement du fait de son romantisme avant l’heure, « avec un fond de maladie » rajouterait Nietzsche, de sa composition ainsi que de la pose alanguie du modèle. La figure de cette femme martyre, avec des yeux plissés tout en clair-obscur très expressifs (cette peinture s’inscrit dans le parcours après le ténébrisme, foyer artistique bouillonnant du Sud de l’Italie, des grands maîtres en la matière qu’étaient Caravage et Ribera), est très beau : souffrance, interpellation - façon regard caméra, regardez ce qu’ils m’ont fait - et sensualité. Cette héroïne se tient la poitrine ensanglantée car, mentionne son cartel, cette Agathe, née à Catane en Sicile au IIIe siècle, fut condamnée à l’ablation de ses seins parce qu’elle refusait de faire des sacrifices païens, tout en repoussant les avances du proconsul romain, ne reniant pas sa foi. On a mal pour elle, le cartel ajoutant : « La représentation de son martyre, à peine suggéré par la chemise tachée de sang, laisse la place à une émouvante jeune femme. La récente restauration de cette toile a mis en lumière une palette d’un grand raffinement. »

JPEG - 73.2 ko
« Sainte Agathe », vers 1637-1640, Francesco Guarino, huile sur toile, 87 x 72 cm
JPEG - 44.6 ko
« Judith décapitant Holopherne », vers 1612-1613, Artemisia Gentileschi, huile sur toile, 158,8 x 125,5 cm

En termes de femmes fatales au caractère bien trempé ornant actuellement les cimaises du Louvre, on n’oubliera pas non plus Lucrèce (1540, huile sur toile, dernière œuvre du Parmesan) qui, après avoir été violée par Sextus Tarquin, préfère se donner la mort, et la sanguinaire Judith décapitant Holopherne (huile sur toile) par la tempétueuse Artemisia Gentileschi (1593-1656) au rouge sang bolognaise des plus envoyés - ouf, enfin une femme dans le parcours ! Ce qui était rarissime à l’époque, en tout cas dans les cercles officiels ; cette femme peintre redécouverte depuis quelque temps, notamment par le biais du film réussi Artemisia (1997) d’Agnès Merlet, qui réunissait Valentina Cervi et Michel Serrault, est accrochée en face de son père, Orazio Gentileschi. Peinture saignante et vengeresse d'Artemisia, marquée à la fois par les caravagesques romains (il en existe une version peinte par Caravage à Rome) et par un trauma autobiographique : elle fut violée, précise le cartel, par Agostini Tassi, collaborateur de son père Orazio. Ici, il s’agit de Judith, une jeune juive qui se présente à Holopherne, le général de Nabuchodonosor qui assiège la ville de Béthulie depuis des jours, en étant fermement résolue à lui couper la tête pour libérer son peuple. 

JPEG - 43.7 ko
« Lucrèce », 1540, Parmesan, huile sur panneau, 68 x 52 cm

Baba de cette expo

JPEG - 37 ko
« Portrait d’une jeune femme appelée Antéa », vers 1535, Parmesan, huile sur toile, 138 x 86 cm

On suffoque un peu, avouons-le (le syndrome de Stendhal n’est peut-être pas actif qu’à Florence !), pendant le périple, en tout cas pour ma part. Car nombre de peintures sont renversantes, voire follement émouvantes. Et la chaleur estivale du moment échauffe pour le moins les esprits – il y serait aussi question ailleurs, autrement dit par le biais d'un autre angle (ou pas de côté), de la chair de la peinture et du désir à l'œuvre, mais ça c'est une autre histoire... Au final, à quoi sert une telle exposition festive célébrant des artistes du passé ? Eh bien, dans un premier temps, à nous émerveiller, en nous rappelant la force de l’art pour nous ébranler et nous questionner sur le sens de l’existence, puis, d’un autre côté, et ce de manière plus scientifique (histoire des arts), à susciter, via une pléthore de renvois, ajouts, récits, compléments et couronnements, un dialogue fructueux entre art, histoire et géographie en passant par le prisme d’une saison napolitaine s’épanouissant dans la capitale hexagonale. « Au-delà de l’éblouissement provoqué par la réunion de ces chefs-d’œuvre, ajoute Sébastien Allard dans le Connaissances des Arts hors-série Naples à Paris #1031 (p.7), l’exposition introduit une distance critique dans notre mode de présentation des collections de peintures italiennes et nous interroge sur nos forces et nos faiblesses. C’est une magnifique manière de préparer le réaménagement de la Grande Galerie qui aura lieu à partir de l’automne 2024. »

Cerise sur le gâteau, in fine, j’aurais juste bien aimé un… baba au rhum maison offert, spécialité napolitaine bien connue (dessert ô combien savoureux, créé dans cette ville gourmande vers la fin du XVIIIe siècle), pour faire encore mieux passer ces grandioses morceaux de peinture de toute évidence inoubliables. Assurément, je reviendrai voir Naples, au Louvre ou en allant directement sur place (par exemple, s’y rendre en train depuis Paris via Milan à partir de 108€ l’aller simple, une correspondance, durée 12h30), en passant bien entendu par le musée de Capodimonte quand il aura retrouvé ses flamboyantes collections, tout en espérant tout de même, et ce malgré le dicton préalablement cité, ne pas y mourir. E viva la pittura !

Naples à Paris, le Louvre invite le musée de Capodimonte : peinture, dessin, orfèvrerie… Jusqu’au 8 janvier 2024, musée du Louvre, Paris 1er, commissariat général : Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du musée du Louvre, et Sylvain Bellenger, directeur du Museo e Real Bosco di Capodimonte, www.louvre.fr Catalogue coéd. Louvre/Gallimard, 320 p. 42€.


Moyenne des avis sur cet article :  2/5   (19 votes)




Réagissez à l'article

3 réactions à cet article    


  • Areole Areole 19 juillet 2023 07:03

    « Antéa » : La beauté hypnotique du diable...Dieu qu’elle est belle ! 


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 19 juillet 2023 09:02

      @Areole
      Je confirme. smiley


    • zygzornifle zygzornifle 19 juillet 2023 09:38

      Normal, au Louvre la clim est bonne et vu la température dehors faut en profiter avant que les écolos-débilos aillent bomber les merveilles exposées .... 

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité