Napoléon le Menteur
« Si les lions pouvaient écrire, les livres ne seraient pas toujours à la gloire du chasseur »
Une fois n’est pas coutume : c’est mon vieil ami africain qui m’a suggéré cette entrée en matière.
C’est Napoléon qui l’avouait : « l’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord ». lien
C’est même un spécialiste de l’histoire napoléonienne, Philippe de Callatay, conservateur du Musée Wellington qui déclare : « quand les évènements lui étaient favorables les, Napoléon disait plus ou moins la vérité. Quand ils étaient défavorables, il disait n’importe quoi (…) Napoléon était un menteur et un dissimulateur ». lien
Bernard Coppens, un autre éminent spécialiste de l’Empire en a même fait un livre (Waterloo, les mensonges : les manipulations de l’histoire enfin révélées- éditions Jourdan )
A la lumière d’un article récent du journal « Le Point » Jean François Kahn révélait lui aussi cette réalité, faisant de Bonaparte, un habile manipulateur de l’histoire. lien
Il y raconte aussi comment la victoire de Wagram fut en réalité une défaite…et il accumule les exemples : la victoire de la Moskova fut la défaite de Borodino.Etc.
Le cœur des français imbibés de la glorieuse histoire napoléonienne fera sans nuls doutes des bonds en découvrant cet article, et pourtant l’histoire est cruelle, quant elle nous montre l’important décalage qu’il peut y avoir entre la réalité et la fiction.
Comment a-t-on pu arriver à une telle dérive ?
Si le héros se met en scène, et écrit à sa manière l’histoire qu’il voudrait que l’on retienne, et si sa cour de courtisans la confirme, comment ne pas en arriver à travestir la réalité ?
Lorsqu’il finit ses jours à Sainte Hélène, il s’emploiera à se forger une mémoire « éternelle » en dictant ses récits à son secrétaire Las Cases, dans son livre « le mémorial de Sainte Hélène ».
Comme l’a écrit Max Gallo : « Avec « le mémorial », il s’empare de l’avenir ». lien
Arcole ?…
Ce nom qui est dans la mémoire de tous les écoliers de France et de Navarre, synonyme d’une victoire serait en fait tout autre chose.
Le pauvre Bonaparte est tombé dans l’eau du fleuve « l’Alpone » en voulant franchir le pont. lien
Avouons que l’image d’un vainqueur trempé, pataugeant dans l’eau d’un fleuve est assez éloignée de celle que le héros a bien voulu donner de lui.
Barras qui raconte qu’il n’a dû son salut qu’au fait que les Autrichiens ne l’aient pas reconnu. lien
Et même si, par la suite, la victoire fut acquise, à un prix humain que l’on ne connait pas, elle s’en trouve évidemment ternie, d’autant que cette victoire en pointillé ressemble plus à une débandade contenue.
(Rappelons que les guerres napoléoniennes ont fait entre 2 500 000 et 3 500 000 morts suivant les sources (lien). La 2ème guerre mondiale en a fait 10 fois plus, mais avec des moyens autrement « performants ». lien )
Le général Kléber, lors de la campagne d’Egypte avait accusé Bonaparte d’abandon de poste, ce qui était une triste réalité.
Fâché, celui qui devint empereur par la suite refusa que la moindre sépulture honore celui qui avait eu le culot de le critiquer. lien
Voila une image peu glorieuse que nous avons maintenant d’un empereur vexé et rancunier, capable pour assouvir sa vengeance d’aller à la toute dernière extrémité.
Qui se souvient qu’au début de son ascension Bonaparte est jeté en prison, pour avoir eu des préférences pour Robespierre ?
Il venait d’être nommé général de brigade.
Après avoir été incarcéré à Antibes quelques temps, il est libéré et refuse d’aller lutter contre les Chouans, en Vendée. lien
Du coup, muni d’une modeste demi-solde, il vit dans une semi-pauvreté, et finit par trouver un emploi comme chef du bureau topographique.
Plus tard, sous le « Directoire », il fait partie du « conseil des anciens ».
Le directoire s’est donné une mission « éclairer le Monde », avec les valeurs qui sont les siennes, et par la force s’il le faut.
Et c’est Bonaparte qui en sera le bras armé.
Trafalgar ?...
Pour avoir voulu isoler l’Angleterre, dernier des bastions à prendre, Napoléon a voulu imposer un blocus, et comme le dit fort justement Philippe Masson : « par une ironie de l’histoire, au lendemain de l’échec de la bataille d’Angleterre de l’été 1940, Hitler en arrivera exactement à la même conclusion. Dans un cas, comme dans l’autre, le sort de la lutte entre la puissance navale et la puissance terrestre se jouera dans les immenses étendues de l’Est sur un énorme coup de poker » lien
Il restait bien encore quelques esprits lucides, tel le vice-amiral Descrès, Ministre de la marine qui dira un jour à Marmont : « voulez-vous que je vous dise la vérité, que je vous dévoile l’avenir ? L’Empereur est fou, tout à fait fou, et nous jettera tous, tant que nous sommes, cul par-dessus tête et tout cela finira par une épouvantable catastrophe ».
Il aura donc fallu deux siècles pour qu’une autre vérité se lève sur Napoléon.
Dominique de Villepin le raconte dans son livre : « La chute ou l’Empire de la solitude » (édition Perrin)
Il évoque les 500 000 morts de la bataille de Leipzig, en octobre 1813, lors de la retraite d’Allemagne, celle-ci ayant suivie celle de Russie.
Il brosse le tableau réaliste et cruel d’un empereur haï par les français, précocement usé, fatigué qui va exploiter sa défaite pour se forger une légende avec les 7 années d’échec qui s’achèvent. lien
Cet échec napoléonien a pour De Villepin, 3 raisons : le caractère illusoire de la puissance, la solitude du pouvoir, et les méfaits de l’esprit de cour.
On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec un autre autocrate, au pouvoir en France depuis 2007.
L’« impossible n’est pas français » napoléonien n’est dans le fond pas si éloigné que l’« ensemble tout devient possible » leitmotiv sarkozyste de sa campagne.
Jacques Bainville évoquait en 1931 le caractère de l’empereur dans son livre « Napoléon » (Arthème Fayard)
Les convergences avec Sarközi sautent aux yeux :
Tous les deux sont menés par une ambition démesurée, ils sont tous les deux habités par une frénésie perpétuelle et la ferme conviction d’avoir toujours raison.
Ils aiment s’entourer de grands spécialistes, et ensuite prendre seuls la décision.
Ils arrivent tous les deux dans une situation de crise, de découragement, de désaveu du peuple.
Ils sentent confusément qu’une seule chose peut les faire gagner, c’est séduire, c’est convaincre, c’est promettre, bousculer, être toujours plus direct, populaire, pour ne pas dire populiste.
La frontière entre un menteur et un bonimenteur est fragile…
Etonnant dès lors que Sàrközi n’ait pas fait sienne cette pensée de Napoléon : « le meilleur moyen de tenir sa parole est de ne jamais la donner ».
Comment oublier aussi que, doutant de la sincérité de ses courtisans, il ait préféré mettre à la tête des royaumes conquis des membres de sa famille.
Ainsi son frère Joseph est nommé Roi de Naples, puis Roi d’Espagne.
Mais ce que l’on oublie souvent, c’est que le peuple espagnol refuse ce roi imposé, s’arme de fourches, et Napoléon se montrera incapable de réduire cette guérilla populaire.
Pour la première fois, une armée napoléonienne capitule, et Napoléon fera tout son possible pour éviter que la nouvelle se propage. lien
Revenons à la famille :
Lucien sera ministre de l’intérieur, puis ambassadeur à Madrid, Elisa hérite entre autre du grand duché de Toscane, Louis aura le royaume de Hollande, Caroline sera reine de Sicile, Jérôme deviendra Roi de Westphalie.
(Pour l’instant, jean Sàrközi n’est qu’au conseil d’administration de l’EPAD…mais il briguerait une place de député en 2012. lien)
Celui qui est encore le deuxième personnage historique préféré des Français est aussi celui qui a rétabli l’esclavage des Noirs aux Antilles, et celui qui fit mourir de faim et de soif Toussaint Louverture, celui qui refusait aux femmes les mêmes écoles proposées aux hommes, celui qui a monopolisé tous les médias pour sa propagande, et fera disparaitre 60 journaux sur les 74 existants en 1800. lien
Claude Ribbe, dans son ouvrage « le crime de Napoléon » en fait le premier dictateur raciste de l’histoire : menant une croisade contre les Juifs, exterminant les Noirs, massacrant les Arabes et les Turcs, déportant les Tziganes. lien
Comme le dit Vincent Gaillère concluant l’analyse qu’il fait du livre de Jacques Bainville :
« la résonance lugubre de Waterloo ne tient pas seulement à la chute d’un homme. Elle signifie, pour les Français, la fin d’un rêve par un dur contact avec le monde extérieur ».
La suite on la connait : le Sénat qui l’a fait élire va voter sa déchéance.
Napoléon va signer son abdication, et tentera de se suicider en avalant du poison. Il sera sauvé de justesse par le marquis de Caulaincourt, et il devra quitter son empire pour devenir souverain de l’Ile d’Elbe.
On a les empires que l’on peut.
Mais l’être humain a ceci de particulier, c’est qu’il ne retient que rarement les leçons de l’histoire, car comme disait mon vieil ami africain :
« Quand on ne sait pas d’où on vient, on ne sait pas où on va ».
Image illustrant l’article : Napoléon à Fontainebleau, peinture de Paul Delaroche.
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