Ne tirez pas sur le pianiste de jazz !
Explorer des genres musicaux gratuitement est désormais possible grâce à des sites comme Deezer.com ou Jiwafm.fr. Mais quand ne connaît pas bien un genre, il est difficile de s’orienter et l’on peut se perdre très vite au milieu de la grande quantité des artistes et des titres offerts en écoute libre. Le seul guide étant les tops des ventes et les « playlists » des passionnés.
Cet article a pour ambition de présenter dix pianistes majeurs du jazz et de proposer des choix de fichiers sonores, pour illustrer leurs styles par l’exemple.
1 - Le pianiste Jelly Roll Morton était-il l’inventeur du jazz ?
Beaucoup le pensent encore aujourd’hui. C’est possible mais le caractère du personnage, passé maître dans l’art de se faire détester des gens qu’il rencontrait, n’a pas aidé à porter du crédit à cette hypothèse. Car Morton était menteur, joueur, parieur, tricheur et dragueur. Morton a été pianiste de bordel avant d’exceller avec sa formation de Red Hot Peppers. Sur ses cartes de visite, il affichait avec vantardise « Inventeur du jazz ». Il serait réducteur de considérer ce fanfaron comme l’inventeur du jazz. Cependant, il faut reconnaître qu’il a su libérer le ragtime. Pianiste de talent, il a inspiré le jeune Louis Armstrong, avec le morceau Froggie Moore, premier enregistrement d’une véritable improvisation de jazz. Jelly Roll Morton n’a pas tout inventé mais il a composé King Porter Stomp, dont les riffs annonçaient l’ère du swing. Ce morceau, dédié à un autre pianiste (Porter King), sera repris par de nombreux orchestres des années 30-40 comme Fletcher Henderson et Benny Goodman, et plus tard par Gil Evans. Le singulier et surprenant Jungle blues préfigurait le jazz modal (http://fr.wikipedia.org/wiki/Jazz_modal), voire des compositions comme l’emblématique My favourite things de John Coltrane.
Ecouter Jelly Roll Morton :
Jungle Blues : http://www.deezer.com/track/285045
King Porter Stomp : http://www.deezer.com/track/286393
2 - Duke du jazz et roi de la composition
Voué aux arts plastique (il a fait des études d’art décoratif) et grand fan de baseball, le jeune Edward Kennedy Ellington se fit tirer l’oreille pour jouer du piano qu’il commence à 7 ans. Il séchait les leçons particulières de sa professeure. Toutefois, influencé par ses parents, tous deux pianistes, il y viendra progressivement. Alors que Morton abusait du terme « jazz » en s’attribuant la paternité de ce genre musical, Duke Ellington préférait, paraît-il, (source Wikipedia) qualifier sa musique de « musique américaine » plutôt que de jazz. Alors que Louis Armstrong était le roi de l’improvisation, Duke Ellington était le roi de l’orchestration. Il avait l’habitude de composer sur mesure pour certains de ses musiciens en fonction de leurs particularités, ainsi le morceau Mood Indigo pour Arthur Whetsol. Il est l’inventeur de styles nouveaux comme le style « jungle » dans les années 20 et 30 (The Mooche, Mood Indigo, It Don’t Mean a Thing, Sophisticated Lady notamment). Duke Ellington intègre des rythmes latinos de Cuba et de Porto Rico avec son morceau Caravan. The Duke a composé beaucoup pour de grands orchestres et pour le cinéma. Il a écrit la musique du filme d’Otto Preminger Anatomy of a Murder avec James Stewart. Prelude to a Kiss est également célèbre et Take the « A » train figure au nombre de ses chefs-d’oeuvre. The Duke n’était pas un saint. Il se fit taillader le visage par sa femme Edna qui l’accusait de fréquenter plusieurs autres femmes. Dans son autobiographie, Music is my Mistress, Duke admet qu’il y avait toujours une belle fille installée au creux d’un piano.
Ecouter Duke Ellington :
The Mooche : http://www.deezer.com/track/631740
Mood Indigo : http://www.deezer.com/track/283300
It Don’t Mean a Thing (avec Ella Fitzgerald) : http://www.deezer.com/track/24116
Sophisticated Lady : http://www.deezer.com/track/536680
Caravan : http://www.deezer.com/track/283306
Take the « A » Train : http://www.deezer.com/track/283316
Prelude to a Kiss (Ellington au piano) : http://www.deezer.com/track/301663
Anatomy of a murder (générique du film) : http://fr.youtube.com/watch?v=Xbgb3E7l_KY
3 - Le virtuose Art Tatum
Art (Arthur) Tatum était presque aveugle, atteint de cataracte. Ce qui ne l’empêcha pas de jouer du violon et de la guitare, puis du piano. Ses parents l’ayant placé dans un établissement pour handicapés, il y développera des dons étonnants d’audition et de mémoire. Fabuleux virtuose (écoutez par exemple Humoresque), il fut le premier jazzman à pouvoir rivaliser avec les grands concertistes classiques, ce qui lui valut l’admiration de Vladimir Horowitz et de Serge Rachmaninov. On dit que Coleman Hawkins a remodelé son jeu au saxophone ténor après l’avoir entendu à Toledo en 1929. Charlie Parker, adolescent, fera la plonge dans un restaurant de New York rien que pour l’écouter jouer ! Art Tatum n’aura rien faire pour se rendre célèbre du grand public mais il reste un maître pour les pianistes de jazz contemporains.
Ecouter Art Tatum :
Humoresque : http://www.deezer.com/track/295574
sur le site Jiwa :
Aunt Hagar’s Blues : http://www.jiwafm.fr/fr#p=search/%7
Begin the Beguine en 1956, l’année de sa mort : http://www.jiwafm.fr/fr#p=search/%7
Danny Boy : http://www.jiwafm.fr/fr#p=search/%7
4 - Thelonious Monk le dissonant
Né en 1917 et mort en 1982, Thelonious Monk ne fut pas un pianiste jazz très prolifique mais certainement le plus original. Compositeur de génie, il s’est éloigné de son style bebop du temps de sa collaboration avec Dizzie Gillespie, pour écrire de grands standards du répertoire du jazz dont le très célèbre Round Midnight.
En 1951, il est arrêté pour consommation de drogue. Il devra passer deux mois en prison et sera interdit de jouer dans tous les clubs de New York (la drogue découverte par la police aurait appartenu à Powell, mais Monk aurait refusé de témoigner contre son ami).
La musique de Monk qui se caractérise par de nombreuses notes dissonantes mais très bien placées, reste considérée peu accessible par le grand public. A la fin de sa vie, il souffrit de troubles mentaux et vécut ses dernières années enfermé chez la baronne Nica de Koenigswarter. Quelques titres connus : I Mean You, Evidence, Lets’ call This, Ruby my Dear, Crepuscule with Nellie, Off Minor.
Ecouter Thelonious Monk :
Round Midnight (une des versions) : http://www.deezer.com/track/55030
I Mean You : http://www.deezer.com/track/586435
Ask Me Now : http://www.deezer.com/track/586417
Ruby my Dear : http://www.deezer.com/track/586420
Dans le même style, Crepuscule with Nellie : http://www.deezer.com/track/586387
Off Minor, ici avec le batteur Art Blakey : http://www.deezer.com/track/303147
5 - Ahmad Jamal, le non-conformiste
Contrairement à Thelonious Monk, Ahmad Jamal possède une main droite qui joue tout en douceur. On le surnomme même le « monstre aux deux mains droites »… Mais il y a aussi une particularité dans son jeu de la main gauche qui emprunte souvent un rythme semblable de style charleston. De son vrai nom Frederick Russell Jones, il s’est convertit à l’islam le 18 février 1952 et il a pris le nom d’Ahmad Jamal. Sous ce nom, il devint l’un des pianistes préférés de Miles Davis. Mais Ahmad Jamal et Miles Davis n’ont jamais joué ensemble.
La version de Jamal de Poinciana est demeurée légendaire. Avec l’album The Awakenin, Jamal impose définitivement son style personnel et porte à son apogée le courant West Coast. Sa version de Billy Boy soulève aussi l’enthousiasme ; en effet plusieurs grands pianistes, dont Oscar Peterson, le reprennent en reproduisant presque trait pour trait certaines phrases du jeu de Jamal.
Plusieurs thèmes d’Ahmad Jamal sont utilisés dans le film de Clint Eastwood, Sur la route de Madison.
Ecouter Ahmad Jamal :
The Awakening : http://www.deezer.com/track/69594
But not for Me : http://www.deezer.com/track/69545
Poinciana : http://www.deezer.com/track/89248
Billy Boy : http://www.deezer.com/track/113503
6 - Les audaces d’Herbie Hancock
Né en 1940, il mêle le jazz à d’autres genres musicaux comme la soul music, le rock ou le funk. Certains de ses titres ont été des succès commerciaux importants : Cantaloupe Island, Watermelon Man, Chameleon et Rock it. Remarqué par Miles Davis pour son Watermelon Man, Hancock rejoint en 1963 le second grand quintet de Miles Davis. Hancock a composé la bande originale du film Blow Up d’Antonioni. En 1986, il joue dans le film Round Midnight dont il a écrit également la bande originale qui lui vaudra un Academy Award. Hancock est l’un des premiers musiciens de jazz à utiliser un synthétiseur et à s’être servi d’un ordinateur Apple pour composer sa musique. Hancock est bouddhiste et sa religion a influencé sa musique et ses engagements.
Ecouter Herbie Hancock :
Kamili : http://www.deezer.com/track/340918
Cantaloupe Island : http://www.deezer.com/track/15911
Watermelon Man : http://www.deezer.com/track/530643
Chamaleon : http://www.deezer.com/track/160013
7 - Un Canadien : Oscar Peterson
Ce pianiste est mort récemment, le 23 décembre 2007. Il était canadien. Vers l’âge de sept ans, il est hospitalisé pour tuberculose et échappe à la mort. Son frère succombe. Remis sur pied, le jeune Oscar se met au piano. Il sera fasciné par Art Tatum. On raconte qu’à l’âge de dix ans, son père lui fit écouter un disque de Tatum et qu’il fut tellement impressionné qu’il ne toucha pas le piano pendant plus d’un mois. Peterson était franc-maçon.
(Pas de titre sélectionné. Vos propositions sont les bienvenues).
8 - Bill Evans :
Attention de ne pas confondre le pianiste Bill Evans (William John Evans 1929 - 1980) avec le saxophoniste Bill Evans, bien plus jeune, né en 1958. Il étudie le violon et la flûte dès l’âge de six ans mais son choix définitif se portera sur le piano. Le 15 septembre 1980, à 51 ans, souffrant d’une hépatite mal soignée et le corps usé par une trop longue addiction à la drogue, Bill Evans meurt des suites d’une hémorragie interne. L’une de ses plus belles compositions reste Waltz for Debbie. Mais il faut aussi citer le merveilleux Autum leaves.
Ecouter Bill Evans :
Waltz for Debbie : http://www.deezer.com/track/137203
9 - Le Français Michel Petrucciani
Il a été le premier pianiste européen à avoir enregistré pour le prestigieux label Blue Note aux Etats-Unis. A sa mort, en janvier 1999, la quasi-totalité de la classe politique lui rendit hommage voyant en lui le « plus célèbre pianiste de jazz français ». Avec les violonistes Ponty et Grappelli, Petrucciani dit « Pétruche » aura été le seul musicien de jazz français à s’imposer aux Etats-Unis, patrie de ce genre musical. Le jazzman n’avait pas la grosse tête ; il déclara à Bertrand Dicale du Figaro : « Je suis un vrai voleur, tout le monde m’a influencé ». Trop simple pour ce virtuose de s’en tirer par ce trait de modestie. Certes influencé par Bill Evans, Herbie Hancock, Keith Jarrett, Duke Ellington, Michel Petrucciani a su développer sa touche personnelle qui a conquis un large public. Aujourd’hui, il fait partie de nos légendes hexagonales du jazz, auprès de Stéphane Grappelli et de Django Reinhardt.
Michel Petrucciani était atteint à la naissance d’ostéogenèse imparfaite qui se caractérise par une fragilité osseuse excessive, donc par des fractures à répétition entraînant de multiples hospitalisations et séances de rééducation, et des anomalies de la dentition. Et souvent aussi une perte de l’audition, ce qui est fort gênant pour un musicien. Autre handicap : la personne atteinte de ce mal est de très petite taille.
Ecouter Michel Petrucciani :
Cantabile : http://www.deezer.com/track/26445
Looking Up : http://www.deezer.com/track/180703
10 - Didier Squiban et le jazz celte
Didier Squiban est né à Saint-Renan dans le Finistère. Sa Bretagne influence son oeuvre qui emprunte au jazz (ses références sont Keith Jarrett et Bill Evans), au traditionnel et au classique. D’abord professeur, Didier Squiban accompagnera Dan ar Braz et Yann-Fañch Kemener. Aujourd’hui, il mène une carrière internationale.
Ecouter Didier Squiban :
Airs de gavotte : http://www.jiwafm.fr/fr#p=search/%7
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