Néandertal
Néandertal de David Geselson Avec David Geselson, Adeline Guillot, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Elios Noël, Jan Hammenecker EN ALTERNANCE AVEC Peter de Graef Compagnie Lieux-Dits Spectacle créé au Festival d’Avignon 2023 au Théâtre Gérard Philippe Saint-Denis jusqu’au 11 mars… Puis tournée : Théâtre Sénart, Saintes, Choisy-le-Roy, Reims, Genève, Lorient...
C’est un spectacle d’une richesse rare, riche de théâtre, comme on réussit exceptionnellement une telle densité.
David Geselson est parti du livre de Svante Pääbo pour surfer à sa guise sur la structure : la vie d’une équipe de chercheurs avec leurs individualités marquées, qui s’est attelée au séquençage de l’ADN des Néandertaliens. On en partage le quotidien, la condition, le destin, les disputes, les accidents, les impasses, les espoirs, les réussites, la conflictualité et la solidarité. Ainsi s’y joint le quasi-infiniment petit et le quasi-infiniment grand, le national et international, l’ethnique, le religieux, l’historique et le banal.
C’est un spectacle, qui comme un prisme rassemble les rais de lumière en un point, condense l’effort de la recherche, en coud une pièce… comme dans un fleuve convergent les eaux de tout un bassin versant.
En 1982, Edgar Morin notait qu’il y avait « une sorte de schizophrénie dans l’univers scientifique » car « l’activité de l’esprit humain qui a inventé la théorie est complètement vidangée » in Science avec conscience. Neandertal, objet théâtral mutant, rompt cette malédiction.
Après une conférence à deux voix dans le proscenium, le spectacle démarre dans la superposition des sujets et domaines, qui est son fond inédit, qu’il désenfouit comme si c’était sa tâche « naturelle ». Le spectateur se trouve projeté rapidement dans des épisodes anciens du conflit entre Israël et Palestine. On voit des images d’archives, le retour de la paix signé par Yasser Arafat, Yitzhak Rabbin et Bill Clinton.
Une citation religieuse sur le lien de la religion et de la paix. Le contexte politique violent attisé par le jeune député Netanyahu dans lequel Yitzhak Rabbin est assassiné. Retour à notre équipe : Une des chercheuses ne veut pas aller en Israël, à cause de cette politique à contresens du religieux et pratiquée cependant en son nom.
Les éléments fondamentaux de la recherche vont apparaitre ainsi dans le quotidien et la personnalité des individus. Un des chercheurs souffre de ne pas avoir été reconnu par son père, grand savant et prix Nobel par ailleurs. Ce père vient offrir le séquençage de ce fils par des analyses d'ADN pris sur une dent de lait ! Le père ne sait pas qu'il faut décontaminer la dent avant, sans quoi, on a toutes les chances de trouver son ADN à lui, le père, parce qu’il est le collecteur de la dent. C'est une tentative de rachat ; de toute façon imbécile et inappropriée, symbolique et tardive, tandis que le mal est bien réel et présent : le fils est parti à la recherche de ses origines collectives d'avant les origines... (En fait Neandertal et Sapiens sont des latéraux, ils ont le même ascendant qu'on ne connait pas.)
C'est dans ces quartiers de vie que, nous, spectateurs, apprenons beaucoup de choses : L'espace de travail doit être décontaminé, c’est une nécessité de base, nous l’apprenons avec une scène hilarante où deux chercheurs s’échangent un baiser.
On va en Serbie, prendre des os à analyser… retour des conflits… On est déraillé par la maladie dégénérative d’une chercheuse, tristes et agressifs moments.
On est embarqué dans l’aventure de ces chercheurs qui mêlent, comme tout un chacun, ce qui arrive dans leur vie avec ce qui est arrivé et qu’ils ont attrapé d’une certaine façon et pas d’une autre. On est embarqué sans être prévenus et voit la science se faire comme la vie se tisse de liens en liens, d’imprévus en routines lassantes…
Tout se noue dans cette aventure de l’ADN de Néandertal dans cette région du monde au carrefour de trois « continents ». La politique locale, historique et conjoncturelle, voudrait capter les « résultats » scientifiques pour se valider dans ses principes et modes idéologiques, voudrait se créer de force et de biais un lien avec le réel…
La mise en scène a la luxuriance des points de vue croisés féconds. Les acteurs sont impeccables, il y a, semble-t-il, un bonne part de collectivité, d’impros, dans la création.
Un spectacle précieux, éblouissant, qui donne à voir l’étrange unité de la vie des chercheurs, de leurs modes de recherche et de la connaissance qu’ils en tirent.
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON