Olympia : Staal s’offre un piédestal
Avec sa tête de voisin de palier, tendance chauffeur-livreur, ses cinquante balais et ses trois albums au compteur - inconnus en dehors des « professionnels de la profession » -, François Staal n’était à priori pas de ceux qui se paient une coquetterie chez les Coquatrix, avec son nom en lettres de feu sur le Boulevard des Capucines et la limousine itou. Et pourtant il l’a fait, hier soir, le jour de ses 50 ans. Avec l’honnêteté et le sérieux des bons artisans, l’intelligence et la modestie de ceux qui savent s’entourer des meilleurs (Jean Fauque à l’écritoire). Chanteur inclassable mais surclassé, inconnu mais reconnu, primé sans avoir déprimé, Staal s’est offert l’Olympia comme d’autres se paient un tour du monde en voilier, ou un année aux Indes. Il a décidé de ne pas attendre qu’on vienne le chercher. Il a posé sa malle, son talent discret, ses musiciens et son parolier devant nous, dans la plus prestigieuse salle de France. Staal s’est construit sa stèle de son vivant, parce que ça urge, parce que « la terre nous atterre, mais qu’il faudra bien que l’on s’y terre ».

Autant le dire tout de suite, il y a deux ans, je ne connaissais pas François Staal. C’est l’ami Jean Fauque, le plus grand parolier français vivant (Bashung, Hallyday, Dutronc etc.) qui m’a annoncé il y a plus d’un an cette collaboration. Comme Jean n’a pas l’habitude de perdre ses mots avec n’importe qui, cela devenait crédible. Fauque, qui depuis deux ans erre, sidéré, dans le vide sidéral de l’absence du grand Bashung, avait du reste porté dans quelques salles parisiennes son album piano- voix « 13 aurores » dans les mêmes lieux que Staal, qui arpentait les estrades avec dans ses bottes des montagnes de questions (Le Réservoir, le Zèbre, l’Européen, le China, etc.).
Bien sûr, il serait injuste de dire que François Staal est un parfait inconnu. Professionnel reconnu depuis 20 ans de la musique de film et de théâtre, des arrangements symphoniques, il avait tenté sa chance trois fois dans des albums confidentiels de chansons « blusimentales », pour reprendre le vocable de Thiéfaine.
Néanmoins, le succès risquait de se faire attendre et les kilomètres de vie en rose risquaient bien, comme pour tant d’autres, de virer au gris. Plutôt que de verser dans la mélancolie morose sur le désert novateur du show bizz français, en remplissant les cendriers des arrières salles d’un bistro branché avec ses cigarillos, Staal a joué un coup de poker. S’offrir l’Olympia le soir de ses 50 ans, la plus prestigieuse salle de France, sans attendre qu’on la lui propose. Pour ce faire, il a lancé il y a près d’un an une souscription auprès de ses fans et de divers sponsors, en marge de ses concerts plus confidentiels, de façon à arriver avec une salle presque « pré-vendue », et éviter ainsi que les successeurs de Coquatrix et le comptable ne se fassent des cheveux blancs.
Une première qui a fonctionné.
Pour verrouiller l’affaire, Staal a recruté un « band » solide ( un pianiste brillamment allumé, un quatuor de cordes emprunté à l’univers du classique, des guitares luxueuses, dont celles de l’excellent Arthur Dussaux) .
Et un album tout neuf, « Canyon », pour étoffer le répertoire. Pour lequel il s’est adjoint, comme une liqueur forte, trois doses du talent pur de Jean Fauque (dont « terre m’atterre », cf. vidéo ci-dessous).
Jean Fauque et ses bons mots à plaquer sur les maux : un pied-noir à l’écritoire, un pied de nez à la bien-pensance verbeuse. Pas de frime dans ses rimes. Obsédé textuel récidiviste, perfectionniste de la syllabe et virtuose de l’allitération, Fauque est la Ferrari des jeux de mots, qu’il règle comme un carburateur triple corps dans le garage de sa boite crânienne, à l’arrière des Dauphine.
Comme un peu de bruine qui dégouline, il était l’invité de Staal hier soir sur trois titres, dont une version piano/voix de « la nuit, je mens », en hommage à « l’Indien », avec juste les sanglots ravalés de la guitare de Dussaux. Pour un instant, on aurait pu croire que le Bash était revenu, sur la pointe des bottes, du pays des gens auxquels on ne peut plus parler. Revenu comme un dresseur de loulous dans cette salle mythique où il avait déroulé ses kilomètres de vie en rose. Il chantait de loin, le Janot, en mémoire de quelqu’un qui portait la même lumière noire que lui.
Mais ce n’était qu’illusion d’optique, et le concert a vite repris ses droits. Un Staal ému et heureux d’être là, comme dans un rêve de gosse (tellement ému qu’il en oubliera même de présenter ses musiciens en fin de concert).
Le style de Staal est inclassable, il vole sans cesse d’un pôle ou d’une attraction à l’autre. C’est une éponge. Un peu rock mais pas trop, du folk, un zeste de blues. Un peu lisse, un rien bien élevé. Des arrangements impeccables, un bon son. Des textes inégaux, parfois trop « ballade au premier degré » par rapport au potentiel du bonhomme. Mais on pense par instant à Rodolphe Burger, Joseph d’Anvers, à Arthur H. Parfois à Marcel Kanche, avec toutefois moins de noirceur et de sobriété que chez ce grand bonhomme méconnu et sans concession. Il y a aussi un peu de la révolte de Thiefaine, en plus polie.
On note la récurrence du terme de l’ailleurs, de la route, du voyage. J’ai retenu le belle ballade « Atlantide » et son « dites moi que je ne suis pas mort pour rien ». Un appel à ne pas se laisser bouffer par routines et combines (« sauvez-nous de la boite à sardine : de l’air, de l’allure »).
Plus tard, il nous incite à « ne pas lâcher l’affaire », mais heureusement, son militantisme n’est pas lourd et se limite aux boites crâniennes.
Comme il connaît la musique, quand il sent qu’une chanson dérive vers une ballade trop sirupeuse ou qu’une chanson d’amour se fait pesante, il la casse aussitôt en la faisant suivre par la nerveuse « une petite chanson à la con », dédiée à son chien.
Parce qu’il a du métier, François Staal.
Il ne faudrait pas le prendre pour un débutant.
Ce n’est pas parce qu’il passe pour un amateur que c’est un plaisantin.
C’est un bon artisan qui a mis pour un soir son métier sur l’ouvrage des Dieux de l’Olympe, Boulevard des Capucines, et qui a inscrit de son vivant son nom sur la stèle. On ne sait jamais.
Clip de « Terre m’atterre » :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
-François Staal était à l’Olympia ce 11/11/2011, avec en Jean Fauque en invité et Lizzy Ling en première partie.
-« Canyon », le dernier album de F. Staal est sorti le 7 novembre chez Paul Beuscher
-Crédit photo:Stan Mullas
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON