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Ombres et lumières dans le Rhône

Alors que se prépare activement l’exposition « César, le Rhône pour mémoire », présentation grand-public de 20 ans de fouilles archéologiques effectuées dans le fleuve en Arles et au large des Saintes-Maries-de-la-Mer, l’épave d’un chaland gallo-romain livre une pièce exceptionnelle : un « lustre » de 20 becs décoré d’un motif floral. Que faisait cet objet délicat au milieu d’une cargaison de blocs de calcaire local ?

"Impossible de défendre une hypothèse de façon sérieuse pour l’instant". L’archéologue David Djaoui reste très prudent. Il est l’un des responsables de la fouille du navire coulé au premier siècle au pied même de ce qui était probablement le quai antique d’Arelate. Spécialiste des céramiques attaché au Musée Départemental de l’Arles Antique, base arrière des fouilles dans le Rhône et centre logistique vital, Djaoui dirige le chantier avec Sandra Greck, archéologue spécialiste de l’étude du bois et Sabrina Marlier, spécialiste d’archéologie navale antique. Ces deux dernières font partie d’Arkaeos, une association marseillaise qui se consacre à l’archéologie sous-marine et subaquatique.

L’épave

Elle a été repérée en 2004 par l’équipe de Luc Long et baptisée "Arles-Rhône 3". Expertisée en 2006, sa fouille complète a été planifiée sur trois ans, voire plus en fonction des découvertes mais aussi des difficultés (visibilité, courant, étendue du chantier). Elle fait partie de la douzaine d’épaves antiques répertoriées sur la rive droite du Rhône au niveau d’Arles mais c’est une des mieux conservées. Couchée sur le flanc, elle gît par 4 à 8 mètres de fond et une bonne partie est profondément enfoncée dans le sédiment. "C’est probablement la proue" explique David Djaoui, "car nous avons découvert d’abord le lieu de vie, de la vaisselle, un dolium, généralement placés à l’arrière du navire. Par contre, nous n’avons pas trouvé le mât de halage qui se trouve en général à l’avant." La longueur n’est donc pas connue mais estimée à 26 mètres, ce qui est considérable pour un navire fluvial. C’est en fait un chaland qui "se rapproche des embarcations à fond plat dites "gallo-romaines de tradition celtique" ou "romano-celtiques". Il s’en distingue cependant en raison de particularités architecturales précises qui montrent des influences méditerranéennes marquées et que l’on retrouve sur les autres chalands gallo-romains du bassin rhodanien" comme l’indique une brochure réalisée pour l’occasion et qui fait partie d’un remarquable travail de médiation (présentation du site au public avec caméra immergée, conférences, blog qui suit la fouille au fur et à mesure).

Le naufrage

Là aussi, l’archéologue reste prudent. Qu’est-il arrivé à ce chaland, fait de résineux et de chêne, pour qu’il coule dans le port ? Il est probable qu’une crue du fleuve l’ait entraîné par le fond. On connaît mal l’arrimage de l’époque. Par contre, la présence d’une couche argileuse fine entre le dépotoir portuaire et la vaisselle de bord laisse penser qu’une crue est intervenue. Des carottages futurs donneront peut-être des éléments d’explication, avant le dégagement complet de la structure. Le bateau était-il à quai ? Il était en tous cas proche de la rive et une hypothèse est qu’il se déplaçait de l’amont vers l’aval. L’indice clé à ce niveau est la cargaison. En effet, elle est constituée de blocs de calcaire blanc provenant probablement des carrières de Saint-Gabriel (lieu actuellement nommé de cette façon proche de Tarascon, en amont d’Arles). Ces pierres servaient à la construction. Une possibilité est que le chaland devait livrer sa cargaison quelque part en Camargue puisqu’on a dénombré pas moins de 80 villas agricoles dans la configuration du delta à l’époque (premier et deuxième siècles), qui manquaient totalement de pierres. A moins que la matériau était destiné à Arles tout simplement. 

Le contexte de découverte des objets

Outre le dolium, sorte de grosse jarre, les archéologues ont trouvé une déesse d’abondance (céramique, hauteur 14 centimètres) et de surprenantes brosses antiques, ainsi que des éléments textiles et tressés. C’est d’ailleurs sous un fragment de natte qu’est apparu un rarissime lustre à 20 becs dans un état de conservation étonnant. La surprise fut d’autant plus forte pour les plongeurs que l’objet se trouvait dans un espace normalement occupé par la cargaison mais étrangement vacant et empli de sédiment. Après nettoyage, la pièce est actuellement en restauration sous les doigts de Gilles Ghiringhelli. Sa beauté fait battre le cœur : fabriqué dans une céramique fine et raffinée, il mesure 32,4 centimètres de diamètre et le dessus présente un motif floral qui court sur toute la longueur. S’agit-il de feuilles de chêne figurées ? Difficile à dire. Des fragments ont été récoltés autour de la pièce principale et sont actuellement réintégrés par Ghiringhelli. Des becs manquants sont reconstitués et seront traités de telle façon qu’on les distingue bien (restauration visible et réversible). Des fissures dans le réservoir à huile sont peut-être antiques.

Le lustre éveille les questions

Pour l’instant, David Djaoui se retranche derrière l’étude à venir. À peine découverte, cette pièce doit être étudiée, comparée, publiée. Très peu de choses peuvent être aujourd’hui affirmées. On ne connaît que de rares exemples d’objets de ce type, alors que la simple lampe à huile (un seul bec) était fabriquée de façon industrielle dans le monde romain. Un lustre à 9 becs a été trouvé à Pompéi, trois autres à 12 becs en Libye, Tunisie et Grèce. L’exemplaire de Jéricho possède 18 becs. Il semble que celui-là, avec ses 20 becs, soit unique. Il est certain que ce genre d’objet était réalisé sur commande et ne servait pas seulement à éclairer mais aussi à décorer, peut-être à impressionner les visiteurs de la maison. Le fait qu’il possède un motif sur le dessus et aucune décoration ou finesse sur le dessous laisse supposer qu’il ne devait pas être suspendu bien haut au-dessus d’une table. Par contre, il était suspendu, on voit clairement les quatre "pattes" prévues à cet usage. Avait-il aussi une valeur cultuelle ? D’autres questions se bousculent : que faisait-il à bord du chaland où un objet de luxe n’avait pas sa place ? Devait-il être livré ? Faisait-il partie d’un commerce ? Il ne porte pas de trace de combustion, il semblerait donc qu’il n’ait jamais servi. Avait-il perdu de la valeur si le réservoir était fendu et donc l’objet inutilisable ? Enfin, la finesse de la céramique laisse penser qu’il a été produit dans une autre région, peut-être en Italie même. Une énigme que ne lèvera sans doute pas la section consacrée à Arles-Rhône 3 dans l’expo-événement qui ouvre en octobre et où l’objet pourrait même ne pas être présenté. Le buste de Jules César, autre grande trouvaille du fleuve, en restera la vedette incontestée.

Pierre Polomé

 

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9 réactions à cet article    


  • Antenor Antenor 25 août 2009 11:18

    Cette pièce est fascinante. A-t-on déjà un petite idée de quel siècle elle date ?


    • Pierre Polomé Pierre Polomé 25 août 2009 18:40

      Elle date probablement du premier siècle après Christ. L’éruption du Vésuve est datée de 79, ce qui donne un indice sur l’exemplaire à 9 becs retrouvé à Pompéi. On est grosso modo dans les mêmes années que l’épave du chaland actuellement datée vers la moitié du premier siècle. 


      • Pie 3,14 25 août 2009 18:45

        Comment cela fonctionnait-il ?
        Mettait-on de l’huile dans le cercle avec des mèches dans les orifices ?

        Au passage, le Rhône s’avère une véritable mine d’or pour les archéologues.


        • Pierre Polomé Pierre Polomé 25 août 2009 19:12

          Comme pour une simple lampe à huile, on remplissait le réservoir (unique) en versant de l’huile par les petits trous aménagés. On en voit quatre sur ma photo. Ensuite, on enflammait les mèches simplement glissées dans les becs. Ca ne donnait pas beaucoup de lumière et il fallait, d’après David Djaoui, deux ou trois lampes allumées pour simplement lire un texte, par exemple. Avec ce genre d’objet, on pouvait allumer le nombre de mèches qu’on voulait, de une à 20. Mais visiblement, ce lustre n’a jamais servi, peut-être justement parce que le réservoir était fendu (ce n’est qu’une hypothèse). Pour le côté « mine d’or », cette épave peut encore receler d’autres objets. Elle n’est fouillée qu’en été. D’autres sites sont fouillés par Luc Long.


          • Pie 3,14 25 août 2009 19:22

            Merci pour votre réponse, j’ai visité le musée d’Arles, il est d’une grande richesse avec de magnifiques mosaïques.
            Je suis surpris qu’il y ait encore tant d’épaves dans un fleuve où le courant est important et dont les rives ont été sans doute maintes fois refaites et empierrées.


          • Pierre Polomé Pierre Polomé 28 août 2009 09:16

            Juste le nom des auteurs des photos : la photo sous-marine est de Ch. Durand, CCJ/CNRS, la photo de l’objet sur la table de restauration est de moi.


            • Yohan Yohan 30 août 2009 00:21

              Le Rhône n’a pas fini de livrer ses secrets. J’en salive d’avance...


              • ASINUS 30 août 2009 17:53

                yep , l objet est magnifique !!!! pour un temple ?


                • david 31 août 2009 09:24

                  On a trouvé en effet ce type de lampe en forme de couronne dans de nombreux sanctuaires dès le VI av J.-C. On parle alors de « lampe sanctuaire ». Si cette forme semble perdurer pendant toute l’antiquité, les exemples romains sont trop limités pour les relier à une fonction déterminée.

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