Orhan Pamuk, la littérature contre l’oubli
Il est des hasards qui disent bien les choses. Pendant que la France se dote d’une loi pour punir ceux qui dorénavant dans l’hexagone oseront remettre en cause le génocide arménien, le prestigieux prix Nobel de la littérature est décerné à l’auteur Turc Orhan Pamuk. Ce même écrivain qui n’a jamais eu peur de s’exprimer, sans complaisance, en Anatolie ou ailleurs, sur l’un des tabous les plus redoutables et redoutés de sa nation : la reconnaissance du génocide arménien.
On comprendra alors qu’Orhan Pamuk ne suscite pas de grande fierté parmi bon nombre de ses concitoyens. Son gouvernement, qui lorgne l’adhésion à l’Union européenne depuis des années, devra pour l’occasion cacher son irritation. Mais comme la communauté internationale se félicite d’un tel honneur, Ankara doit bien faire semblant d’être contente qu’un enfant du pays attire autant l’attention.
Il règne au royaume des Turcs une terrible maladie mentale. Une affection schizophrénique, comme une sorte de dédoublement de la personnalité. Car il existe effectivement une Turquie étonnante, laïque et attirante. Une nation fière de sa modernité, néanmoins acquise au prix de grands sacrifices. L’autoritaire Atatürk, fondateur de cette nouvelle république, voulait faire table rase d’un passé trop lourd à porter. Les réformes seront toutes aussi spectaculaires que capitales. Droit de vote aux femmes, séparation et subordination du religieux au politique, latinisation de l’alphabet arabe. Toutes les occasions étaient bonnes pour occidentaliser un peuple afin que l’amnésie soit totale.
Dans une autre vie, sous l’empire ottoman, le cauchemar d’avoir exterminé plus d’un million de personnes d’origine arménienne revient toutefois hanter les rêves de la nouvelle Turquie, comme de macabres réminiscences qui ne veulent pas se faire enterrer. Une petite voix, presque inaudible, s’élève alors pour rappeler à la mère patrie la réalité de ses crimes, qu’elle se refuse toujours à reconnaître. Orhan Pamuk se saisit du miroir de la vérité et, sans frémir de la colère qu’il sait inévitable, présente le reflet hideux de cette Turquie soudainement mise à nu.
Qui croit encore que la littérature est comme tout art, trop fluette, et par conséquent qu’elle ne peut rien changer à la volonté des hommes de se détruire sans cesse ? Certes, la littérature ne guérira pas
La littérature est un pont entre nos contradictions. Elle dévoile les secrets de nos actes et confère une phénoménale liberté à l’écrivain. C’est peut-être ce qui, paradoxalement, la rend plus puissante que toutes les lois. « Quand on essaie de réprimer les souvenirs, il y a toujours quelque chose qui revient, je suis ce qui revient », écrivait Orhan Pamuk dans les pages du Time le 13 septembre 1999. Voilà sans doute à quoi sert la littérature, ne pas l’oublier...
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