Paris la belle, Jacques Prévert et ses clichés
(Par Olivier Bailly)
Paris la belle : un inventaire à la Prévert ? Pas vraiment. Cette exposition-hommage est plutôt une accumulation d’objets personnels (photos, manuscrits, livres en édition originale, affiches, films, toiles, collages, etc.) sensé retracer chronologiquement la vie du poète français le plus célèbre du XXème siècle : Jacques Prévert.
Le plaisir qu’on tire de cette exposition est ambigu. On en sort avec le tournis. Etait-ce servir Prévert, homme de la générosité et de la profusion, que de survoler sa vie au point de la réduire à quelques clichés ? Certes, les amateurs, tout comme ceux qui souhaitent découvrir la vie et l’œuvre de l’auteur de Paroles, Spectacles, Fatras, Choses et autres, le dialoguiste de L’Affaire est dans le sac ou des Visiteurs du soir, l’ami de Picasso, Miro, Doisneau, Calder, Carné, Izis et tant d’autres, ne bouderont pas leur plaisir.
Il ne manque presque rien à Paris la belle pour qu’elle nous charme. Et ce rien, ce sont justement les moins que rien, les presque rien, le peuple de Paris sans lequel l’œuvre de Prévert ne signifie rien. Il avait su en transcender l’esprit et, en véritable poète populaire, avait su le traduire dans ses poèmes, ses collages, ses chansons et aussi, bien sûr ses dialogues cinématographiques.
C’est une exposition sage comme une image, avec son pesant de clichés, juste agréable et tout à fait dans l’air du temps : elle fige Prévert dans un cadre, celui un peu suranné des salons de l’Hôtel de ville, c’est-à-dire là où n’allait pas Prévert qui préférait les bistrots et les rues.
Au bout du compte on se demande si après Edith Piaf, Yves Montand, Robert Doisneau et Willy Ronis, l’icône Prévert sert le poète et son message où soigne l’image de la ville de Paris, redore le blason terni d’une municipalité qui ces cinquante dernières années n’aura guère ménagé son populo. Et aujourd’hui moins que jamais.
« Paris est tout petit pour ceux qui comme nous s’aiment d’un aussi grand amour » répond Garance-Arletty à Frédérick Lemaître-Pierre Brasseur avec un soupçon d’ironie et beaucoup de grâce (Les Enfants du paradis). Arletty, son charme, sa beauté, sa truculence, symbolisait le peuple de Paris qu’affectionnait Prévert, né à Neuilly sur Seine en 1900 et mort à Omonville-le-Petite (Manche) en 1977.
Reconnaissons au moins à la ville de Paris le mérite de souligner combien l’engagement poétique et artistique de Prévert a valu tous les combats politiques. Comment le libertaire Prévert ne s’est jamais trompé dans ses engagements, dans son humanité.
Prévert s’engagea dans sa poésie, poésie qu’il ne réserva pas à quelque élite, mais divulgua le plus démocratiquement du monde à travers le théâtre (le groupe Octobre), le cinéma (en tant que dialoguiste de Carné, notamment), la photo (Doisneau, Izis, André Villers, Peter Cornelius…), la peinture (Miro, Picasso…), le collage ou encore la chanson (Marianne Oswald, Mouloudji, Les Frères Jacques, Montand…). Tel Jean Cocteau, Prévert traversa le siècle avec légèreté, avec les apparences d’un dilettante, d’un poète « facile », et même, insulte suprême, d’un poète pour enfants, c’est dire dans quel estime on tient les enfants.
Prévert était tel un Rimbaud matiné de Dorian Gray, un Rimbaud qui n’aurait jamais vieilli, jamais trafiqué en Arabie, un Rimbaud et ses « peintures idiotes », ses « toiles de saltimbanques », ses « enseignes » et « enluminures populaires », sa « littérature démodée », ses « petits livres de l’enfance », ses « refrains niais » et ses « rythmes naïfs ». Tout Rimbaud est dans Prévert. Et tout Prévert est dans Paris. Et tout Paris était dans son peuple, dans son fleuve, dans ses quartiers, dans ses rues, dans ses bistros, dans sa gouaille, dans ses chansons…
Prévert et le peuple ! C’est une évidence pour ce poète marlou. Prévert enfant dans le quartier Saint-Sulpice, Prévert sortant de l’adolescence et faisant les 400 coups avec ses copains surréalistes, avec Marcel Duhamel, futur directeur de la Série Noire (c’est Prévert qui trouva la titre), avec Desnos, le poète de Fantomas.
Prévert à Saint-Germain-des-Prés, pas celui de Sartre, mais celui de l’arrière-cour, celui de l’Echaudé, de la rue de Buci, de la rue de Seine et du bistrot tenu par le père Fraysse où autour du zinc se rassemblaient l’ouvrier et la concierge, l’académicien, l’artiste et quelques chats errants avides d’aventures nocturnes tel Robert Giraud, jeune poète, spécialiste des bas-fonds de la capitale qui la même année, en 1947, rencontra Prévert et Doisneau. Ensemble ils publièrent en 1960 un ouvrage à six mains sobrement, si l’on peut dire, intitulé Bistrots. L’ouvrage est présenté dans l’exposition.
Giraud, Prévert, Doisneau, Izis, Cendrars, Fallet et tant d’autres arpentaient le pavé parisien à la recherche de l’or du temps.
Il ne manque presque rien à cette exposition sinon un peu d’âme, un peu de cette belle âme du vieux Paris, de cet air sans lequel Prévert n’aurait pu respirer. Presque rien. Tout.
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Jacques Prévert, Paris la belle. Du 24 octobre 2008 au 28 février 2009. Hôtel de ville. Paris 4ème
Crédit photo : Izis/GPZPhoto