Peut-on juger un chien ? Retour sur le film-événement de Laetitia Dosch
Quid de ce Procès du chien ? Réalisé et interprété, quant à son rôle-titre, par l’actrice franco-suisse Laetitia Dosch (44 ans, une véritable nature, comme on dit).
Sujet, que le « canidé star », qui, mine de rien, a son importance quand on sait que notre chère France compte 7 millions de chiens, que dernièrement Donald Trump le renard, fin limier, ne manquait pas de chercher à mettre au maximum les électeurs yankees de son côté - en terres américaines, les animaux, comme dans l’Hexagone, occupent une grande place dans la vie affective des citoyens - en accusant spectaculairement les migrants de « manger des chiens et des chats », ce qui ne manquait pas, en débat télévisé, de faire délicieusement sourire Kamala Harris car elle connaît l’abattage théâtral et la roublardise XXL de son grand rival pour la course à l’élection présidentielle de 2024, et, par ailleurs que cinéma et chiens, en salles obscures ou lors de rediffusions à la téloche, font plutôt bon ménage, et ce depuis des lustres.
- La star du film, wouf wouf, c’est Kodi, alias Cosmos : accusé, couchez-vous !
Trouver son « loup intérieur »
- Laetitia Dosch est Avril Lucciani, avocate borderline, dans « Le Procès du chien » (2024, 85 mn)
Passant pour être le meilleur ami de l’homme (sans oublier chat et cheval, ne froissons personne !), il arrive, non seulement, que le chien alimente bon nombre de fictions plus ou moins heureuses au cinoche (d’Une vie de chien de Charlie Chaplin au trop méconnu L’Île aux chiens (2018) de Wes Anderson en passant par Fidèle Lassie, La Belle et le Clochard, le chef-d’œuvre d'anticipation Les Chiens (1979) d’Alain Jessua avec Victor Lanoux et Gérard Depardieu, Didier, Baxter, Beethoven et autres Amours chiennes), mais qu’il devienne également, au passage une véritable vedette, pouvant, en termes de présence, et de par son naturel confondant, largement rivaliser avec la moindre star… humaine. Que l’on se souvienne, il y a quelque temps, d'Uggie (les bons tuyaux), le Jack Russell terrier qui paradait aux côtés de Jean Dujardin dans The Artist (2011) ou dernièrement de Messi, le magnifique border collie, à l’abondante fourrure noir et blanc et aux yeux bleus perçants incroyables (on en tombait tous limite amoureux !), campant magistralement Snoop, guide du jeune Daniel, un ado malvoyant, dans le mémorable Anatomie d’une chute (Palme d’or 2023), griffé Justine Triet.
- Jean-Pascal Zadi est Marc, le maître-chien désopilant dans le poilant « Procès du chien »
Attention, chien méchant ? Apparemment, ici, pas vraiment. Il s’agit d’un certain Cosmos (Kodi pour le jouer, à savoir un jovial quadrupède né en 2015 à la robe fauve, au tempérament pétillant et aux allures de croisé griffon intrépide – en fait, il s’agit d’un chien « bâtard » mélangeant joyeusement Malinois, Husky, Épagneul Breton et Caniche Toî) -, déjà croisé auparavant dans d’autres fictions, tels Rémi sans famille d’Antoine Blossier et Le Dernier Duel de Ridley Scott (excusez du peu, c’est ni plus ni moins une carrière à l’international dont rêveraient bon nombre d’humains !) et qui est, tout bonnement (on veut du mal à ce mâle car il a mordu une femme qui se penchait sur de la bouffe lui étant offerte, de basiques chips, geste gourmand de survie qui peut se comprendre !), à la recherche de son… « loup intérieur » comme un acteur, ou actrice, cherche à trouver son « clown intérieur », pour mieux se révéler à l’écran ou sur scène.
Cela lui a d’ailleurs plutôt réussi, Kodi, comme Messi en 2023, accrochez-vous, a obtenu en mai dernier, avec ce long ne manquant pas de chien (même si, à dire vrai, pas assez : il manque de mordant pénétrant), la récompense suprême des cabots de génie, autrement dit la Palm Dog. Ouaf ! Ainsi, après le « beau gosse » cabot Snoop, voici Cosmos, être poilant à quatre pattes, guère dangereux en apparence (même une fillette mordue, semble-t-il par lui, lui fait, avec tendresse, coucou lors du procès ouvert au tout-venant), toutou un tantinet foufou baguenaudant librement en société (il peut n’en faire qu’à sa tête - font chier les humains adultes à l’esprit de sérieux rasoir !) ; il est d'ailleurs - intelligemment, et légitimement -, comme un vrai acteur, ce qu’il est !, en tête – gueule ? - d'affiche aux côtés, sur le visuel principal du film, de l'actrice principale et des autres vedettes... humaines (François Damiens, Jean-Pascal Zadi, Anne Dorval). Bingo Wouf Wouf !
- Cosmos, un accusé un poil embarrassant ? Laetitia Dosch, en présence de Kodi, dans « Le Procès du chien »
Il n’est d’ailleurs pas impossible, en faisant le parallèle clown/loup intérieurs, de voir ce film de procès (un genre cinématographique en soi), Le Procès du chien, donc (intéressant, quoiqu’inégal, du 3,5 sur 5), comme un autoportrait à peine métaphorique de l’actrice Laetitia Dosch, certes déjà à travers l’omniprésence à l’écran de son personnage d’avocate foutraque et séduisante sans le savoir de par ses hésitations permanentes, comme lorsqu’elle n’accepte pas le timbre de sa voix en l’entendant, bien malgré elle, lors des news télévisées (elle est quasiment de tous les plans, bien plus d’ailleurs que le chien, dommage - j’aurais aimé plus voir ce dernier, en même temps je reconnais facilement que nous n’avons pas affaire à un documentaire animalier !), mais également par l’intermédiaire de Kodi, son autre double, en puissance, potentiel.
- Dessin paru dans « Le Canard enchaîné », rubrique Cinéma, du mercredi 11 septembre 2024 (#5418, p. 6)
Entre nous, cette actrice talentueuse, vue à ses débuts chez Justine Triet, tiens tiens), défenseuse revendiquée de la cause animale ainsi que, par la même occasion, de celle des femmes (trop brimées également, à ses yeux), dit de jolies choses sur son partenaire de jeu canin (perso, je trouve que c’est aussi beau que du Michel Houellebecq, écrivain majeur un poil dépressif dont son grand amour pour nos amis les chiens n’est plus à démontrer) : « Moi ce que je trouve trop beau chez les animaux domestiques, c’est qu’ils sont moitié très forts avec nous, ils savent s’adapter à nous [au passage, je me souviens d’un propos très juste de Houellebecq affirmant placidement qu’un chien peut follement, et fidèlement, sans le juger, s’éprendre du moins tocard humain faisant office de maître !], ils nous connaissent et il y a un côté qui est ailleurs et qu’on ne pourra jamais comprendre. »
LE chien, son nom n’est pas Personne, il s’appelle Cosmos
Au fait, que raconte Le Procès du chien, qui remporte actuellement un joli succès, des plus mérités (il est astucieux, assez prenant et bien dans l’air du temps), en salles ? Faisant 47 026 entrées pour sa première semaine d’exploitation (source : Ecran total, période du 11 au 15 septembre inclus), pendant que Le Roman de Jim, des frères Larrieu, toujours avec Laetitia Dosch (c’est décidément son année au cinéma !), poursuit son heureux périple au cinoche en tant que film d’auteur à succès, comptabilisant tout de même 368 395 entrées.
Ce Procès du chien, aux faux-airs de comédie girl next door (oui oui, il est loufoque et cartoonesque, parfois même carrément désopilant, voire explosif, quand son actrice-réalisatrice s’aventure notamment courageusement du côté de l’interdit de la zoophilie pour mieux dénoncer la société du spectacle scopique démultipliée par un Internet en roue libre, possiblement destructeur pour les personnes soudain fragilisées du fait d’une exposition maximale à forte capacité de nuisance), a également une touche réaliste, voire sociétale, qui lui est assurément profitable (on parle le concernant de dramédie), étant tiré d’une histoire (suisse) incroyable mais vraie, comme dirait Quentin Dupieux.
Ainsi, l'hybride Procès du chien fait à la fois l’anatomie d’un clébard métissé (Kodi superstar !) et d’une comédienne captivante, que dernièrement, dans Libé (mardi 10 septembre 2024), la journaliste Virginie Ballet, décrivait, avec clairvoyance, comme un « alliage déconcertant de fantaisie chaleureuse, de sensibilité et de réflexion profonde », pas mieux !, elle est à elle seule un joyeux chaos, grave et léger, son film, à la Passion simple (perso, je l’ai découverte avec ce beau, et précieux, film de 2020, d’après Annie Ernaux (Prix Nobel de littérature en 2022), brossant le portrait d’un amour charnel bientôt impossible) et au parfum d’autofiction ironique, lui ressemblant grave), tout en faisant l’état des lieux, le chien ne s’appelant pas pour rien Cosmos, de notre rapport (physique, existentiel, cosmogonique), en tant qu’humains, à l’animal – le chien, mais pas que. Avec précédemment son spectacle théâtral HATE (2018, théâtre Vidy-Lausanne), relevant de la performance scénique, Laetitia Dosch collaborait, en cohabitant et en interagissant avec eux, avec des chevaux mis sur les planches, et sous les feux de la rampe, histoire de briser clairement les frontières trop marquées entre les espèces afin, si possible, de mieux habiter le monde, en s'éloignant au maximum de l’Homme-générique tout-puissant ne cherchant sans cesse qu’à rabaisser coûte que coûte le cheval, ou le canidé, domestiqués, pour mieux les exploiter, et ce dans un but marchand.
N’oublions pas que le mot chien, dans les dicos lambda, genre Le Petit Robert et le Larousse, ne désigne pas seulement un « mammifère (canidé) carnivore aux multiples races, caractérisé par sa facilité à être domestiqué, par une course rapide, un excellent odorat et par son cri spécifique, l’aboiement » mais également, ce deuxième sens étant on ne peut plus signifiant, une injure (familière, encore très courante), prononcée entre hommes, pour qualifier une personne bassement servile ou « personne maltraitée et réduite à une domesticité honteuse (esclave, laquais, larbin, valet) ».
- L’Avocate Avril Lucciani Lucciani et son client bien atteint, Dariuch (François Damiens), dans le foutraque et bricolé « Procès du chien »
« Un chien qui a mordu trois fois, il doit être endormi, c’est ça ce que dit la loi. » Avril (Dosch), une jeune avocate idéaliste, quadra sans mec, abonnée aux causes désespérées, voire perdues, s’est fait une promesse : sa prochaine affaire, n’en déplaise à ses détracteurs (dont un collègue flagorneur, et plein d'assurance satisfaite, antipathique !), elle la gagne.
Mais, lorsque Dariuch (François Damiens, agréablement à l’Ouest, comme toujours), client au pedigree chargé, chômeur handicapé (malvoyant) coiffé d'une tignasse hirsute façon caniche fatigué, au profil aussi désespéré que sa cause, lui demande de défendre son fidèle compagnon Cosmos, en passe d’être endormi (doux euphémisme employé pour ne pas dire implacablement éliminé en étant froidement piqué), parce qu’il a mordu par trois fois une femme, dont une brave femme de ménage d’origine portugaise désormais dévisagée (Lorene Furtado, intense Anabela Moreira) car sauvagement attaquée au visage (ainsi, ce brave toutou, davantage dans son aspect physique petit clebs attendrissant que molosse indomptable puissamment carnassier, ne serait-il pas misogyne, voire raciste ? On peut alors penser au Chien blanc phallocrate, dressé pour n'attaquer que les personnes noires, de Romain Gary), les conditions d’Avril l’aventureuse reprennent le dessus.
Commence alors un procès, digne du Moyen Age (ici, il n’est pas interdit de penser au film Les Chèvres ! de Fred Cavayé qui mettait en scène, dans la France de 1640, le procès d’une chèvre), aussi inattendu – allant même, attention spoiler, jusqu’à convoquer, parmi les jurés de fortune, du personnel religieux de croyances différentes pour discuter du statut du chien ainsi que de son supposé libre-arbitre, sans oublier l’utilisation incongrue d’un tapis sibyllin de buzzers (sic) pour faire parler le chien - bonjour l’anthropomorphisme courant à sa perte ! – qu’agité : le procès du chien.
- Qu’est-ce que c’est, un chien ?
Assurément, certaines sorties langagières y sont irrésistibles (en passe, qui sait, au vu du succès grandissant, au fil des jours, du Procès du chien, de devenir cultes), provenant notamment du juge circonspect (Cosmos risque l’enfermement ou l’euthanasie), joué malicieusement par Mathieu Demy, telle « Le chien Cosmos, sans nom de famille, de sexe masculin, vous êtes fils de Barbe à papa et de Chocapic », et autres « Reconnaissez-vous la gravité des faits qui vous sont reprochés ? », sans hélas jamais se mettre à hauteur de chien, au point qu’une greffière, s’inscrivant ouvertement dans le sillage « humaniste » du maître-chien, appelé de nos jours comportementaliste (complètement zinzin de cabots, cf. le drolatique Jean-Pascal Zadi, orfèvre en zygomatiques déchaînés), rappellera, au sein de la cour, un peu à court de compréhension de l’Autre à force de recourir à des éléments de langage corsetés et abscons, qu’il faudrait sûrement s’adapter au petit être poilu, tour à tour aboyeur et silencieux, jugé : « Il faudrait reformuler votre question de façon plus limpide, monsieur le président. »
Bref, aux yeux du président paresseux - accusé (de chien), couché, pas bouger ! Et faites profil bas bon sang, oreilles, poils et museau baissés, point barre. Le film a un côté BD très plaisant, après tout ce Cosmos est cousin de Milou, Pif, Rantanplan, Snoopy et autres Droopy !
Le Roman d’Avril
- Mathieu Demy est le juge blasé dans « Le Procès du chien ». ©Polaroid VD, pris dans Paris, le 20 octobre 2001 (le « PINIX » est de sa main !)
Pour le meilleur (sans oublier son art de mettre les pieds dans le plat à l’anglaise, afin de parler des dérives du temps présent (la justice-spectacle, boostée par une presse voyeuriste, et sans morale, en quête d’audimat (cf. le journaliste arriviste et crapoteux écœurant, « Cosmos va être le premier chien à être jugé responsable de ses actes dans le premier procès de chien depuis le Moyen Age ») et la perte du sens commun étouffé par les méandres ubuesques de l’administratif juridique asphyxiant), ainsi que ses personnages pittoresques, aux saillies verbales par moments jubilatoires et aux comportements des plus rocambolesques, de l’avocate du chien agresseur récidiviste craquante parce que maladroite et continument hésitante – « Mais quand est-ce que j’arriverai à à parler comme je suis, bordel de merde ? » - au propriétaire du chien nébuleux et nerveux (« C’est vous l’avocate des fautes désespérées, faites votre boulot ! ») en passant par l’avocate, et également politicienne de quartier (une certaine Roseline Bruckenheimer), trumpienne au possible ou, autres options envisageables, marinepepeniste (avec ses chats-doudous forcément adorables) voire zemmourienne, parce qu’outrancière et exagérément alarmiste (campée par la Canadienne particulièrement talentueuse Anne Dorval – « Écoutez, moi, personnellement, j'adore les chiens, mais ce chien il est méchant, et il ne mord que les femmes, ce chien, il est misogyne ! »), ainsi que par l’éleveur lunaire de chiens tombeur comme il se doit de ces dames, adepte d’une cryptée « science des chiens » empirique, style, l’entend-on dire avec gourmandise, « Couché au pied de son maître, il va faire des circonvolutions. (...) Attention, toupie, toupie ! »), ce Procès du chien, inspiré d’une histoire plus vraie que nature [Dosch ayant entendu parler d'un procès du maître d’un chien accusé de morsures graves à répétition qui avait fini par enflammer toute une ville de Suisse, jusqu'alors paisible, « Les gens avaient fait des pétitions, s’étaient beaucoup impliqués, affrontés. Ça m’a rappelée le moment du mariage pour tous. Lorsqu’il y a un changement de pensée, cela crée des réactions épidermiques, parce qu’il y a du flou, du trouble, ce que les humains ont du mal à accepter. Le fait que dans ces moments- là, tout puisse prendre des proportions énormes et dégénérer très vite, me fait peur. Ce sont des périodes qui auraient au contraire besoin de douceur, de temps, de nuances, d’échanges et d’idées : si seulement on arrivait à tous se mettre autour d’une table, pour réfléchir »], pose de bonnes, et tout à fait légitimes, questions : peut-on juger un chien, est-il un justiciable comme un autre s’il a fauté en société ? Est-il une chose appartenant à son maître pouvant être détruite parce ce que jugée nuisible ou bien un animal doué de raison (à sa façon) et de sensibilité, obligeant que, malgré tout(tou), on tienne compte de sa nature d’être vivant autonome conduisant, si grosse boulette commise de sa part (pris en flagrant délit), à un procès qui tienne compte de sa condition animale ?
Le chien, comme l’affirment les spécistes, n’est-il qu’un animal, donc inférieur à l’homme (qui lui, aurait une pleine conscience), ou bien une personne à part entière tout à fait respectable ? Et quid de la responsabilité du canidé dans le système légal et, in extenso, sur sa place dans notre société humaine ? Et serions-nous tout compte fait, nous les humains, des animaux comme les autres ? Questionnements confondants, non ?
- Laetitia Dosch et Kodi (Avril et Cosmos), un moment poignant de détente bienvenue et de grande complicité avant le grand bain de la dernière ligne droite du « Procès du chien »
De son côté, l’avocate des animaux, tant domestiques que sauvages - l'actrice considère, soit dit en passant, dans son je(u), le chien Kodi plus proche de Patrick Dewaere que de Christian Clavier ! -, Avril Lucciani/Laetitia Dosch, ajouterait (ce sont des propos pertinents prononcés, par elle-même, dans sa comédie philosophique poilante) : « Est-ce qu’on peut vivre dans un monde qui respecte la nature de chacun ? Sa singularité. On peut pas [le chien Cosmos] le juger comme un homme. Il faut qu’on redéfinisse le statut du chien. »
Largement préoccupée par la crise écologique actuelle et le sort des animaux sur notre fragile planète bleue, souffrant déplorablement du réchauffement climatique, « la Dosch », féministe, antispéciste convaincue (elle limite sa consommation de viande) et écolo fort soucieuse de l’environnement (ces trois marqueurs étant loin d’être incompatibles !), se demande quels rôles peuvent jouer l’art, passant souvent à tort comme planant définitivement dans sa bulle hors sol, et la culture dans notre rapport au vivant, et plus précisément aux bêtes : « (…) On considère beaucoup les animaux comme des objets. Cette idée d’objectiver les animaux, c’est précisément ce qui nous autorise à les manger. Ils n’ont pas d’autre valeur que celle de nous être utiles. Ça m’interroge beaucoup, et je pense que c’est sans doute parce que je suis une femme. J’ai toujours eu le sentiment de devoir correspondre à des modèles, pour servir à quelque chose. »
- Cosmos, l’ami public numéro un !
Pour le moins bon, Le Procès du chien est trop superficiel quant à certains thèmes qu'il se risque à aborder frontalement (l'absurdité de la justice, la violence inhérente à la société du spectacle et la montée du populisme gargarisé par le lâcher-prise apparent du Web, sous prétexte d'anonymat soi-disant non condamnable) et bien trop brouillon pour convaincre sur toute la ligne, en même temps ses laudateurs diront a contrario, qu’à l’image de son interprète féminine principale bord-cadre, c’est aussi ce qui fait son charme indéniable (pas faux !).
Pour autant, ce millefeuille Procès du chien ouvre moult pistes conduisant, pour certaines, à pas grand-chose de convaincant (il manque singulièrement de profondeur sur certains points) : pourquoi, par exemple, ne voit-on plus du tout, à partir du deuxième tiers du film, alors qu’au début du long il est des plus présents, l’avocat roublard et puant, un certain Jérôme (excellent Pierre Deladonchamps) ? Dommage. Puis, les problèmes de voisinage, aux running gags pas si drôles, avec le gamin punk solitaire, l’homme frappé soudainement dans la rue par l’avocate grandement stressée et l’attaque (forcée) du chien dans la forêt ne semblent pas vraiment indispensables au récit ; on peut aussi, selon moi, relever une anomalie factuelle de taille : ce chien Cosmos est supposé dangereux (il mord !), aux yeux de la société et des censeurs de tous poils ayant du pouvoir, or il ne porte jamais de... muselière - c’est bizarre, non ?
Nonobstant, malgré cette suite de réserves, ce film qu’est l'honnête Procès du chien, sans jamais atteindre certes les cimes vertigineuses d’Anatomie d’une chute, chef-d’œuvre naviguant avec brio dans les eaux troubles de la psyché humaine, avec lequel il partage à bien des égards certains tropismes (un procès, un chien, hommes, femmes : mode d'emploi, la pression médiatique grandissante) ou l’émotion grand écran, tout en évitant le tire-larmes, du beau mélo, sur fond de Souchon sentimental et de paternité contrariée, qu'est le solide, cinématographiquement parlant, Roman de Jim (sortie nationale le 14 août dernier) des frangins des Pyrénées (Arnaud et Jean-Marie Larrieu), offrant à Laetitia Dossch, en la personne de Flo, aux côtés du touchant Karim Leklou (Ayméric, père de cœur, autrement dit de substitution) et du chanteur chic stylé de la pop hexagonale Bertrand Belin (composant, par ailleurs, avec Shane Copin, la musique du film), un beau personnage, pas facile à jouer, de briseuse de destins sans complexe ; en même temps, il s’agit, pour ce tandem fort inspiré par le roman éponyme de Pierre Bailly, de leur neuvième film au compteur, et ils sont deux à la caméra !, alors que Dosch, elle, est toute seule, pour réaliser ce tout de même habile Procès du chien, qui n’est autre que son tout premier long-métrage. Elle progressera donc, eh oui c'est en forgeant que l'on devient forgeron !
- Les attachants frères Larrieu, juste avant de commencer leur passionnante, et gratuite (en accès libre dans l’agora-forum du musée), « Leçon des images » au Centre Pompidou-Paris, le 29 janvier 2022, ©photo VD
- Laetitia Dosch, réalisatrice et comédienne, ©photo Dorothée Thébert-Filliger
Puis, cerise sur le gâteau, en tant que temps suspendu s’ouvrant au regard poétique ainsi qu’à l’altérité (le grand orchestre des animaux) finissant par emporter le morceau, ce Procès du chien, in fine, a un atout vibrant de taille, tel un Oiseau ensorcelant - cette belle chanson datant, après vérification (je la découvrais), de 2022, tirant illico presto, lorsqu’on l’entend, via son lyrisme romantique brinquebalant, ce court long-métrage vers l’artistiquement élevé, volant haut, du côté des aigles azuréens et de la magie atmosphérique. Quand j'ai entendu cette musique en salle obscure, avec cette voix grave trainarde légèrement abîmée, avançant cahin-caha, tout en s’accompagnant d’une mélodie planante poétiquement perchée, je me suis dit immédiatement - « Ça doit être du Bashung, ça sonne bien, y’a du vécu, ça trimballe un truc existentiel, c’est habité genre Joe l’Indien, ça prend bien l’espace. » Eh non, c'est du Belin (Bertrand, encore lui !) mais c'est tout aussi bien !
- Pas besoin d’être sur son 31 pour voir « Le Procès du chien » ! Film vu à l’UGC Ciné Cité Les Halles (Paris)
Ne manquant pas de chien de la casse (l’errant des rues). « Cui-cui-cui-cui »... cuit-cuit : la vie qui crame, qui plombe, avec le désir de s’envoler, de quitter les amarres d’ici-bas, parce qu’au fond on n’est que serpent. C’est sublime. Alors, merci à Laetitia, prénom gainsbourgien – donc musical, chantant - par excellence, pour cette découverte sonore, c’est aussi ça le cinéma, et c’est pour ça qu’on l'aime tant, une caisse de résonance, de découvertes, de rencontres ainsi que de partage. Alors, musique Maestro !
Le Procès du chien (2024, 1h25). Comédie. Suisse, France. Couleur. De Laetitia Dosch. Avec Laetitia Dosch, François Damiens, Jean-Pascal Zadi, Anne Dorval, Mathieu Demy, Anabela Moreira, Tom Fiszelson, Pierre Deladonchamps. En salles depuis le 11 septembre 2024. ©Photos VD.
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