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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Phénomènes » de M.Night Shyamalan : un film loin d’être... (...)

« Phénomènes » de M.Night Shyamalan : un film loin d’être... phénoménal !


Shy, avec son Phénomènes, nous fait un Nature & Découvertes filmique lorgnant plus du côté du parc naturel que du parc d’attraction, tant mieux. On lui saura gré d’être un cinéaste contemporain ne tombant pas dans le filmage MTV tous azimuts d’une caméra hystérique, voire épileptique. Enfin un (vrai) cinéaste qui n’est pas dans le cut décérébrant, il soigne ses découpages, ses plans-séquences, ses cadrages et autres surcadrages. Chez lui, la mise en scène ne s’apparente pas à de la formule 1, il n’a pas fait de stage chez Jean-Marie Poiré - ouf, on respire ! - et il ne s’agit pas pour lui de filmer plus vite que son ombre. Il prend le temps de planter son décor, de camper ses personnages et, en orfèvre de la mécanique narrative et du découpage classique, d’installer son récit afin d’implanter petit à petit la peur en nous.

Ainsi, ici, la force du film vient d’un ennemi qu’on ne voit jamais, on le soupçonne simplement, il s’agit des arbres, des plantes dégageant dans le Nord-est des Etats-Unis, semble-t-il, une toxine qui rend fous les hommes en les poussant à se mutiler et à se tuer : l’un se donne carrément en pâture aux lions du zoo de Philadephie (cette ville étant devenue... Killadelphie - une accroche de journal, filmée en gros plan dans le film, nous fait part de cette prophétie), un autre passe sous une moissonneuse, des ouvriers se jettent du toit d’un gratte-ciel ou encore, une jeune femme new-yorkaise plante une grande aiguille, tenant son chignon, dans son cou. C’est du côté de la Nature qui reprend ses droits qu’il faut aller, et Shy, en maître ayant bien appris la leçon des anciens, notamment d’Hitchcock (on ne cesse de penser aux Oiseaux) et de Spielberg, se souvient certainement de la phrase du vieux sage de Jurassic Park expliquant la violence des dinosaures envers les hommes (manipulateurs) par la phrase suivante : " La nature trouve toujours un chemin ".

En quelque sorte, ici, qui sème la tempête, récolte le vent ! Il y a des plans superbes dans Phénomènes : les arbres ou les hautes herbes se couchant sous l’effet du vent, les œillades d’Elliot Moore (Mark Wahlberg), professeur de sciences, guettant un signe venant des forêts ou encore les grappes d’hommes et de femmes essayant, par des sentiers battus ou des chemins de traverse, de contourner la force du vent pour sauver leur peau. Toute cette peur distillée est faite avec trois fois rien, avec quelques brindilles, arbustes et buissons bougeant sous l’effet du simple vent. On se contente aussi, dans un superbe générique de début, de filmer des nuages en accéléré, virant du blanc au gris et vice-versa, et on se dit que Shy n’est pas un entertainer sans œil. Indéniablement, il a une bonne mémoire visuelle (eh oui, on a déjà vu ça au générique du Rusty James noir & blanc de Coppola ou au début d’Elephant de Gus Van sant !), et il a aussi, de toute évidence, un regard : il sait qu’avec son Phénomènes lorgnant du côté de La phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty - le corps comme ouverture perceptive au monde - qu’il va faire naître le trouble en nous avec quasiment rien, avec un peu d’’humus et en allant directement, par quelques scènes d’ultraviolence façon Romero, à l’os. C’est l’inquiétante étrangeté du familier qui vient nous faire peur - de simples arbres et arbustes devenant une menace sourde, voire pressante par l’arrivée du souffle puissant du vent.

Grand économie de moyens façon le fameux less is more des minimalistes, Shy, on le sait, souvenons-nous de ses Signes, Sixième sens et autres Village, est très à l’aise pour jouer, via les signes, les codes des genres et du langage cinématographique, avec nos peurs primales, nos effrois originels et nos émerveillements enfantins. Eh oui, Shy pourrait nous effrayer avec une simple chaise branlante dans un coin ! Ce coup-ci, il a choisi les arbres. Et dans cette volonté du cinéaste à créer le trouble sans effets numériques à tire-larigot et sans gros monstre Grand-Avalou venant tout dézinguer sur son passage, il y a des plans dans Phénomènes, et c’est là toute la force du cinéaste, qui font plus penser à Tarkovski, à Malick, voire à Weerasethakul, qu’à des gros maîtres en effets spéciaux du genre Spielberg, Cameron et Jackson - ça, bien sûr, c’est à mettre à son crédit, voire à saluer. On est bien en train de regarder un film de cinéma d’un cinéaste maîtrisant l’Histoire de celui-ci. Il y a chez Shy une foi inébranlable dans le cinéma. Perso, je trouve ça beau, il va même jusqu’à remonter par moments à un cinéma primitif. Deux exemples : l’ultra-simplicité de son filmage captant le mouvement des feuilles des arbres a entraîné quelques ricanements dans la salle où j’étais, les mêmes rires que l’on peut entendre devant les apparitions de spectres chez un Brisseau ou un Garrel. Pourtant, lorsque l’on connaît un tant soit peu le cinéma, on sait qu’un film, en tant qu’empreintes de lumières, peut se faire poème fantastique et que les apparitions fantomatiques dans un plan de ciné, on a déjà vu ça dans de grands films de l’Histoire du cinéma signés Dreyer ou Cocteau - excusez du peu. Autre exemple, j’aime assez (quand ça marche !) ce parfum d’enfance cultivé par Shy dans ses films et notamment dans son dernier : le coup des gens s’arrêtant dans l’image, comme gelés dans leurs mouvements, ça rappelle, et sans l’effet tonitruant des effets spéciaux style
Bullet time à la Matrix, le jeu que l’on a quand on est enfant et qu’on s’amuse, du genre « sculpture vivante » ou « nature morte », à ne plus bouger, histoire d’épater l’autre. Oui, il y a un côté Gérard Majax chez Shy que j’aime beaucoup ! Au rayon magie, quand la technique high-tech se fait trop sentir, style David Copperfield et consorts, je trouve qu’on y perd en poésie et en... magie - or M.Night Shyamalan, alias Mister Nuit, sait doser ses effets de manche.

Mais, démontons un peu sa machine-cinéma pour mettre à plat les combines de Shy le Malin : souvenons-nous, avant les arbres menaçants de son dernier opus, il avait trouvé le thème des fantômes pour son 1er carton au box-office (Sixième sens), des super héros camouflés dans le quotidien (Incassable), des extra-terrestres façon p’tits grigris (Signes), de la communauté aveuglée par son ignorance (The Village) et de l’ondine venue d’ailleurs (La Jeune fille de l’eau). Avec son Phénomènes, ce cinéaste ayant, il faut bien l’avouer, plutôt du mal à se renouveler, a dû se dire :" Eureka, je tiens là une idée d’enfer, je vais remplacer les oiseaux du père Hitch par des plantes maléfiques et hop, à moi le carton en salles !  »
Hélas, c’est là que le bât blesse avec son Phénomènes car le cinéma shyamalien, dont on connaît bien la chanson, a du plomb dans l’aile ces derniers temps - on le voit trop venir. Pourtant, il connaît le spectateur d’aujourd’hui : « Je crois au public, à sa connaissance des ficelles du cinéma, et je prends un grand plaisir à jouer au chat et à la souris avec lui. Le public est intelligent, il faut s’en servir.  » (MNS, in Studio n°163). Bref, serions-nous devenus trop intelligents pour lui ?! Son cinéma semble en autarcie comme son Village. Par moments, il se montre très fin (le thème magnifique de la Nature inquiétante) et, de l’autre, sa manipulation est pataude. Il surligne trop son récit via une musique sursignifiante de James Newton Howard (en avant les bruits d’outre tombe), un surjeu de son actrice principale Zooey Deschanel (bonjour les gros yeux écarquillés pour maximiser une émotion ou une réplique !) ou encore une morale panthéiste quelque peu plan-plan : une poignée de feuilles et d’herbes nous en veulent parce que l’homme, eh bien, il a fait du mal à la Nature – on nous assène la fameuse phrase d’Einstein : « Si l’abeille venait à disparaitre de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que 5 années à vivre. » Heureusement, au final, la morale est sauve : ce couple qui battait de l’aile et était sans enfant, après son épreuve de force l’ayant fait passer par une meilleure écoute de la Nature et une osmose avec le cosmos, attend un heureux événement : un enfant - alléluia, tout est dans tout, amen ! In fine, les trouvailles de Shy, désormais, s’éventent assez vite, ce qui émousse quelque peu notre plaisir de spectateur, on est bien loin du twist (coup de théâtre) hallucinant du Sixième sens.

Quelques autres exemples de lourdeurs : les gens qui se font mourir, c’est une bonne idée, alors Shy la sert avec des variantes en la mâtinant de politique, histoire que son film décolle de la série B lambda pour atteindre les cimes du grand film apocalyptique et pamphlétaire. Ainsi, les ouvriers se jetant d’un building nous parlent une énième fois du trauma post-11 septembre, c’est balourd. De plus, ses héros (Elliot et sa petite tribu) susceptibles de disparaître à tout moment, emballés dans un récit en forme de machine maladive confinant au massacre généralisé, on aimerait y croire, se dire qu’on tient là un grand film malade (selon l’expression labellisée Cahiers), on aurait sous les yeux un film bio, chlorophylle ou écologiste (au choix !), à couper le souffle, avec une puissance de sidération… phénoménale mais non, on tenait peut-être au départ un grand film en roue libre, un jeu de massacre jouant sur les coups de théâtre en deux temps trois mouvements, puis le vent tourne rapidement et pas forcément, hélas, en faveur du film, on sent les ficelles, les combines de faiseur pas toujours habile (par moments, la photo délavée, est fadasse, style téléfilm à deux balles). Attention : Shy qui roule n’amasse pas toujours mousse ! Certes, le film a son intérêt (qualité de filmage et de narration) mais il est en rien hallucinant, scotchant. Il mixe, on l’a vu, le 11 Septembre, et, au rayon cinéma, La Guerre des mondes (l’osmose Homme/Nature perdue, les déplacements de populations, la maison retranchée), Les Oiseaux (la famille déréglée devant faire face à l’irrationnel) et Psychose (Madame Jones, à la fin, le visage ensanglanté style sorcière, ressemble à la tête-épouvantail de Madame Bates).

Certes, ce film ne se plante pas à 100%, il a des passages où il est au plus près de l’humus et de l’os, pas si loin du Sublime (la virée romantique de la fin), puis, d’autres, où au final, la greffe ne prend pas vraiment, on se rapproche même d’une certaine niaiserie, du genre les petites cachotteries du couple adulescent. Bref, c’est loin d’un Romero, le politique étant si peu abordé. C’est du Spielberg (le Model Home de Phénomènes rappelle aussitôt la ville-témoin d’Indy 4) et en moins bien en plus la plupart du temps - nota : je vous parle ici du Spielberg quand il est en grande forme, celui de Minority Report ou de La Guerre des mondes. Malgré son côté venté, on ne décolle pas vraiment avec ce Phénomènes, ce sera du 2 étoiles sur 4 au compteur pour moi, pas plus. Finalement, concernant ce film « déceptif », ce qu’il y a de mieux, ce sont ses deux affiches, l’affiche française (avec une petite famille sous le poids d’une ville menaçante) et l’affiche-teaser, The Happening, avec ses voitures à l’abandon au bord d’une route mortuaire, d’ailleurs ces deux images ne sont pas présentes dans le film, c’est limite l’arnaque !

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« Phénomènes » de M.Night Shyamalan : un film loin d'être... phénoménal !

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2 réactions à cet article    


  • Alpo47 Alpo47 14 juin 2008 22:43

    Une bonne douzaine de films sortent tous les mois et vous publiez un article juste pour dire que celui là est mauvais..... Quelle est votre motivation, au juste ?

     


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 15 juin 2008 09:06

      Alpo47 : " vous publiez un article juste pour dire que celui là est mauvais.....Quelle est votre motivation, au juste ?

      Attention, je ne dis pas que Phénomènes de M. Night Shyamalan est mauvais, je dis, selon moi, qu’il est fort moyen. A part ça, en général, ma motivation est de donner mon ressenti sur un film vu en salle - et d’autant plus sur celui-ci qui, entre les mains des producteurs de la Fox, cultive le goût du secret, du mystère.

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