Philip K. DICK
Philip K. DICK connaît une étonnante gloire posthume. Depuis sa mort, Hollywood s'est emparé de son oeuvre. Ce sont surtout des nouvelles (short novels) de 20 à 30 pages dont des cinéastes ont tirés des longs métrages de presque deux heures (TOTAL RECALL) ou de plus de deux heures (MINORITY REPORT).
Philip K.DICK partage avec Woody ALLEN et Jim MORRISSON la redoutable gloire d'être depuis longtemps l'objet d'un culte en France. Il faut dire que ce culte est resté longtemps confidentiel, qu'ils sont tous les trois états-uniens, et qu'aux Etats-Unis une gloire confidentielle, est suspecte, surtout si c’est en France qu’elle a été repérée. Jim MORRISSON finira ses jours et ses ennuis à Paris en 1971. Oliver Stone lui consacrera un film vingt ans plus tard.
Philip K.DICK est mort en mars 1982, quelques mois avant la sortie du film de Ridley SCOTT : BLADE RUNNER. J'évoque ce film car il s'agit de la première adaptation d'un livre de DICK paru en 1968. On peut considérer qu'il s'agit d'une reconnaissance tardive d'Hollywood, mais Shakespeare avait attendu plus longtemps. Cependant un malentendu persiste entre l'écrivain et ses compatriotes. Le titre du livre paru aux Etats-Unis en 1968 et en France en 1976, c'est : LES ANDROIDES REVENT-ILS DE MOUTONS ELECTRIQUES ?
En effet, Philip K.DICK est un écrivain de science-fiction. Et c'est à ce titre qu'Hollywood a pioché dans son oeuvre. La science-fiction est un genre littéraire, bien sûr, mais c'est surtout une industrie américaine prolifique et organisée qui planifie le lancement de ses produits. Livres bon marché, revues spécialisées ou non, comics, d'abord. Puis "produits dérivés" : adaptations télé, cinéma, industrie du jouet, parcs d'attraction. Il fallait bien qu'un jour le cinéma tombât sur Philip K DICK qui était un écrivain productif (une quarantaine de romans et de nombreuses nouvelles). Lui-même, en 1967, avait écrit un scénario pour un épisode de la série LES ENVAHISSEURS, mais son idée n'avait pas été retenue.
De l'histoire que racontait DICK, les scénaristes de BLADE RUNNER n'ont donc retenu que l'aspect "anticipation" qui était propice aux effets spéciaux sans lesquels un film de science-fiction ne sera pas jugé efficace. Mais il y a toujours deux ou trois histoires dans les romans de DICK. Celle qui donnait son titre au roman est la suivante : En 1992, la terre est peuplée d'êtres humains et d'androïdes, de robots. La faune a presque entièrement disparu. Alors, afin de remplacer les animaux domestiques, une industrie florissante construit des robots-chiens, des robots-chats, des robots-vaches.
Seuls des gens très riches parviennent à se procurer de véritables animaux. Quant à certains robots-humains très perfectionnés, les androïdes, certains parviennent à se mêler à la population humaine. D'où l'intrigue de BLADE RUNNER (déterminer qui est humain et qui ne l'est pas) et le titre du roman (Pour s'endormir, les androïdes mêlés à la population humaine rêvent-ils de moutons électriques ?).
Ceux qui ont vu le film ont pu constater que cet aspect du roman a complètement disparu. En 1990, un autre film est sorti des studios d'Hollywood : TOTAL RECALL de Paul VERHOEVEN, avec Arnold SCHWARZENEGGER, dont le scénario a été écrit d'après une nouvelle de DICK. Enfin, en 1992, Jérôme BOIVIN a adapté un roman écrit en 1959 : LES CONFESSIONS D'UN BARJOT, film français avec Hippolyte GIRARDOT, Anne BROCHET et Richard BOHRINGER.
On pourra s'étonner qu'un même auteur soit à l'origine des deux films de science-fiction et d'une "comédie originale, insensée, stimulante, inclassable" (TELERAMA). L'humour a pratiquement disparu des deux premiers où se déchaîne une violence efficace. Un humour fou traverse le troisième qui s'achève dans une violence folle. CONFESSIONS D'UN BARJOT n'était pas pour son auteur un roman de science-fiction. Les premières lignes cependant donne le ton :
"Je suis composé d'eau. Personne ne peut s'en apercevoir, parce qu'elle est contenue à l'intérieur. Mes amis sont composés d'eau eux aussi. Tous autant qu'ils sont. Notre problème, c'est que nous devons non seulement circuler sans être absorbés par le sol, mais également gagner notre vie."
Il est vrai que c'est Jack ISIDORE, le barjot, qui parle et qu'il n'est pas le seul narrateur du roman. C'est pourtant lui qui encore chargé de la conclusion : « A en juger par mes options dans le passé, il semble évident que mon jugement n'est pas infaillible."
Cet humour, parfois très noir, traverse la plupart des romans de science-fiction de DICK. Il crée un univers dickien, quelque part entre Franz KAFKA et Marcel AYME. Le procédé de construction de ses roman est généralement le suivant :
1) une histoire de science-fiction, rarement classique, souvent audacieuse : exploration de l'espace, du temps, de la pensée, de la folie, de la schizophrénie, de l'esprit, de la mort, de la divinité, etc...
2) une ou deux histoires parallèles qui établissent le décor : un fond historique, un léger décalage dans le futur et dans l' espace (les romans de DICK se situent généralement dans la fin du vingtième siècle ou dans la première moitié du vingt-et-unième, rarement en dehors du système solaire, à plusieurs occasions sur Mars) ; quelques personnages secondaires qui souvent ont une lubie ; quelques détails technologiques (par exemple, l'orgue d'humeur dans BLADE RUNER).
3) enfin une histoire, toujours la même, d'un mal de vivre, d'amour difficile. Le "malhéros" est généralement partagé entre deux femmes, l'une bien sûr très névrosée qu'il veut quitter ou qui veut le quitter, l'autre... Parfois ça finit bien. On sent que l'auteur y a mis ses expériences conjugales et ses déceptions amoureuses.
Par cet aspect, DICK rejoint le roman noir américain. Il met d'ailleurs ses personnages dans des situations inextricables et réussit toujours à les en sortir. Parodie de happy end ? Des critiques ont reproché à DICK une certaine exagération dans ses rebondissements ; d'autres ont salué le virtuose.
Philip K.DICK est donc un auteur fréquentable, mais une fréquentation assidue peut avoir des conséquences secondaires. Mais, disait NIETZSCHE, "il faut vivre dangereusement".
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