Philosophie et Conversation avec la vie
Après une rencontre politique qui aurait pu faire polémique, j’étais en quête d’une nouvelle inspiration, c’est alors que durant une méditation, j’ai eu cette révélation, pourquoi ne pas directement converser avec la vie ? Celle-là même qui est à l’origine de nos fameuses fondations et de nos envies.
C’est donc après des semaines de recherche vaine qu’elle fit soudain son apparition.
“Alors, on en a assez de philosopher sur du superficiel ? Politique ? Passion ? Nation ? Bonheur ? Ah oui j’oubliais, l'Amour ! Et la peur ! fit-elle en souriant d'un air moqueur.
Elle semblait désinvolte la malicieuse, ça tomba à pique, j'avais décidé d’être moins aigri et de nouveau de sourire à la vie.
“Bonjour, très heureux de faire enfin votre connaissance, j’ai tellement entendu parler de vous, sachez que j’ai eu l’occasion de réfléchir sur de nombreux phénomènes durant de nombreuses années et j’aurai souhaité enfin savoir ce qui est à l’origine de ces idées, qui d’autre de mieux que vous pour éclairer cette curiosité.
“Ah je vois”, reprit-elle, “On tente une sortie de la caverne, on regarde dehors, sans s’y aventurer, vous avez de la chance, j’ai un peu de lumière sur moi, mais attention à ne pas trop la fixer, vous risquez la cécité.”
“Rassurez-vous, je garderai mes lunettes cartésiennes” lui répondis-je motivé, “donc voici ma première question, qui est cette fameuse nature qui nous rend la vie parfois si dure ?”
La vie prit son temps, surprise peut-être par sa présence dans le ici et maintenant.
Elle reprit vivement, “Je vais m'efforcer d’être concise, en quelque sorte, je suis une mutation de l’inerte matière qui s'est affranchie de la rigidité d’un père, une substance mutante régie par des processus adaptatifs et évolutifs, je crée de multiples enveloppes organiques, me duplique et perdure partout où cela est possible même en environnement hostile, grâce à un algorithme efficace et très flexible.”
Ni bon ni cruel, pensais-je, est-elle juste un chef d’orchestre jouant sa partition sans justice ni émotion ?
Je repris la conversation “En effet, ça semble simple et sans équivoque, mais n’êtes-vous pas aussi doté d’une sorte de volonté propre qui vous caractériserait, comme une forme d’intelligence qui pourrait avoir un sens ?”
“Je suis simplement mes productions” répondit-elle calmement, “Aussi féroce qu’un lion, aussi endurante qu’une fourmi, aussi fragile qu’un papillon, en réalité, je suis juste déterminée par la nature de mes hôtes, ici et ailleurs, partout à la fois, je suis toi, tu es moi, nous sommes nous, voilà tout.”
Je fronçai les sourcils un instant, “Je suis toi ? Donc si je comprends bien, vous vous parlez à vous-même au travers moi ?
“Oui en quelque sorte, et au travers vous, je peux peut-être même me découvrir ? “ Répondit-elle avec un sourire, puis elle s’approcha brusquement tout en me scrutant “Alors, qui je suis aujourd’hui ?”
Ma raison vacilla soudain, converser avec la vie n’était pas anodin, s'adresser au travers mon identité pouvait peut-être influencer l’intégrité de ses pensées.
Je repris donc promptement avant que les doutes aient raison de mon objectivité, “À mon corps défendant, je n’arrive pas à me représenter en une constellation d’identités, je suis probablement bien trop attaché à ma singularité, éclairez-moi je vous prie, mais sans trop m’aveugler, car j’aimerai sortir d'ici sain d’esprit.”
“Vous êtes confus, je le sens”, observa –telle “Votre conscience n’arrive pas à appréhender cette sensation à cause de votre sentiment d'unicité naturel accentué par l'individualisme actuel, mais c’est le prix à payer de votre émancipation vis-à-vis du groupe et de mon giron."
Elle repris “Vos ancêtres animistes par exemple étaient bien plus sensibles à ce concept d’appartenance à la substance ; Toutefois, j'ai décidé de vous offrir un cadeau, pour vous, je vais simplifier mon propos, voici une allégorie qui, dans un avenir proche pourrait bien paraître plausible :
“Imaginons que vous puissiez être cloné à l’identique, des milliers de fois, peut-importe, je vous pose donc la question suivante, êtes-vous cet ensemble de doubles ou chacun d’entre eux ? Et si l’un de vous disparaissait ? Qui trépasse vraiment ? Est-ce que vous comprenez mieux cette sensation d'être là et partout à la fois ? “ Elle fit une pause puis conclu ainsi : “ Si vous réussissez à conceptualiser ce que je viens de vous présenter, la mort pour vous ne devrait plus avoir de secret.”
J’étais abasourdi, un plafond de verre philosophique venait de voler en éclat, le secret de la mort m’était révélé par la vie, "ici et partout ailleurs à la fois ?" Ma raison pouvait certes y consentir, mais un doute profond m’empêchait encore de le ressentir.
Je repris : “Pourquoi sommes-nous si différents de la biosphère pour qui, parfois la vie est synonyme d’enfer ? J’ai l’impression que nous nous sommes émancipés afin d'accomplir une destinée ou bien qu’en nous, vous vous êtes en quelque sorte incarnée ?”
Elle se mit à rire, “En vous regardant, j’ai en effet l’impression parfois de me plonger dans un miroir” sourit-elle, “Il est vrai que tout comme moi vous créez et manipulez le vivant, je m’exprime en quelque sorte au travers vous tandis que vous cherchez à vous libérer de moi, mais sachez que tant que vous êtes incarné dans ce corps, vous êtes soumis à mon aumône hormonale, quoi qu’il arrive, vous êtes mes pantins, quand ça vous fait du bien ou quand ça vous fait du mal, mais un jour oui peut être, vous sortirez de cet enfer pour devenir un pur esprit, sage, immortel, façonnant la vie et la matière.”
“Plus d’argent ! Un bonheur permanent ! ” m’écriai-je “Cette sagesse-fiction me donna le frisson”.
“Oui mais plus de motivation !” Me coupa-t-elle “Ce bonheur éternel serait ma perte, imaginez un instant que votre productivité pourrait permettre à chaque être humain de travailler juste une dizaine d'années pour profiter ensuite d’une retraite confortable anticipée et bien, croyez-moi ou non, ce paradis est déjà une réalité, mais à condition que vos naissances soient régulées et surtout respecter entre vous une stricte égalité."
"Le problème est que sans ces affrontements, point de sélection naturelle" reprit-elle "Et surtout pas d'avancée technologique pour m'extraire de ce nid qui m'a vu naitre et qui pourrait bien de nouveau me faire disparaitre, comme les deux dernières fois !”
Puis elle ajouta malicieusement en secouant le doigt “Rassurez-vous bande de sauvageons, ce n’est pas pour demain votre rébellion”
Je restai pensif, quelque chose ne tournait pas rond dans ce discours, aussi j’ajoutais : “si vous êtes apparemment dotée de conscience et que nous sommes peut-être votre fer de lance, pourquoi avoir attendu si longtemps pour avoir créé des êtres suffisamment intelligents ?”
Je sentis soudain un silence, la vie ne répondait plus à mes doléances.
Afin de relancer son attention, je repris rapidement “4 milliards d’années, majoritairement constituées d'organismes multicellulaires puis de lézards, et deux extinctions massives plus tard, nous voici comme par hasard, est-ce une prise de conscience de votre part ? Ou nous sommes juste le fruit du hasard ?
Je sentis sa présence s'estomper laissant revenir les envahissants soucis à venir, mais je sens qu'elle pourrait bien repasser si son témoignage participe à l'émergence de nouvelles idées.
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