Le cirque littéraire a brièvement pris ses quartiers d’hiver avant-hier : dans un ballet neigeux de limousines et d’attachées de fesse du CAC 40 des usines à bonnes feuilles, Michel Houellebecq visitait la commune de Châtelus-le Marcheix (Creuse). Le prix Goncourt s’y rendait en hommage aux vingt pages Wkipédiesques de son roman sur ce village, choisi par hasard par l’auteur sur la carte Michelin du territoire français. En lisant cela, j’ai eu un déclic (« et c’est ainsi qu’Internet est grand » aurait dit Vialatte). Châtelus-le-Marcheix (hameau Les Cards), c’est là qu’est né, a vécu, est parti puis revenu Pierre Michon. Un Monsieur du stylo. Un écrivain. Un qui n’aura pas le Goncourt. Un qui creuse toujours dans le désert rural des « Vies minuscules ». Qui nous cause de la vie granitique, brève et rude, et de nos morts qui continuent à nous parler dans le transistor neuronal, sans qu’on puisse fermer le bouton de cette radio. Un qui creuse sa tombe dans le département du même nom, pour qu’on meure moins con quand la camarde frappera à notre huis.
Pierre Michon est antinomique du Goncourt, au sens où Pierre Desproges disait que « ce n’est pas le locataire du troisième qui est anti-fasciste, c’est le 3 eme qui est anti-locataire du fascisme ».
Pierre Michon, déjà, ça ne fleure pas le Goncourt. Ca vous a des relents de garagiste de village, de gérant de station Avia délabrée au bord des départementales, de cervelas ou de tête de veau persillée. Non, ça ne présage rien de bon pour finir au restaurant Drouant, dans les ventilateurs à brasser du rien et les flashes qui crépitent pour immortaliser la pépite.
Et puis Michon, c’est un écrivain. Modeste. Brillant. D’ailleurs, en 2009, quand on lui demandait s’il devait choisir entre le Goncourt et le Grand Prix de l’Académie française, il répondait : « le prix de l’Académie, car c’est beaucoup moins de travail avec la presse »(1). Il a été exaucé : il l’a obtenu, pour « Les Onze ».
Du reste, je suis injustement ironique avec Houellebecq. Rien ne dit que c’est véritablement au hasard, en « tapant au centre », que son auguste doigt s’est abattu sur Châtelus-le-Marchaix, Creuse. Il n’est pas exclu - Houellebecq étant le contraire d’un imbécile - que ce choix soit un hommage discret de fin lettré.
Pierre Michon, né en 1945 en ce village, écrit avec des phrases cognées, denses. Le poids des mots, sans les photos. Il est brut de circonvolutions : « qui n’aime pas ce livre n’est pas mon ami », met-il parfois en exergue de certains de ses ouvrages. De la vie comme de la littérature, Michon ne fait pas tout un plat : « Il faut que ce soit bref et violent » (1).
Il parle des douleurs sobres et minérales « de ceux taraudés par leur angoisse d’être au monde sans avoir assez de mots pour témoigner qu’ils sont ». Un écrivain public, en quelque sorte.
Dans son premier (et plus beau) livre, « Vies minuscules », il dresse un tableau de diverses vies côtoyées pendant son enfance et sa jeunesse dans la Creuse. Des charrues, des hommes, des moissonneuses-batteuses. Des âmes évidentes comme un tracteur Massey Ferguson, des âmes tristes comme les vieilles pierres du coin. Michon taille sa route dans l’agraire, son sillon dans le silex.
Creuse toujours. Cause toujours, dira-t-on au restaurant Drouant. Creuse toujours, parce que Michon est un excavateur de mémoire. Son devoir de mémoire à lui, c’est dans la Creuse qu’il l’exerce. En attendant la faucheuse, celle qui creusera pour lui. En attendant son Godot, il est écrivain pour les morts, qui lui tiennent la plume.
« Je n’ai pas besoin d’inventer des vies, des personnages. Il y a suffisamment de gens qui sont morts et qui attendent qu’on parle d’aux. Lorsque j’écris, je pense toujours au mythe de la résurrection des corps dans le christianisme. J’anticipe le jour du jugement dernier. Ces hommes ont eu une chair, je m’efforce de la faire revivre. Qu’ils se lèvent, qu’ils sortent du tombeau… Pour changer leur viande morte en texte, leur échec en or. Une fois de plus. »(2)
Et c’est Michon qui tient le stylo.
Et qui sont ces gens ? Des gens ordinaires, qui n’ont pas pu mettre des mots sur les maux qui leur arrivaient par tombereaux entiers de fumier bien fumant. Des vies minuscules, où les gens appellent Dieu tout ce qu’ils ne comprennent pas.
« Je voudrais revenir sur ce terme de minuscule, qui a été la cause de bien des malentendus ? Il serait regrettable d’en faire un synonyme d’humble, de modeste, de pauvre, de petit, etc.…Il n’y avait pas de misérabilisme dans cet adjectif. Je pourrais dire en simplifiant que j’ai appelé minuscule tout homme dont le destin n’est pas tout à fait à la hauteur du projet, c’est-à-dire tout le monde ».
« Les vies minuscules s’organisent autour de la maison abandonnée de mes grands-parents maternels, aux Cards. Joli port de mer que ce pays de déshérités, d’alcoolisme intense, où des êtres naissent diminués par leur origine. Je me suis toujours senti responsable de cet endroit, comme de la mémoire de mes grands-parents ». (3)
Mais attention, Pierre Michon n’est pas un chantre du lyrisme de la ruralité exaltée, façon Péguy.
« J’adore la littérature et je ne cesse de la détester, comme un paysan sa terre ». (4)
Dans « vies minuscules », il livre ainsi le portrait du père d’Antoine Pelucher :
« Or le père aimait son lopin. C’est-à-dire que son lopin était son pire ennemi et que, né dans ce combat mortel qui le gardait debout, lui tenait lieu de vie et lentement le tuait, dans la complicité d’un duel interminable et commencé bien avant lui, il prenait pour amour sa haine implacable, essentielle ».
En fait, il parle de gens qui viennent de loin mais ne vont nulle part. La ruralité n’est qu’un tableau, un prétexte.
Le style de Pierre Michon ?
Tantôt des phrases interminables de plusieurs pages, façon Céline, tantôt de petits missiles courts et denses, où tout est dit ( le genre « Aujourd’hui, Maman est morte », la fameuse première phrase de « L’étranger » de Camus).
Certains estiment que l’effort d’écriture est réel, mais trop visible.
Michon s’amuse de tout cela. Il décrit volontiers son œuvre comme une « risible cuistrerie ». Son ego ne menace personne, Michon ne s’aime pas.
« Toute cette louche étiquette de styliste qu’on veut me faire endosser, qu’on me le reproche ou qu’on m’en félicite, je ne me reconnais pas trop là-dedans. C’est peut être par hasard que j’ai pris cette façon-là, cette main à plume, précisément et pas une autre. C’était très circonstancié au départ et maintenant je ne peux plus m’en débarrasser. Cette langue exagérée m’est venue au moment d’écrire les « vies minuscules », pour installer ces vies dans l’écart le plus grand entre leur référent minable et les grandes orgues dont je jouais, pour rendre compte de cette nullité, et en même temps la magnifier et la dépasser. La transformer en son contraire, ce fut ma recette personnelle pour échapper au pire, qui est le nihilisme, ce fut ma façon d’avoir la foi, en quelque sorte. Si c’est la langue des anges qui rend compte de la vie bousillée des journaliers alcooliques du fin fond de la cambrousse, alors ils sont sauvés et celui qui en a parlé est sauvé avec eux. Une langue trop belle charriant les existences nulles et leur donnant un sens, cette positivation du rien, c’est ce qui me rend donne de la joie et une espèce de foi quand j’écris ».(3)
Il rend souvent hommage à Faulkner :
« C’est Faulkner qui m’a donné la clef, la violente liberté, l’audace d’entrer dans la langue à coups de hache. Il est le père de tout ce que j’ai écrit ».(5)
Alors, un écrit-vain, Michon ?
« Le miracle, c’était simplement, à près de 40 ans (NDLR son age à la parution de « Vies minuscules ») de pouvoir danser, enfin, sur mes deuils. C’était que mon désastre intime se résolve en prouesse, mon incapacité en compétence, ma mélancolie en exultation, bref toute chose et son contraire. Mais tout cela une fois obtenu et prouvé, cette compétence, cette exultation, qu’en faire ?
C’est là le deuxième écueil, l’écueil de l’écrivain qui écrit. Le miracle initial, on est bien tenté de la transformer en m étier ». ( 3)
C’est le problème.
Vous voyez bien, il n’aura pas le Goncourt, Monsieur Michon.
En attendant, il s’occupe de sa fille Louise de 5 ans, et, mi-sérieux mi-ironique, ajoute :
« Si j’ai survécu si vieux, c’est grâce aux femmes. Elles ont payé de leur personne » (1)
Il reçoit souvent Jean Echenoz chez lui. Quelqu’un qui a Echenoz pour ami (lui, le grand chantre de l’ascétisme et de la rigueur littéraire), ne peut pas être entièrement mauvais.
En attendant, il écrit des choses comme cela :
« Il a caressé des petits serpents très doux, il parlait toujours. Le mégot brûlait son doigt, il a pris sa dernière bouffée. Le premier soleil l’a frappé, il a chancelé, s’est retenu à des robes fauves, des poignées de menthe. Il s’est souvenu de chairs de femmes, de regards d’enfants, du délire des innocents : tout cela parlait dans le chant des oiseaux, il est tombé à genoux dans la bouleversante signifiance du Verbe universel. Il a relevé la tête, a remercié Quelqu’un, tout a pris sens, il est retombé mort ».
(Extrait de « Vies minuscules »)
Un style vif comme le froid, dehors.
Creuse toujours…
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(1)Entretien avec Daniel Morvan, Ouest France, 2009.
(2)Entretien avec Catherine Argand pour « Lire », décembre 1998
(3)Entretien avec Thierry Bayle pour « Lire », 1997
(4)Entretien avec Valérie marin la Meslée pour Télérama, août 1996
(5)Entretien avec Marianne Payot pour « lire », mai 1997.
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La Creuse , ses cafés bars et débits de boisson fermés rideaux tirés pour cause décès en 1976 et autres années de sécheresse
démographique . Un pépé en 4L roule à vive allure , 18 à l’ heure sur le petite route entre Saint Pierre de Bosc vers Préverange . Sa vie c ’est le champ à sa droite , une grande étendue bombée bordée de fougères avec sa cinquantaine de limousines au regard perdu aucun train ne passant là . Il va bientôt croiser la Deux CV de son vieux copain/ennemi Marcel avec lequel il y a un lustre ils se disputaient Yvonne qui finalement est partie au bras tatoué d’ un légionnaire revenant d’ une autre campagne . Marcel se souvient qu’ à cette époque il lui avait proposé de monter à Paris voir la Tour Eiffel , ils n’ y sont jamais allés pour une cause un peu vache .
Nestor un double scotch pour Sandro le remueur de mots .
Psitt merci de faire découvrir un auteur pointuré .
@ hyeronimus. C’est exact. Les discussions sont souvent trollés par une poignée d’irrésitibles qui tirent vers le bas le fil des discussions par l’outrance et le dérapage. J’avoue m’en être un peu lassé même si je sais qu’il ne s’agit là que d’une minorité.
@ Moreigne c’est bien de le reconnaitre perso je pense que ce qui fait la particularite d’Avox, c’est l’interactivite et le fil de l’article est svt plus interessant que l’article lui mm, qt aux trolls ..
@ Sandro mes excuses pour cette saillie inopportune sur le fil de son article
Bonjour, Pour ceux que cela interesse, je propose une mini-bibliographique sélective des oeuvres de P. Michon : -« Vies minuscules », Ed.Gallimard (1984) et Folio (1996) -« Maitres et serviteurs », Ed. Verdier (1988) -« Mythologies d’hiver », Ed.Verdier (2002) -« Abbés », Verdier ( 2002) -« Corps du roi », Ed.Verdier (2002) -« Les onze », Ed. Lagrasse (2009) , Grand Prix du roman de l’Académie française.
Ps : pardon pour deux grosses coquilles glissées dans le texte, j’ai demandé la correction à l’Equipe Avox.
Je n’ai pas écrit que Houellebecq était un fin lettré . J’ai dit que ce n’était pas un imbécile. Et donc, quand on appartient à une écurie membre du CAC 40 littéraire, il faut connaitre et surveiller la concurrence. Voire méme la lire. Voire méme reconnaître, seul le soir devant un feu de bois, que certains sont meilleurs que vous. Comme Houllebecq n’est pas idiot, c’est sans doute la raison de clin d’oeil pudique à « meilleur que lui ».
Merci Jack, merci. En fait, écrire sur Avox, c’est étre écri-vain public... Fors le plaisir d’avoir fait plaisir à quelques passants qui passaient. Serviteur...
Je n’avais pas observé votre retour sur cette antenne. J’ai utilisé vos commentaires dans un billet au moment où vous quittiez. On revient toujours à ses premières amours, dirait-on.
Non, ce n’est pas être écri-vain. C’est partager ses plaisirs d’écrire A mes débuts, je signais mes billets « L’enfoiré de service ». Mais, il faut réduire ses ambitions, non ? Merci pour ce billet, je ne connaissais pas cet écrivain. Au plaisir de vous lire.
Un écrivain majeur qui décrit l’influence qu’a eue sur lui un autre écrivain majeur, en lui attribuant la paternité de tout ce qu’il a écrit ! J’ai toujours su que Sandro ne se déplaçait pas pour rien...
Je le lirai si j’en ai l’occasion avec grand plaisir. Merci.
un ami m’a vivement conseille son « Le Roi vient quand il veut » parce qu’on affichait (a defaut du meme talent) les memes arguments sur les formats courts.
j’ai particulierement apprecie la pertinence et la sincerite de cet auteur, sa relation a l’ecriture. tres raffraichissant dans un paysage litteraire francais pour le moins deprimant.
et effectivement, Houellebecq s’avere lui aussi tres malin, meme s’il n’a pas non plus son talent.
par ailleurs, je ne sais pas si le Goncourt est un aboutissement pour un auteur. un objectif pour un editeur tout au plus.
quoi qu’il en soit, merci : c’est le genre de sujets qui me reconcilient avec AgoraVox.