Pourquoi faire croire au père Noël ?
Ohé ! Avis ! Alerte ! La magie de Noël est attaquée ! De nouveaux parents ont décidé d’intellectualiser le monde des enfants et de priver ces derniers de leurs rêves au nom du réalisme.
Que ce soit par militantisme, par ignorance, par paresse, ou par intellectualisme, on croise de plus en plus de ces parents qui veulent faire cesser la magie du père Noël. Alors qu’il est urgent de réintroduire le merveilleux dans nos vies et dans nos fêtes.

Mais il est encore temps de réagir et de préserver cette magie de Noël.
Car qu’on se le dise, le personnage du Père Noël, sous ses divers avatars, existe depuis la nuit des temps, et ce ne sont pas quelques générations déboussolées qui parviendront à le faire disparaître. Mais ils peuvent priver ces enfants de magie et de merveilleux souvenirs, et cela est terrible. Voilà pourquoi cet article viendra réexpliquer qui est le Père Noël, pourquoi il est indispensable dans notre société post-moderne, et tout ce qu’il apporte à l’enfant… et aux adultes.
Voici un florilège des arguments les plus souvent entendus auxquels cet article compte réagir :
- « C’est une invention de Coca-Cola, le symbole du mercantilisme de Noël »
- « C’est un mythe païen qui vient cacher la véritable joie de Noël qu’est la Naissance de Jésus »
- « C’est un mensonge raconté sciemment aux enfants pour les assagir ou s’en amuser »
- « C’est tellement dur d’apprendre plus tard qu’il n’existe pas, je ne veux pas infliger ça à mes enfants »
- « C’est un processus basé sur la rétribution des enfants sages qui n’est pas du tout égalitaire. C’est une forme de chantage »
- « Bah, Noël, je m’en moque, donc mes enfants aussi. Tant qu’ils ont leurs cadeaux, Ils sont contents »
Votre serviteur s’est retroussé les manches pour répondre à toutes ces objections intellectuelles, qui sont si éloignées du monde des enfants. En voici le résultat, en commençant par les plus absurdes.
Le père Noël, un symbole mercantile ?
Les origines du Père Noël sont très complexes et très riches à la fois. Le personnage emprunte son existence à de nombreux archétypes qui ont tous en commun la rétribution gratuite et mystérieuse, sinon divine.
Il y a 3 000 ans déjà, dans les mythologies anciennes, Odin (en Scandinavie) et son avatar folklorique Julenisse, Mikula (en Russie), Gargan (chez les celtes), et Strénia (à Rome pendant les saturnales) sont célébrés en décembre, au moment du solstice d’hiver (recommencement de la victoire des jours sur la nuit) et ont la particularité d’apporter des cadeaux aux enfants de façon mystérieuse. Si Strénia n’était guère que la patronne des cadeaux que les romains s’échangeaient pendant les saturnales, Odin descendait du ciel sur un cheval à 8 jambes pour récompenser les jeunes gens méritants. Julenisse était le vieux lutin des fermes qui protégeait les enfants et leur apportait des cadeaux, tandis que le géant Gargan arpentait les campagnes avec une hotte géante d’où il distribuait des cadeaux aux enfants.
Pas besoin de vous faire un dessin, vous reconnaissez bien notre gaillard. La tradition d’offrir des cadeaux à date festive (et le plus souvent au solstice où Noël sera institué) n’a rien de propre à notre société, certes mercantile, et existe depuis toujours dans des cultures fort éloignées de la nôtre. C’est plutôt un jour spécial de générosité et d’attention aux plus faibles, à ceux ordinairement ignorés dans les sociétés antiques.
Plus récemment, les étrennes données en fin d’année, apparues à la fin du XIXe siècle entre les maîtres et leurs domestiques, et parfois entre les parents et leurs enfants, participaient également à cette habitude du cadeau.
Bien entendu, nous n’en sommes pas encore à notre Père Noël et son traîneau. Mais lui alors, qui est-il ?
Le père Noël, un saint ?
L’origine du père Noël moderne est assez limpide, notamment grâce à son nom anglo-saxon : Santa Claus ! Oui, c’est bel et bien Saint Nicolas, tout simplement, qui a un peu changé.
Le véritable Nicolas de Myre était un jeune chrétien de l’empire romain d’orient, né en Turquie en 270 dans la cité de Patare. Il perdit très tôt ses deux parents, Euphémius et Anne, dans une épidémie de peste et hérita de leur fortune. Sa légende commence justement dans sa curieuse façon d’utiliser cette fortune.
Apprenant qu'un noble de la ville, ruiné, envisageait de livrer ses filles à la prostitution, Nicolas alla de nuit, trois fois de suite, lancer chez lui une bourse pleine d'or par une fenêtre ouverte, sauvant ainsi les jeunes filles. Éduqué par son oncle évêque, il devient prêtre, puis fut nommé évêque de Myre par la jeune Église catholique, où il eut à lutter contre la famine qui sévissait vers 312.
Et là encore, on raconte qu’il aidait certaines familles très discrètement, en jetant des pièces par les fenêtres. Une légende raconte que c’est ainsi que certaines pièces atterrirent dans des bas suspendues à sécher près de l’âtre. D’où l’idée qu’elles seraient tombées directement depuis la cheminée. Cela ne vous rappelle rien ? D’autres miracles pour sauver des enfants de la mort lui ont mérité le titre de saint patron des enfants. Il mourut martyr vers 343.
Le culte de Saint Nicolas s’est ensuite propagé jusqu’à aujourd’hui grâce au voyage de ses reliques vers Rome, puis en Lorraine au XIIe siècle, d’où il rayonna dans le nord de la France, aux Pays-Bas et en Belgique, où son culte est très vivace. Sa légende y a repris corps, et on aimait refaire vivre le saint distribuant des cadeaux le 6 décembre, jour de sa fête, aux enfants sages. Comme il est évêque, il porte sa tenue pourpre, de rouge et de blanc, et une longue barbe blanche (sans doute pour garder son visage mystérieux).
Aux Pays-Bas, Saint Nicolas se dit en flamand « Sinter Klaas ». Vous devinez, j’imagine, pourquoi ce petit détail est ici mentionné. Au XVIe siècle, Sinter Klaas résiste à la réforme protestante très vive aux Pays-Bas, qui bannit le culte des saints (et qui conduit à l’invention de Pelznickel ou d’Ascheklas, versions déchristianisées de Saint Nicolas). Et lorsque les premiers colons néerlandais (et protestants) débarquent sur les côtes américaines, ils emportent néanmoins avec eux la tradition de Sinter Klaas à la Nouvelle-Amsterdam en 1625 (qui sera rebaptisée New-York par les anglais 40 ans plus tard). Le nom de Sinter Klaas s’y déforme un peu pour devenir « Santa Claus »[1].
Mais comment Saint Nicolas est-il devenu un vieil homme passant par les cheminées à l’aide d’un traineau tiré par des rennes ? Nous avons vu que l’on avait déjà attribué à Saint Nicolas un certain intérêt pour les cheminées, mais que ses avatars antiques avaient eux aussi des pouvoirs bien pratiques (la hotte, le traineau, la monture descendant du ciel). Plusieurs auteurs les ont ainsi peu à peu réattribuées à Santa Claus, jusqu’à ce qu’un pasteur américain, Clement Clarke Moore, les synthétise en 1822 dans un poème écrit pour ses enfants, intitulé A Visit from St. Nicholas.
Le poème évoque un « petit vieux gaillard et ventripotent de St Nick » qui arrive avec un traîneau tiré par huit rennes, puis descend dans le conduit de la cheminée pour distribuer des cadeaux aux enfants. Ce poème est publiée par une amie le 23 décembre 1823 sous le titre « Twas the night before Christmas » dans le quotidien de Troy « The Sentinel ». Et c’est le commencement officiel du folklore du Père Noël tel que nous le connaissons aujourd’hui (quoique l’écrivain George Sand raconte qu’en 1809 en France, elle croyait déjà au père Noël).
Dans le Harper’s Illustrated weekly, l’illustrateur Thomas Nast représenta Santa Claus pendant 30 ans de façon très semblable à celui que nous connaissons aujourd’hui. Ce jusqu’à ce que le remarquable illustrateur Haddon Sundblom en fasse une figure plus massive et plus célèbre pour les besoins de Coca-Cola[2].
Thomas Nast – Santa Claus waiting On The Roof ( 1880)
Dans d’autres cultures, quoique n’étant pas directement Saint Nicolas, la figure du père Noël reste éminemment chrétienne, et notamment souvent associée aux rois mages venus adorer l’enfant Jésus. Ainsi, En Russie, on trouve Babouchka, vieille dame qui refusa d’orienter et d’accompagner les trois mages en marche vers Jésus. Se ravisant le lendemain, elle se mit à parcourir le monde pour offrir elle aussi des présent au nouveau-né qu’ils recherchaient tant, et à les distribuer à tous les enfants sur sa route. Elle devient parfois la mère Noël.
En Suède et dans les pays scandinave, c’est Sainte-Lucie (dont le nom signifie « Lumière ») qui vient distribuer des friandises, des pains d’épices, et des cadeaux aux enfants (une nouvelle fois, cette sainte a résisté à l'interdiction d'un tel culte chez les protestants). En Russie encore, on raconte aussi la légende du quatrième roi-mage, arrivé en retard avec ses présents à force de rendre service en route à tous les miséreux qu’il croisait. Il parcourt depuis les steppes en traineau et distribue à tous les autres enfants les cadeaux qu’il n’a pu donner au petit Jésus. Sans citer bien entendu les pays espagnols, où ce sont los Reyes, les rois-mages eux-mêmes qui, directement, le jour de l’Épiphanie où l’Eglise célèbre leur adoration, comblent de cadeaux également tous les petits enfants.
Mais alors, me demanderez-vous, si notre personnage ce n’est autre que Saint Nicolas ou quelque roi-mage égaré, pourquoi l’appeler « Père Noël » ?
Le père Noël, un personnage mixé ?
Comme nous l’avons vu, notre personnage est complexe et riche. Principalement inspiré de Saint Nicolas, il emprunte quelques caractéristiques de personnages plus antiques. Il est aussi curieux de voir qu’à la même époque où Santa Claus répandait ses cadeaux aux Etats-Unis et aux Pays-Bas, c’était le travail du « Father Christmas » au Royaume-Uni.
C’est qu’il existe encore un personnage auquel le père Noël emprunte son existence, c’est le vieux bonhomme Hiver. Au Moyen-Âge, c’est un homme usé qui vient se réchauffer au feu des foyers, et à qui l'on offre des présents ou un repas (un peu le contraire du Père Noël, donc). D’autres traditions russes ou anglo-saxonnes[3] évoquent le « Old man Winter » comme un vieillard qui vient frapper aux portes des maisons en hiver. Accueillez-le et nourrissez-le, vous vous assurerez un hiver clément. Fermez-lui la porte au nez, et il sera spécialement rigoureux pour vous (on y reconnait une origine du « Trick or Treat » (« un mauvais sort ou un bon traitement ») du futur Halloween). Ce vieux bonhomme hiver est habillé des autours de l’hiver : de vert et de blanc donc, décoré des plantes vivaces de l’hiver comme le sapin, le gui et le houx.
Le « Old man Winter » devient « Old Man Christmas » ou « Lord Christmas », puis « Father Christmas » en Grande-Bretagne. En France un personnage semblable existait : le « Père Janvier », qui récompense les bons enfants et punit ceux qui n’ont pas été sages.
Un père Noël mal aimé de certains
Pour autant, Santa Claus déjà n’est pas du goût de tous. Certes, les protestants n’affectionnent guère le culte des saints, et on peut comprendre qu’ils aient préféré lui substituer, aux Pays-Bas, l’idée (curieuse) que ce serait le petit Jésus qui ferait lui-même des cadeaux aux enfants. C’est ainsi que la Réforme a créé le Christkind, un enfant Jésus d’une dizaine d’année un peu changé en ange, voire en jeune-fille, qui distribue des cadeaux. Quelques catholiques à Dijon ont également vivement manifesté leur inquiétude devant l’étrange père Noël qui a peu à peu déplacé son généreux labeur du 6 au 25 décembre. Mais auraient-ils brûlé son effigie s’ils avaient su qu’il s’agissait de Saint Nicolas revenu d’outre-Atlantique ?
De même, les anglicans puritains, après la révolution anglaise qui a conduit à leur régicide, ont-ils fait interdire la célébration de Noël de 1947 à 1960 au motif que cette croyance était « un festival papiste sans justification biblique », en plus d’être un jour de gaspillage. Le parlement remplace la fête par un jour de jeûne. Il fallut le retour de la royauté (et des conflits extravagants dans toutes les villes du pays) pour que la raison revienne au pays, et le père Noël avec elle.
Enfin, même déjà beaucoup transformé, il faut croire que le père Noël est encore trop chrétien pour le régime russe communiste. Celui-ci préférera ainsi créer en 1945 Ded Moroz, un père Noël déchristianisé qui emprunte beaucoup au vieux bonhomme hiver, et passe dans les maisons le dernier jour de l’année.
Un personnage merveilleux abusivement récupéré
Chrétien ou non, le père Noël est rejeté par beaucoup car il a eu trop de connivences avec le monde publicitaire. Notamment, la firme Coca-Cola choisit en 1931 d’utiliser ce personnage folklorique pour donner l’envie de boire leur boisson rafraichissante même en hiver, sur la thématique du rude travailleur de Noël qui a besoin de faire une pause.
Beaucoup d’ailleurs ont prétendu que c’était Coca-Cola qui avait donné sa couleur rouge au Père-Noël ; c’est évidemment une mauvaise légende, comme nous l’avons vu. Santa Claus était le plus souvent représenté dans sa robe rouge d’évêque, et Father Christmas dans sa robe verte d’hiver. Les deux représentations cohabitaient avant que Coca-Cola ne le popularise mondialement. Il a seulement consacré la forme rouge de Santa-Claus, qui allait bien aux couleurs de sa propre marque.
Haddon Sundblom – Santa Claus
Notez que d’autres firmes ont très tôt utilisé l’image du Père Noël : Waterman en 1907, ou Colgate en 1920 avaient déjà eu l’idée parmi d’autres récupérateurs. Le problème d’ailleurs se situe bien là : chez les publicitaires. Tous, autant qu’ils sont, abusent et sur-abusent de l’image du Père Noël pour vendre leurs produits. Et à ce titre, la scène d’ouverture du « Père Noël est une ordure » est une terrible dénonciation du décalage croissant entre le véritable père Noël et son ignoble récupération.
La collusion entre le bienfaiteur des petits enfants et le monde de la publicité a rendu le premier suspect. De là est venue en bonne partie une certaine mauvaise image du père Noël auprès de familles en recherche d’authenticité ou en rupture avec la société de consommation.
Ce procès est pourtant mauvais, car le père Noël lui-même n’y peut pas grand-chose si de faux père Noël se promènent partout. Et étrangement, l’enfant jésus ChristKindl, los Reyes, ou la petite Sainte Lucie ne souffrent pas du même désamour. On ne peut rejeter le père Noël au motif que des imitateurs salissent son image.
Ce qui tue le père Noël, c’est l’overdose. Pas le personnage lui-même. Le père Noël – Santa Claus – a des origines bien plus nobles et exerce une activité bien plus pure que ce que les publicités racontent de lui.
Un mensonge proféré aux enfants ?
C’est l’un des autres arguments tarte à la crème au sujet du Père Noël. Il ne faudrait pas « mentir » aux enfants, ne jamais prétendre que des histoires merveilleuses peuvent être vraies. Ce ne serait pas leur rendre service, car le mensonge c’est mal.
C’est en fait exactement l’argument utilisé par les membres du clergé un peu trop rigoristes qui firent brûler le père Noël devant la cathédrale de Dijon en 1951 pour dénoncer la paganisation de la fête religieuse par ce bonhomme un peu magique. Voici leur justification :
« À la vérité, le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l'enfant et n'est en aucune façon une méthode d'éducation. », écrivait l’évêque Guillaume Sembel en manifestant sa colère (inculte) contre le personnage « Pour nous, chrétiens, la fête de Noël doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur ».
L’évêque de Toulouse Jules Saliége lui apporta son soutien, en interdisant tout autant que ce soit l’idée d’un Jésus qui distribue des cadeaux :
« Ne parlez pas du Père Noël pour la bonne raison qu’il n’a jamais existé. Ne parlez pas du Père Noël, car le Père Noël est une invention dont se servent les habiles pour enlever tout caractère religieux à la fête de Noël. Mettez les cadeaux dans les souliers de vos enfants, mais ne leur dites pas ce mensonge que le Petit Jésus descend dans les cheminées pour les apporter. Ce n’est pas vrai. Ce qu’il faut faire, c’est donner de la joie autour de vous, car le Sauveur est né. »
Heureusement, le célèbre chanoine Kir, maire de Dijon à cette époque, haussa les épaules devant cette polémique et fit oublier l’incident en montrant le père Noël sur les toits de l'hôtel de ville, ce qui resta depuis une tradition à Dijon. Qui fut le plus sot dans cette affaire, à votre avis ?
Et le plus grand réinventeur du Père Noël, Clement Clarke Moore, peut-il réellement être taxé de promouvoir le mensonge et la paganisation de Noël, lui le pasteur protestant américain, petit-fils de major, professeur de littératures orientale et grecque et surtout… théologien ? Qui peut croire que cet homme souhaitait paganiser ses propres enfants et s’amuser de leur sottise en racontant le beau poème de la visite de Saint Nicolas ? N’était-ce pas plutôt le projet d’un homme qui sait tout ce que le merveilleux peut apporter aux enfants (comme aux adultes) ?
On raconte à ce propos la réponse que reçut la petite Virginia O’Hanlon qui, à l'âge de 8 ans, voulut en avoir le cœur net. Elle interrogea le New York Sun en 1870 : « Santa Claus existe-t-il vraiment, ou non ? ». La réponse du journaliste Francis Pharcellus Church est entrée dans la légende : « ... Oui, Virginia, Santa Claus existe. Il existe aussi certainement que l'amour, la générosité et la dévotion existent... »
En 1962, la question surgit en France, quand La Poste reçoit une lettre adressée au Père Noël, rue des nuages, au pôle nord. Que doit-on en faire ? Le ministre des PTT, Jacques Marette, s’empare directement du sujet, et crée au centre de tri de Libourne un service spécialement chargé du courrier au Père Noël. Sa propre sœur, la célèbre psychanalyste Françoise Dolto, devine toute l’importance de préserver la magie de Noël auprès de ces enfants, et rédige elle-même la réponse du Père-Noël à ce courrier. Ce fut la toute première de beaucoup d’autres ensuite.
Norman Rockwell – Santa Claus le lendemain
Allons chers parents. Êtes-vous bien certains d’être avisés en prétendant qu’il ne faut pas faire croire aux histoires à vos enfants, juste parce qu’on vous appris que mentir, c’est mal ?
Toujours ?
Ne pas faire croire des histoires aux enfants ?
Parce que bien souvent, ces parents qui rejettent le père Noël avec cette excuse ne voient pas trop de problème à faire croire qu’une petite souris vient chercher des dents de lait sous l’oreiller, que manger la soupe fait grandir, ou que si maman compte jusqu’à 3, il va vraiment se passer quelque chose de grave.
De même, quels parents vont empêcher leurs enfants de rêver aux princesses, aux chevaliers, aux licornes, ou cesser de leur offrir les costumes ou images qui nourrissent et font vivre ces rêves, au motif qu’il ne faudrait pas entretenir la croyance en de telles balivernes, et se confronter très tôt à la triste réalité.
Soyons honnête, cette excuse cache souvent autre chose de beaucoup plus égoïste ou personnel sur le ressenti vis-à-vis du Père Noël.
Quant à prétendre « s’amuser de la naïveté de l’enfant », qui a déjà réellement vu des parents se gausser de leurs enfants croyant au Père noël ? Au lieu de cela, ce que nous voyons tous, ce sont des parents qui s’émerveillent eux-mêmes avec l’enfant. C’est à ses côtés, en partageant son regard empli d’étoiles, que les parents retrouvent eux-aussi leur propre âme d’enfant et se souviennent que le monde peut aussi être merveilleux, si l’on veut bien se laisser émerveiller.
De même, aucun parent à ma connaissance n’a jamais réellement privé son enfant de cadeaux à Noël parce qu’il n’était pas sage. Cet argument d’un prétendu chantage (même si certains parent à bout peuvent être tentés d’en user comme ils le feraient avec une sortie au zoo) est clairement de mauvaise foi.
Mensonge, conte, ou merveille ?
Pourtant le père Noël n’existe pas. Pas pour de vrai. Est-ce pour autant un mensonge que de le faire croire ? Car si beaucoup de parents estiment encore pardonnable de simplement laisser croire au père Noël de façon passive, entretenir activement et volontairement la légende est pour eux un crime coupable.
Il est certainement amusant de constater que si le premier grand promoteur du Père Noël était un pasteur théologien et professeur de littérature, un autre de ses plus grands admirateurs était un éminent philologue anglais enseignant à Oxford, parlant couramment 15 langues mortes, maitrisant les folklores de tous les pays d’Europe du Nord, et fervent catholique. JRR Tolkien, bien connu pour son œuvre géante du Seigneur des Anneaux (moins pour son colossal travail de redonner à l’Angleterre une mythologie complète, dont son fils Christopher a déjà exhumé 10 tomes immenses), était un fervent promoteur du Père Noël et aimait entretenir la magie de ce personnage par des lettres qu’il écrivait et illustrait chaque année pour ses quatre enfants. Il en a ainsi écrit tous les ans entre 1920 et 1942 à chacun d’eux – poussant la supercherie jusqu’à dessiner de faux timbres et tampons du Pôle-Nord sur l’enveloppe – dans lesquelles le père Noël raconte ses mésaventures là-bas en réponse aux lettres écrites par les enfants. Ces lettres sont devenues si célèbres qu’elles sont régulièrement republiées par les éditeurs.
Voici donc des enfants bercés de merveilleux (ou de « mensonges » ?) plus que n’importe quels autres. Qu’a-t-il bien pu leur arriver de terrible ? Christopher est devenu un très respectable universitaire à Oxford, maître de Conférence et régnant sur l’empire littéraire de son père ; Michaël devint professeur d’histoire après avoir été décoré pendant la 2e guerre mondiale ; Priscilla se tourna vers les autres en devenant assistante sociale ; et John l'aîné, est entré en religion et est devenu prêtre.
Il semble que les lettres annuelles de ce père Noël, et les recommandations données pour ne pas se laisser abuser par les faux (car le vrai ne pilote certainement pas des avions), leur aient plutôt donné une belle âme !
Car au fond, c’est cela la beauté des contes et des merveilles : donner une belle âme, gourmande de bauté, attendrie par la bonté, ayant horreur du mal. Qui leur donnera ces balises pour toute la vie si seule la réalité forme les enfants ?
Apprendre la vérité serait trop dur ?
Illustration de Rockwell
C’est l’autre argument un peu facile des parents qui prétendent priver leurs enfants de cette magie : la vérité est trop dure à apprendre.
Il semble au contraire que ce soit le principe de l’éducation et de la maturité de l’enfant. Commencer à discerner l’imaginaire du réel, et le vrai du faux. Les enfants passent leur vie à être déçus : quand le ballon de Mickey s’envole soudain dans le ciel, quand le jouet favori est cassé, quand maman sort ce soir, ou quand on lui refuse le jouet ou le bonbon qu’il veut à tout prix. Aucun parent n’imagine pourtant cesser ces contrariétés au motif que ce serait trop dur pour l’enfant de les vivre.
Y croire c’est rêver. Ne plus y croire, c’est grandir. C’est même un marqueur, un repère chez les enfants : « Tu y crois encore toi ? Moi non, ça y est, je suis un grand ». Et pourtant, les enfants assez mûrs aiment tellement le père Noël que, le plus souvent, ils entrent dans le jeu des adultes et aident leurs petits frères ou sœurs à y croire à leur tour. C’est qu’ils font partie désormais du monde des grands, ils en sont fiers ! La révélation sur le père Noël induit le plus souvent de la fierté – après une déception bien légitime – la fierté d’être initié, d’avoir le droit de savoir ce que savent les adultes, de ne plus être considéré par eux comme un enfant.
Laisser son enfant ignorer le père Noël ?
C’est là un cas de figure un peu plus singulier. Soit que les parents – ne sachant trop quoi faire devant l’omniprésence du père Noël dans la publicité – le laissent apparaître dans la vie de l’enfant sans trop lui donner de cadre, soit que ceux-ci aient repoussé la décision de faire surgir ou non ce personnage dans les premières années de la vie de l’enfant, il arrive que des familles ne croient pas au père Noël sans qu’aucune raison réelle ne le justifie.
Nous connaissons ainsi des amis en couple mixte dont le père, d’origine asiatique et bouddhiste, n’a jamais connu le père Noël enfant, et la mère, catholique, n’a pas vraiment pris de décision sur cette question. La petite fille, vers 5 ans, est revenue un jour de l’école en demandant d’un air très peiné à sa maman :
« Dis, pourquoi moi je n’ai pas droit au père Noël ? »
C’est que dans la cour de récréation, tous ses petits camarades lui parlaient avec des tremblements et des étoiles dans les yeux du Père Noël qui allait certainement leur apporter les jouets rêvés, et de l’attention qui sera portée à son accueil : un peu de lait pour les rennes, les chaussures au pied du sapin pour qu’il sache où poser les cadeaux, la cheminée sans feu ou la fenêtre pas trop fermée pour qu’il puisse entrer. Et elle, elle se voyait privée de participer à toute cette magie, toute cette histoire fantastique ? « Pourquoi maman ? ».
Priver ainsi son enfant de vivre de tels émerveillements, de partager de tels rêves avec leurs camarades, d’attendre la veille de Noël en regardant le ciel jusqu’à ce que le sommeil l’emporte, en rêvant qu’un bonhomme généreux pour tous les enfants va s’occuper d’elle personnellement ce soir-là, et courir découvrir quel cadeau ce personnage fantastique a bien voulu lui apporter, quel raisonnement adulte peut bien aller priver un enfant de cette joie ?
Finalement oui, le père Noël est un vecteur de vertus
Parents, faites croire au père Noël à vos enfants, et vous rendrez leurs âmes plus belles !
Comme l’explique J.R.R Tolkien dans son éminent essai « Du conte de fée » :
« La magie de la Faërie n’est pas une fin en soi, sa vertu réside dans ses opérations, au nombre de celles-ci se trouve la satisfaction de certains désirs humain primordiaux », comme « de contempler les profondeurs de l’espace et du temps », mais aussi la justice, ou la révélation d’un monde plus beau qu’il ne parait (le « recouvrement » d’une vue claire).
Il explicite le but ultime, « la fonction la plus élevée » de tout conte : la Joie. Le conte heureux doit apporter une grâce miraculeuse « qui donne un aperçu fugitif de la Joie, une Joie qui est au-delà des murs de ce monde ». C’est aussi « un aperçu soudain de la vérité sous-jacente à notre monde. (…) Un écho lointain de l’evangelium dans le monde réel ».
Alors, êtes-vous certain que le conte du Père Noël ne soit qu’un vulgaire mensonge ? N’est-ce pas plutôt une « vision » de la Joie sincère et pure, de l’amour, et de la générosité parfaite et humble ?
Ainsi, aux parents croyants qui s’inquiètent que le père Noël paganise leur enfant en prenant la primauté sur l’enfant Jésus : ne croyez-vous pas qu’au contraire, ce personnage mystérieux et plus facilement accessible aux petits enfants ouvre leur cœur au merveilleux et aux miracles ?
Car que raconte cette histoire ? Qu’il existe un homme d’une générosité infinie, qui nous connait, sait nos bonnes actions, et pense personnellement à nous. Que l’on peut même communiquer avec lui pour qu’il exauce nos souhaits, mais que c’est lui choisira ce qu’il exaucera, et qu’il œuvre pour nous tout spécialement. L’enfant se sait aimé par un personnage lointain qui ne lui fera pas défaut, même si le cadeau est tout petit finalement.
Il apprend aussi la générosité gratuite, celle qui n’attend pas de « merci ». Personnellement, dans l’esprit de Noël, je ne supporte pas tous ces parents qui, dès qu’un enfant a ouvert un cadeau, lui annonce « Ca c’est offert par tante Giselle. Va vite lui dire merci. Et ça c’est de moi, vient me faire un bisou ! » Tout le bonheur, tout l’émerveillement de Noël, c’est justement qu’il n’y a pas à dire merci. On reçoit gratuitement, de façon mystérieuse. On peut remercier le père Noël dans son cœur, mais ce n’est pas un exercice de savoir-vivre ou d’éducation. C’est juste gratuit. Le don gratuit existe ! Au moins le jour de Noël.
Le Père Noël ouvre l’esprit aux miracles, à la grâce gratuite. Et quand on apprend qu’il n’existe pas, on a justement l’âge de découvrir réellement Jésus, qui n’est plus un enfantillage, lui.
Haddon Sundblom – Santa Claus
Aux parents inquiets du mensonge qu’ils font à leurs enfants : vous voyez bien que les enfants, même quand ils savent la vérité, aiment le père Noël et préfèrent y croire.
Les psychologues ne le répètent jamais assez : l’enfant a besoin de croire en des choses extraordinaires pour grandir.
« C’est durant cette période de pensée magique que se construit une base, plus ou moins solide, à l’intérieur de l’enfant » nous dit la pédopsychiatre Nathalie Parent. « Le Père Noël est un personnage bon et souriant et il fait ainsi partie des représentations positives de l’enfant. En ce sens, on pourrait dire que de permettre à l’enfant de croire au Père Noël (ou autre personnage mythique du genre), en la magie, c’est lui donner espoir en la vie, le sécuriser, le rassurer devant les obstacles, lui donner accès à quelque chose de bon pour lui »
Aux parents inquiets de l’overdose mercantile et de la récupération du père Noël : en effet, c’est un risque sérieux. Le remède est simple : coupez la télé, la radio, refermez les magazines. C’est le temps de Noël, c’est justement un temps un peu magique et propice à d’autres rythmes de vie et – ô combien pour les adultes – à un certain retour aux sources.
Personnellement, je déteste cordialement tous les faux pères Noël, même les plus gentils des grands-pères assis dans des chalets de bois. Toute la magie de Noël vient de l’imagination que l’on se fait du personnage. Les dessins, les livres suffisent. Les pères Noël en chair et en os sont forcément en dessous de l’imagination de l’enfant.
Je me souviens clairement avoir commencé à douter de l’existence du Père Noël le jour où, à l’école, un monsieur déguisé en père Noël est venu nous distribuer des images, alors qu’on nous avait annoncé que le père Noël (le vrai donc) allait venir. La mise en scène a plutôt détruit le rêve qu’il ne l’a renforcé. Je dirai toujours à mes enfants que ces bons vieillards sont des faux père-Noël, mais presque comme le vrai (et ils n’ont absolument aucune raison d’aller se mettre sur leurs genoux, sauf s’ils le souhaitent vraiment)
En revanche, je me souviens très clairement avoir vu, au fond du jardin d’une grande maison, le traineau du père noël s’envoler dans la nuit, parce que quelqu’un avait couru dehors avec des grelots dans la nuit, traversant rapidement tout le jardin. Attiré pendant nos jeux nocturnes (la veille de Noël, c’était un privilège), nous avons tous accourus, surexcités, aux fenêtres donnant sur la nuit noire, juste pour entendre les derniers coups de grelot. Et le moindre nuage un peu visible, le moindre reflet de phare dans les branches d’un arbre, ou apparition de la lune, suffisait à nous persuader que nous venions de voir le traineau repartir dans le ciel.
L’imagination d’un enfant est puissante. Beaucoup plus que celle des adultes, qui veulent nous montrer en vrai-faux ce que nous voyons déjà de nos yeux d’enfant. Et si la magie de Noël existe, elle est bien là, dans le pouvoir d’imagination des enfants, qu’il ne faut certainement pas tenter de brider ou d’alourdir par intellectualisme.
Le monde peut être merveilleux, si l’on veut bien se laisser émerveiller.
[1] En 1773, le New York Gazette parle de Sinterklaas sous la forme dialectale Sante Klaas, qu'il abrège en St. A Claus, d'où plus tard, Santa Claus
[2] Toute la chronologie de la propagation du Père Noël dans le monde se trouve listée sur ce site : http://oncle-dom.fr/histoire/pere_noel/histoire.htm , et toute son évolution picturale sur ce site : https://publicdomainreview.org/collections/a-pictorial-history-of-santa-claus/
[3] Des références fiables sont difficiles à trouver
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