« Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ? »
C’est officiel. La lettre que Guy Moquet a écrite à ses parents, peu avant sa mort, sera lue à chaque rentrée scolaire dans tous les lycées de France. Le poème de René Guy Cadou « Les Fusillés de Châteaubriand » aurait pu l’être aussi. Il a été composé en hommage aux 27 fusillés, que le poète a croisés sur sa route le 22 octobre 1941.
Cet article clôt la trilogie consacrée aux poètes bretons. Le 22 octobre 1941, alors qu’il regagnait à bicyclette l’école où il enseignait, l’instituteur René Guy Cadou, a croisé, les camions qui transportaient les 27 otages qui seront fusillés quelques instants plus tard. Il leur a rendu hommage par son célèbre poème Les Fusillés de Châteaubriand. Le poème est aussi dédié à Max Jacob, autre poète breton, dont c’était l’anniversaire le 12 juillet, mort au camp de Drancy en 1944. (Voir ici l’article consacré à Max Jacob)
René Guy Cadou se savait très malade. Il mourut à l’âge de 31 ans (à peine plus âgé que Tristan Corbière, poète breton lui aussi, mort à 30 ans). "Continuez... Le temps qui m’est donné, que l’amour le prolonge", dira-t-il à sa femme Hélène, à ses amis. A Louisfert, ce que l’on a appelé "l’école de Rochefort" sera créée autour du souvenir de ce poète à la vie trop brève. L’école de Rochefort, fondée en 1941 par le poète Jean Bouhier, est, après le surréalisme, l’un des principaux mouvements de la poésie française du XXe siècle. Elle a connu son essor et sa réputation grâce à un groupe de jeunes poètes liés par l’amitié et originaires de l’Ouest de la France, dont principalement René Guy Cadou et Michel Manoll.
Tandis que Guillevic restera associé à la pierre de Carnac (voir article sur Guillevic ici), le végétal tiendra une place importante dans l’oeuvre de Cadou. En témoignent son recueil Hélène ou le Règne végétal, et son célèbre poème Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ? :
Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ?
- - Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ?
- - Mais l’odeur des lys ! Mais l’odeur des lys !
- - Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes
- - Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes !
- Je suis malade du vert des feuilles et des chevaux
- Des servantes bousculées dans les remises du château
- - Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes
- - Que le diable tente ! que le diable tente !
- Mais moi seul dans la grande nuit mouillée
- L’odeur des lys et la campagne agenouillée
- Cette amère montée du sol qui m’environne
- Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne
- - Tu périras d’oubli et dévoré d’orgueil
- - Oui mais l’odeur des lys la liberté des feuilles !
Les poèmes de René Guy Cadou se prêtant bien à la musique, ils ont été chantés par Luc Bérimont, qui fut son compagnon de l’école de Rochefort, comme Jacques Douai, ainsi que par Jacques Bertin, Gilles Servat, Julos Beaucarne...
"Mon Dieu ayez pitié de René Guy Cadou, qui ne sait
pas que ses vers sont le meilleur de Vous", a écrit Max Jacob. En réponse, René Guy Cadou dédia à Max Jacob son poème Les Fusillés de Châteaubriand (que vous pouvez lire ici.) "Parce que le vent est passé là où ils chantent / Et leur seul regret est que ceux / Qui vont les tuer n’entendent pas / Le bruit énorme des paroles."
La mémoire de notre Histoire passe aussi par la poésie et ce texte mériterait d’être connu de chaque lycéen tout comme la lettre de Guy Moquet à ses parents.
Xavier Grall, Youenn Gwernig :
Difficile de terminer cet hommage aux poètes bretons sans évoquer Xavier Grall, moins connu sans doute des non-Bretons, mais dont la poésie mystique est un souffle lyrique qui magnifie la Bretagne. Xavier Grall est né en 1930 à Landivisiau (29) et mort en 1981 à Quimperlé (29). Il fut aussi journaliste (à La Vie catholique, dont il fut le rédacteur en chef, au journal Le Monde, à l’hebdomadaire Témoignage chrétien, et au mensuel Bretagne).
Défenseur de l’identité bretonne, surtout au moment de la guerre d’Algérie qui ternit l’image de la France dans le coeur du poète, Xavier Grall redevient Breton en quittant Paris en 1973, pour retourner définitivement dans la région de Pont-Aven. Ainsi se clôt la boucle puisque le poème Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ? de Cadou correspond bien à la démarche du retour au pays de ce barde légendaire. Parmi les amis qui le pleurèrent dans la petite église de Nizon, près de Pont-Aven, il y avait Glenmor, Jean-Edern Hallier et Youenn Gwernig. Ce dernier, auteur de La Grande Tribu et poète bien connu en Bretagne, partit vivre longtemps aux Etats-Unis (où il rencontra notamment Jack Kerouac), puis il s’en revint au pays où il mourut, il y a bientôt un an, le 29 août 2006.
"On ne naît pas Breton, on le devient, à l’écoute du vent, du chant de branches, du chant des hommes et de la mer." (Xavier Grall)
- Alors pourquoi n’allez-vous pas à Paris ?
- Parce que la Bretagne est une terre de poésie.
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