Du 21 septembre au 23 décembre 1933, a lieu, à Leipzig, le procès des incendiaires présumés du Reichstag, dans la nuit du 27 au 28 février 1933, dont un certain Georgi Dimitrov, haut dignitaire de l’Internationale Communiste et futur chef du Komintern. Or, si Van der Lubbe est condamné à mort, contre toute attente, le bulgare et ses deux acolytes seront acquittés par le tribunal nazi. Thierry Wolton revient sur ce curieux acquittement, camouflet diplomatique pour le pouvoir nazi, qui fut un théâtre d’ombre derrière lequel se profilait l’ombre des deux dictateurs.
Dans son essai,
Rouge-Brun, le mal du Siècle,(
Jean-Claude Lattès,
1999),
Thierry Wolton, p.104-113, revient sur les dessous du curieux procès de
Leipzig, où furent jugés les incendiaires et commanditaires présumés de l’incendie du
Reichstag. Si la responsabilité de
Marinus Van der Lubbe, militant de l’ultra-gauche néerlandaise, ne fait, aujourd’hui, plus guère de doute, parmi les historiens,
l’arrestation de
Georgi Dimitrov, dignitaire de l’
Internationale Communiste, alors à
Berlin,
et de deux de ses adjoints,
Vasili Panev et
Blagoj Popov ainsi que celle du député communiste,
Ernst Torgler, correspondait au désir, du régime nazi de discréditer le KPD, déjà interdit le 15 mars 1933, et le
Komintern.
L’issue du procès semblait être prévue d’avance, avec une condamnation attendue pour tout le monde, la Gestapo n’étant pas avare de documents truqués ou de témoignages bidonnés, acquis sous la torture. La condamnation du quatuor bolchevique aurait, de plus, montré au monde entier, et notamment aux démocraties occidentales, que l’Internationale Communiste était une organisation à la solde de Moscou, chargée de déstabiliser les régimes étrangers.
Mais, coup de tonnerre dans un ciel d’azur, si Van der Lubbe fut condamné à mort, Dimitrov, Panev, Popov et même Torgler, furent acquittés par le tribunal nazi, après des fantastiques plaidoiries du futur chef du Komintern, ridiculisant le pouvoir hitlérien.
Si un contre-procès, organisé à Londres, par le missi dominici de Staline, Willy Müzenberg, comprenant des communistes occidentaux et des compagnons de route, avait, logiquement, acquitté tous les prévenus, en septembre 1933, la décision du tribunal nazi, elle, était difficilement compréhensible, dans la mesure où la "justice" dans l’Allemagne hitlérienne, n’était là que pour appliquer les décisions du Führer, au mépris de toute vérité !
De ce curieux acquittement, Thierry Wolton en donne une explication, en s’appuyant, notamment sur plusieurs témoignages de responsables communistes de l’époque.
internationale syndicale à la solde de
Moscou, qui, dès 1940, évoquait la supercherie du procès de
Leipzig, pièce de théâtre mise en scène par les deux dictateurs. En effet, le
Petit Père des Peuples, dès l’arrestation des trois bulgares, et notamment de
Dimitrov, dépositaire d’un savoir inestimable sur les rouages du
Komintern, décida d’arrêter une vingtaine de techniciens allemands, sur le territoire soviétique dans le cadre des accords de
Rapallo, en représailles des agissements allemands. Très vite, des tractations secrètes eurent lieu entre les deux parties, à
Copenhague, pour procéder à un échange de prisonniers.
Ruth Fischer, qui avec son compagnon,
Arkadij Maslow, dirigea, dans les années 20, le KPD, avant d’en être exclue, en 1926, raconta la même histoire. Rencontrant
Wilhelm Pieck, du
Komintern, et
Maria Reese, à
Paris, député communiste au
Reichstag, et amie d’
Ernst Torgler, un des co-accusés du procès de
Leipzig, elle entendit de vive voix, de la part des deux communistes, le fait que le célèbre procès était en fait une pièce arrangée à l’avance, dans laquelle
Dimitrov et ses deux acolytes, sachant déjà qu’ils allaient être acquittés, eurent le beau rôle.
Près de 50 ans plus tard, au début des années 80, un des acquittés, le bulgare Blagoj Popov, qui fut l’adjoint de Dimitrov, avant d’être victime des purges staliniennes, en 1937, pour finir au Goulag, jusqu’en 1954, confirma les deux précédents témoignages, dans ses Mémoires écrites au début des années 80 (Du procès de Leipzig aux camp sibériens, Paris, 1984).
Alors pourquoi cet accord secret germano-soviétique qui était au désavantage des allemands ? Pourquoi ce procès qui se transforma en véritable tribune politique pour Dimitrov, publicité mondiale pour l’idéologie communiste et camouflet pour le régime hitlérien ? Car comme le précise Wolton, ce n’est certainement pas pour une vingtaine de techniciens allemands qu’Hitler a cédé aux volontés de Staline !
Pour l’essayiste français, les raisons de ce procès puis de cet acquittement, trouvent leurs racines dans la compétition entre la
Reichswehr et les Sections d’Assaut, ou SA, milice nazie composée d’un million d’hommes, qui a permis l’accession au pouvoir d’
Hitler, mais qui menaçait, désormais, le monopole militaire des officiers allemands. Un homme fut au coeur de cette manipulation judiciaire,
Karl Radek,

surdoué de l’
Internationale Communiste, génial polyglotte et intellectuel de la révolution. Fin connaisseur de l’Allemagne, puisqu’il fut, juste après la défaite teutonne en 1918, envoyé par l’IC dans la République de
Weimar, pour piloter les velléités belliqueuses du remuant KPD,
Radek a vite compris que l’incendie du
Reichstag pourrait servir la cause soviétique, notamment en essayant de mouiller
Röhm et ses
sections d’assaut, comme les commanditaires de l’incendie,
Van der Lubbe n’étant qu’un pion aux mains de la SA. Pourquoi cette stratégie ? Parce que
Staline craignait cette milice nazie, composée de fanatiques qui s’apprêtaient à prendre le pouvoir militaire dans l’Allemagne hitlérienne et qui aurait menacé, rapidement, les positions soviétiques. Or, le corps des officiers de la
Reichswehr ne voulait nullement de ce dépravé de
Röhm, à la tête de l’armée, avec ses hordes nazillonnes comme adjuvant. Aussi, d’après
Wolton, c’est
Radek qui, avec ses contacts dans l’armée allemande, dès le 20 avril 1933, monta de toutes pièces un dossier, avec l’aide d’officiers de l’armée allemande, pour prouver les liens entre la SA et l’incendie du
Reichstag. Le procès de
Leipzig n’étant alors que l’ultime acte pour discréditer
Röhm auprès du
Führer.
L’incendie du Reichstag et le procès de Leipzig furent donc l’occasion d’une alliance secrète, mais objective, entre Staline et la Reichswehr, qui, tous les deux, voulaient se débarrasser des remuants SA. Hitler, arrivé il y a peu au pouvoir, acceptera le camouflet de Leipzig pour éliminer Röhm et ses comparses, quelques mois plus tard, au cours de la célèbre Nuit des longs couteaux, rassurant définitivement une armée allemande qui soutiendra, désormais, son pouvoir ! Ce premier accord secret entre nazis et soviétiques en appellera un autre, 6 ans plus tard, qui déclenchera la seconde guerre mondiale !