« Prometheus », un nouvel « Avatar » ?
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Prometheus de Ridley Scott était attendu comme le loup blanc. On l’a annoncé comme le prequel (film qui remonte aux origines) d’Alien puis le réalisateur himself a plus ou moins démenti en affirmant qu’il allait faire un film tout de même différent de son modèle avec ses propres tenants et sa propre mythologie. L’accroche de l’affiche du film est explicite : « La recherche de nos origines pourrait mener à notre fin. » L’action de ce long métrage (2h03), qui annonce semble-t-il une trilogie, se déroule 37 ans avant le premier Alien, à savoir en… 2085. Voulant dépasser leurs limites mentales et physiques, puis désireux d’explorer ce qu’il y a au-delà du possible, des scientifiques découvrent, à partir de pictogrammes, un indice sur l’origine de l’humanité sur Terre. A bord d’un vaisseau spatial nommé Prometheus, ces explorateurs se destinent à un voyage fascinant en découvrant un monde qu’ils n’auraient jamais imaginé et qui va peut-être leur faire percer le mystère de l’humanité.
On attendait beaucoup de ce Prometheus annoncé, tambour battant, comme étant le grand retour à la science-fiction de l’auteur de films cultes pour le genre : Alien, 1979, Blade Runner, 1982. Entre-temps, Ridley Scott, anobli par la reine, a diversifié son talent en signant un road-movie féministe (Thelma et Louise), des polars racés (Traquée, American Gangster), des péplums sur-vitaminés et autres Gladiator médiévaux (Kingdom of Heaven, Robin des Bois…), puis des films nettement plus oubliables car frôlant les abysses du nanar, style Hannibal et autres 1492 : Christophe Colomb avec notre Gégé national. Son dernier film ressemble à sa carrière. Inégal, il a un côté touche à tout pas déplaisant mais, à cause certainement d’une certaine grandiloquence symbolique et d’un goût pas toujours sûr pour la pompe visuelle, il ne décolle jamais vraiment de son statut de gros film [budget à 150 millions de dollars] se rêvant en grand film – niveau, selon moi, qu’il n’atteint jamais. En gros, Prometheus, avec ses scientifiques en scaphandres et ses surhommes aux têtes antiques revisitant les statues de l’Ile de Pâques, c’est Alien + Gladiator. Avec en ligne de mire la geste volontariste du cinéaste britannique de vouloir rivaliser sur le terrain de jeu du James Cameron d’Avatar.
Au génial Alien, Cameron avait répondu par Aliens. Du coup, Scott lui renvoie la balle en opposant au bleu luminescent fascinant d’Avatar le gris cendré de Prometheus. Dans les deux films, la 3D est là. On a aussi deux mondes qui s’affrontent, avec des autochtones sur une planète lointaine qui ne se laisseront pas faire et une femme forte aux commandes ; puis le même tableau de bord numérique en trois dimensions dans le cadre de l’image, avec pour Avatar la découpe d’un arbre de vie bio-écolo-chlorophylle et, pour Prometheus, une espèce de carte des étoiles agrémentée d’un système solaire modélisé. Et, comme Cameron, Scott aimerait nous clouer à notre fauteuil et nous sidérer avec un monde, certes sombre, mais où l’on peut tout de même admirer des cascades d’eau, des perspectives infinies et des paysages lunaires aux formes volcaniques. Cette planète, à la matière noire organique et aux tracés en volutes que l’on devine inspirées par des plantes, créatures marines et autres animaux sous influence de Giger, a, il faut bien l’avouer un certain impact à l’image, mais c’est toujours un cran en dessous du Pandora d’Avatar. On y croit moins. Comme si d’ailleurs Scott y croyait moins que Cameron, à son monde. Dans Avatar, qui n’est pas exempt loin s’en faut de défauts et de boursouflures, il y a quelque chose de puissant car on sent que son cinéaste - un brin naïf et c’est sa force - est tout à la fascination de sa lanterne magique. Scott, lui, on sent qu’il fait le boulot, plutôt bien d’ailleurs (son film a le mérite de n’être pas trop découpé, aucun montage épileptique de tâcheron), mais il signe simplement ici un film de plus. Et non pas un film dont on sent à chaque image qu’il fera date. Bref, on est loin de ses plus grandes réussites, Alien et Blade Runner, et du grand rival jalousé, Avatar, au pouvoir de sidération bien plus grand.
Rien qui ne soit véritablement surprenant dans Prometheus. On retrouve tous les ingrédients qui ont fait le succès de la quadrilogie Alien. Question personnages : le « Space Jockey » (géant fossilisé dont la découverte du cadavre entame la saga d’origine), une femme à poigne (ici Noomi Rapace est une cousine de Sigourney Weaver), un androïde (David rejoint Ash, Bishop et autres Call) et la bande de bourrins usuels qui accompagnent ordinairement toute expédition lointaine dans les films de SF aux aventures dopées à la testostérone ; en prime, on a un jeune acteur grimé en vieillard (Guy Pearce incarne Peter Weyland, directeur de
Comme s’il voulait faire de son nouvel opus un film de SF adulte, façon 2001 ou Bienvenue à Gattaca, il croit bon, d’agrémenter son histoire d’un Autre (ou alien) nous renvoyant à nous-mêmes, de bondieuseries, de paganisme de supérette, de mythologie grecque croisant, accrochez-vous, les Mésopotamiens, les Aztèques et l’art préhistorique de France, rien que ça ! Le film s’embourbe malheureusement par moments dans une imagerie numérique ampoulée et des propos fumeux dont on se serait bien passés. En outre, on est assez inquiet par l’intrusion du kitsch dans certains plans : que vient faire ici un jeune acteur grimé en vieillard comme dans une quelconque parodie TV ? Et les œufs durs en guise de touches d’un tableau de bord, les golems albinos sortis de chez Bilal, le joueur de flûte extraterrestre qui joue son petit air pour démarrer son engin, ou encore le vaisseau spatial en forme de bretzel géant, on ne peut pas dire que tout cela soit franchement inoubliable. A force de trop en mettre, le film Prometheus perd en mystère ce qu’il gagne en trop-plein indigeste. Au niveau image, on s’approche d’une espèce de Moebius de Monoprix et, question fond, on tend vers le gloubi-boulga spiritualiste à la sauce new age.
Pourtant, ce Prometheus contient des choses prometteuses. En ce qui concerne certaines perspectives intéressantes, il me semble que Scott, pour rendre son film plus scotchant (en créant une mise en abyme troublante nous renvoyant à notre propre statut de spectateur venant se faire peur dans une salle obscure), aurait du davantage creuser la cinéphilie du majordome-androïde David (finement interprété par Michael Fassbender, qui retrouve ici un personnage « autiste » assez proche du drogué sexuel de Shame). On le voit au début du film reprendre la coiffure de Peter O’Toole puis, après, dans le film, plus rien. Or, cette approche de la cinéphilie (rend-elle bon ou mauvais ?) donnait une nouvelle perspective à l’aventure intersidérale, on pouvait la voir comme un monde parallèle qui vienne redoubler mystérieusement celui du film. Enfin, au rayon de la peur et de la technologie anxiogène, la scène d’auto-opération chirurgicale est très forte (selon moi le clou du film). Mais c’est le seul moment véritablement effrayant du film (que du 2 sur 5 pour moi), comme si le cinéaste, à force de trop en mettre, avait oublié l’objectif numéro un (faire peur) et la phrase d’accroche de l’affiche originelle « Dans l’espace, personne ne vous entend crier. » Bref, ici, même pas peur ! Ou trop peu. Or cette peur au ventre c’est justement ce qui travaille de l’intérieur la saga Alien, puissamment hantée par l’esthétique lugubre de H.R. Giger.
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