Quand Boris Vian désertait
L’anniversaire de la disparition de Boris le 23 juin 1959, il y a 50 ans, n’a pas eu le retentissement mérité.
Avons-nous compris qui était cette comète qui en moins de 20 ans a bouleversé la vie culturelle de notre monde ?
Un touche à tout, a-t-on dit, évoquant parfois un artiste dilettante, incapable d’aller au bout d’une création…
Un peu facile peut-être, et surtout faux, car nous avons à faire à un authentique génie.
Cet artiste majuscule cherchait désespérément le moyen d’être entendu.
On lui doit 461 chansons.
La chanson, (certains pensent au fond d’eux même la chansonnette) un art mineur, tout juste bon à être chantée dans la cour d’un immeuble, ou sur la scène d’une improbable « starac ».
Pourtant, ces « chansonnettes » ne prennent pas une ride.
Du « déserteur » à « la java des bombes atomiques », Vian a magistralement démontré que la chanson était autre chose qu’un vague refrain sur le thème sempiternel du « je t’aime, t’en vas pas, je suis là, je reviens », destiné seulement à remplir le tiroir caisse.
Mais on a l’impression qu’il a fait çà comme çà, à la va-vite, et on se trompe.
Il a fait çà, car tout ce qu’il avait tenté jusque là n’avait eu qu’un écho modeste, limité à un cercle d’initiés…
Ce serait oublier que lorsqu’il s’était produit sur scène, il avait essuyé plus d’une fois les injures, les quolibets, et les sifflets.
Tout comme Gainsbourg avec lequel il a beaucoup de ressemblances, et qui l’a rencontré.
Mais avant les chansons, il y a eu d’abord et avant toute chose le Jazz.
Il est dit ici ou là qu’il avait « un petit talent » de trompettiste.
Un peu réducteur, car avant tout le monde, il avait découvert les plus grands : Amstrong bien sûr, Ellington, ainsi que Miles Davis, et tant d’autres.
Ceux qui ont eu l’occasion de l’écouter jouer se sont rendus compte qu’il n’était pas un interprète mineur, et qu’il avait un réel talent d’improvisateur.
Beaucoup plus tard, une grande maison de disque lui a même confié le soin de créer une collection.
Il a été l’un des premiers a proposer aux oreilles européennes Ellington, Basie, Hampton et tant d’autres dans une collection de vinyles 25cm que les collectionneurs s’arrachent aujourd’hui.
N’écrivait-il pas régulièrement dans Jazz Hot des chroniques, dans lesquelles il avait pris parti sans hésitation pour la modernité, affrontant sans complexe les « Panassié » et autres despotes culturels rigides qui voulaient envoyer aux oubliettes le Jazz dit moderne.
Un livre écrit par Gilbert Pestureau a été publié sur ces chroniques.(fayard/1999)
Mais au fond cet ingénieur des mines était avant tout un écrivain.
Un écrivain qui a côtoyé les plus grands, de Sartre à Prévert, mais sans avoir partagé le succès de ceux-ci.
A tel point que pour survivre, il va écrire des polars, sous un nom d’emprunt (Vernon Sullivan) dont il prétend n’être que le traducteur, et qui vont enfin se vendre : 500 000 exemplaires pour « J’irai cracher sur vos tombes » qui fera tant scandale qu’il sera interdit.
Etrange remerciement du public qui a boudé la plupart de ses romans, lesquels ne se vendaient à l’époque qu’à mille petits exemplaires.
Un autre grand écrivain a subi les mêmes déboires : Frédéric dard, dont pas grand monde ne voulait, et qui est devenu célèbre en se lançant dans ce qu’il appelait lui-même la littérature de gare, avec ses « San Antonio ».
Mais l’on sait moins que Boris Vian était peintre, exposant ses toiles aux cotés des plus grands, (Picasso, par exemple) mais ses toiles n’eurent pas le succès qu’elles auraient mérité.
Le hasard parfois perfide fait que le lieu où son grand-père a habité, l’Hôtel Salé, est devenu depuis le musée Picasso.
On reste stupéfait du parcours si rapide et si terrible de cet artiste majeur qui en moins de vingt ans a défié les genres, toujours avec réussite, mais sans rencontrer réellement le succès du public.
Rien ne lui a échappé : ni l’écriture, ni la musique, ni la peinture, ni le théâtre, ni le cinéma (il a joué le cardinal de Paris dans le film de Jean Delannoy, « Notre Dame de Paris »).
Aujourd’hui, ils sont peu nombreux à ignorer son existence.
Et pourtant, il reste un grand incompris.
Car comme disait un vieil ami africain :
« Quand la porte résiste, essaye la fenêtre ».
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