Que vaut Guillaume Musso ?
Guillaume Musso est, paraît-il, l’auteur français le plus lu. Cela faisait longtemps que ses ouvrages aux couvertures bariolées et aux titres un peu racoleurs (Que serais-je sans toi ? Seras-tu là ? Je reviens te chercher) titillaient ma curiosité. Décidé à me faire enfin ma propre idée sur le phénomène, je me suis donc procuré son dernier ouvrage paru en poche : 7 ans après (et non Sept ans après, histoire sans doute de coller davantage à un style texto plus familier à son lectorat).
Tout d’abord, il faut reconnaître à Guillaume Musso une indéniable propreté d’exécution. C’est plutôt bien écrit, efficace, évocateur, rien qui dépasse, on sent le travail, les versions successives pour arriver à un résultat bien léché. Le style est comme la couverture : très avenant, on ne peut pas dire que le lecteur soit rebuté sur ce plan-là.
Je ne dis rien sur l’histoire, c’est du cinéma mis sur papier, des images qui défilent au moyen de mots, sans la moindre épaisseur psychologique, mais après tout on a le droit, on ne demande pas à un roman d’aventures de nous révéler les tréfonds de la psyché humaine.
Je passe maintenant à ce qui m’a un peu plus gêné. Tout d’abord Guillaume Musso est l’inventeur d’un concept (à moins que ce ne soit Marc Lévy) : le roman américain traduit en français directement écrit en français. Ses héros, Sébastian et Nikki, sont deux américains vivant à New York, qui ne parlent pas un mot de français. Du coup, lorsqu’ils s’expriment, c’est soit, pour les phrases simples, carrément en anglais, en VO pourrait-on dire : « My name is Sebastian Larabee. I am American. This is a picture of my son Jeremy. He was kidnapped here two days ago. Have you heard anything about him ? » Soit, dans la plupart des cas, c’est en version « doublée », par exemple : « Je ne peux pas vous parler maintenant, poursuivit-il toujours en anglais. » J’avoue que le fait que l’auteur français le plus lu mette en scène des personnages américains parlant américain d’un bout à l’autre de ses romans a quelque chose qui me chiffonne un peu, mais je dois avoir l’esprit étroit, passons…
Non, ce qui est vraiment déplaisant dans l’univers de Guillaume Musso, c’est le matérialisme un peu crasse, un peu primaire, qui s’en dégage. On est tout de même en droit d’attendre d’un romancier une vision du monde personnelle, basée sur une certaine hiérarchie de valeurs qui dépasse un peu le consumérisme stupide et immédiat des catalogues pour magasins d’électroménager. Or, Guillaume Musso, ce qu’il aime, on le sent, ce ne sont pas les grandes idées ni les grands sentiments, c’est le luxe, le confort, les belles choses. Son univers est bipolaire : en haut, il y a « l’Upper East Side », les « lounges cosy », les « coupés aux vitres teintées », les « notebooks », les « fesses hautes et rebondies » ; en bas, il y a le monde glauque dans lequel il plonge, pour les faire souffrir, ses richissimes personnages : « les rades de banlieue, sinistres et crades », les « SDF », les « éclairages pisseux » de la gare du Nord, les « faunes bigarrées », les « faunes interlopes », etc. Ah ! il n’aime pas ça, les « faunes interlopes », notre Guillaume Musso, tout ça crée chez lui, je le cite, un « malaise », heureusement vite dissipé dès que ses héros s’engouffrent dans un avion et replongent dans leurs « iPods » et leurs « notebooks ».
Toute œuvre littéraire est le reflet de son époque. Celle de Guillaume Musso, agitée, tape-à-l’œil, dénuée de toute compassion et de tout idéal, est sans doute à l’image de la nôtre. On peut tout de même s’interroger sur toute cette génération d’auteurs, Guillaume Musso, Frédéric Beigbeder, Yann Moix, Michel Houellebecq, etc., qui ont vu sans sourciller, sans émettre la moindre réserve, l’accession au pouvoir du dirigeant le plus corrompu et le plus nocif que la France ait connu depuis plus d’un demi-siècle. On peut se poser des questions sur tous ces auteurs qui ont continué à prospérer comme si de rien n’était alors que leur pays s’enfonçait dans une crise atroce et amplement méritée. Victor Hugo s’était exilé pour moins que ça. Il est vrai que Guillaume Musso n’est pas encore tout à fait Victor Hugo.
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