Qui était Lola Montès ?
J’ai vu récemment le film de Max Ophüls « Lola Montès », sorti en décembre 1955 et qui fut à l’époque un échec commercial. Cette œuvre en avance sur son temps, devenue maudite depuis - elle sentait le soufre - a été restaurée par la Cinémathèque et le film a pu ressortir plus de cinquante ans après sa première.
Une chose m’a frappé au moment où défilait le générique, à la fin du film, c’est d’apprendre que le scénario avait été écrit d’après « La vie extraordinaire de Lola Montès » de Cécil Saint-Laurent (1919-2000). Or, je savais que ce pseudonyme cachait en réalité un des “hussards” des années cinquante, en l’occurrence Jacques Laurent, connu pour être un fervent stendhalien. N’a-t-il pas rédigé la fin d’un roman inachevé d’Henri Beyle, « Lamiel » ? Excusez du peu !
Et l’on sent bien dans l’esthétique du film une couleur stendhalienne, de la sécheresse aussi dans les dialogues, proches de la manière de Stendhal qui voulait que son style ressemblât à celui du Code Civil.
Mais qui était Lola Montès ?
Mes souvenirs littéraires me renvoyaient l’image d’une courtisane du XIXe donnée en pâture, et en cage s’il vous plaît, à un public au regard empli de concupiscence. Je n’ignorais pas non plus qu’elle avait quelque chose à voir avec Charles Baudelaire. Mais quoi ?
Une piste possible ? Le poète des « Fleurs du mal » a composé ce quatrain intitulé « Lola de Valence » :
« Entre tant de beautés que partout on peut voir, Je comprends bien, amis, que le désir balance ; Mais on voit scintiller en Lola de Valence Le charme inattendu d’un bijou rose et noir ».
Ce bijou serait-il la métaphore du sexe entrebaillé de la belle :
« [...] Le palais de cette étrange bouche Pâle et rose comme un coquillage marin »
dont parlera Stéphane Mallarmé in « Une négresse par le démon secouée » ?
Probable, mais cette Lola qui se souvient d’un tableau de Manet est-elle bien notre Lola Montès ? Je ne le crois pas.
Par contre, Baudelaire s’est bien inspiré d’elle pour écrire en 1847 sa nouvelle « La Fanfarlo » dont on pu dire qu’elle était un pastiche de Balzac, et plus précisément de « Béatrix », roman de 1839.
Alors, bis repetita, qui était Lola Montès ?
La vérité d’une femme
S’il n’est pas facile d’approcher la vérité d’une femme, alors que dire de celle de notre héroïne du jour ? Déjà le nom pourrait s’orthographier Montez ; le vrai prénom ? Maria Dolorès, mais là aussi ce serait trop simple, ajoutez don Éliza. Sa date de naissance ? Pour les uns 1818 (Limerick, dans l’Eire actuelle), pour les autres 1821 ...
Mais puisqu’il existe un livre qui relate ses faits et gestes, la biographie de Cécil Saint-Laurent, peut-on au moins s’y référer ? Que nenni ! Le livre est épuisé.
Lola, d’origine irlandaise par son père, mais créole côté maternel, se présentait comme une danseuse ... espagnole, du reste elle aurait inventé la tarentelle, nom tiré de la tarentule, on imagine une danse pour le moins saccadée ! Mais elle fut, semble-t-il une piètre danseuse, ne justifiant de cette qualité que par rapport à l’expression “entretenir une danseuse”, c’est-à-dire une passion, celle qu’elle inspira à ses amants argentés.
La vie amoureuse de la demoiselle est à cet égard édifiante. Mariée, elle convole une deuxième fois, ce qui la rend bigame, la situation se régularisera plus tard. Elle a de nombreux amants : Franz Liszt, peut-être Richard Wagner, à coup sûr le roi Louis Ier de Bavière (1786-1868) qui l’éleva au rang de comtesse, était-il aussi fantasque que Louis II, ce monarque qui aimait à faire construire des châteaux baroques, à l’image de sa personnalité ?
Et puis on peut y ajouter Alexandre Dumas fils, ce qui permet de supposer que nous n’avons pas affaire à une courtisane de bas étage, une lorette, mais à une égérie du demi-monde, Dumas fils en était un spécialiste jusqu’à lui consacrer une pièce de théâtre (1). Il est opportun de rappeler à ce propos la liaison du fils Dumas avec Marie Duplessis, qu’il dépeignit sous les traits de Marguerite Gautier, “La Dame aux camélias”, sœur ès galanterie de Lola.
Une certitude : Lola Montès devait souvent boucler ses valises ; chassée de Bavière lors du mouvement général révolutionnaire de 1848 en Europe, qui a bon dos soit dit en passant car le bon peuple de Munich supportait mal, et depuis belle lurette, l’influence délétère de Lola sur Louis, elle s’installera aux États-Unis qui ont toujours su accueillir les bannis de la vieille Europe, on la retrouve en Australie, puis de retour aux Amériques ; auparavant elle a fait scandale à Paris de 1844 à 1846 (2).
Bref une chatte n’y retrouverait pas ses petits.
Au fond c’est ce qu’il faut retenir et ne pas trop se perdre dans les détails.
Qui était Lola Montès ? Une aventurière, une femme libre notamment de mœurs, attitude courageuse dans une époque corsetée à l’image de l’Angleterre de la reine Victoria, un fantasme, tableau vivant de la lubricité, d’où son exposition finale sur les tréteaux d’un cirque.
Mais peut-être en son for intérieur était-elle restée cette petite fille qui rêvait au Prince charmant : « One day my Prince will come ... ». Elle l’aura trouvé en son Louis, dans l’intimité se risquait-elle à lui donner du Loulou ? En tous cas il fit faire d’elle un portrait, sans doute avait-il compris que l’on ne peut retenir un fantasme.
Nota bene : Lola Montès mourut en 1861 à New-York des suites d’une phtisie, la maladie qui avait emporté “La Dame aux Camélias »
Notes
(1) « Le Demi-Monde », pièce de 1855 (2) comme le rappellent Jean-Paul Avice et Claude Pichois in « Passion Baudelaire », Textuel, 2003
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