Vendus ! Quel méchant mot pour des êtres humains ! dirait Renée la concierge cultivée si pointilleuse sur l’usage de la langue française et si discrète sur ses dispositions intellectuelles. Oh ! Ils ne méritent pas mieux ! répliquerait Paloma, l’enfant surdouée aux pensées profondes et à l’humour dévastateur. Bof ! rajouterait Léon le chat de la mère Michel en reformant sa boule de poil, sans un regard pour ses compères félins du 4e étage.
Dans ce riche immeuble, de nombreux habitants défilent sous les yeux de la concierge, et les nôtres. Une chronique de la société bourgeoise qui mêle jeunes et anciens, socialistes caviar et catholiques déprimés, drogué et hystérique, livreur et conseiller d’Etat... Et tous affichent le masque de leur condition, de leur statut, de leur richesse. Et tous trichent !
Tous ? Non, pas le dernier emménageant, le Japonais Kakuro Ozu, le maître des chats sus nommés. C’est mon préféré, même s’il ne se présente que tardivement dans le roman. Son arrivée va bouleverser l’ordre bien établi des comédiens de la vie logés au 7, rue de Grenelle. Il devient la renaissance espérée de l’adulte Renée et l’espérance retrouvée de l’enfant Paloma, faisant sortir de leur tanière secrète la “vieille” dame trop érudite pour une concierge et la fillette trop intelligente pour accepter l’enfermement bourgeois qu’on lui promet. Kakuro est l’être que l’on aimerait croiser dans sa vie, un être qui pénètre les esprits, rassure les âmes et sonde les cœurs, ravive la braise endormie, calme la flamme égarée.
Et puis il y a Manuela, l’amie fidèle de Renée, sans un brin de culture, un véritable cliché de femme de ménage portugaise traînant ses plumeaux et ses regards dans les appartements des “gens de la haute”. Manuela, la présence du thé des mardis et jeudis, la fée du logis qui dans sa basse condition voit les choses se dessiner et oeuvre pour qu’elles se réalisent.
Kakuro et Manuela au service de Renée et Paloma, c’est la leçon d’amour du livre. Et quelle fin ! Triste, mais si belle.
Le chat Léon, “grosse outre obèse”, s’en fout. Pense-t-il, lui aussi, comme Paloma que “C’est peut-être ça, être vivant : traquer les instants qui meurent” [...] “Un toujours dans un jamais” ?
Une “pensée profonde” de Paloma (12 ans) : “Je ne vois que la psychanalyse pour concurrencer le christianisme dans l’amour des souffrances qui durent.”
Une analyse de Renée, sur l’autodidactie : “... elle fait l’offrande d’une liberté et d’une synthèse dans la pensée, là où les discours officiels posent des cloisons et interdisent l’aventure.“
Un excellent livre, un plaisir de lecture... sans tomber dans “l’hérissomania” médiatique qui a suivi - précédé - son succès en librairie.