Rapport Sarr-Savoy : l’acquisition d’oeuvres d’art africaines était-elle illégale ?
Le rapport Sarr-Savoy sur la restitution des biens culturels africains détenus par les musées français, qui sera remis au gouvernement vendredi, promet de faire du bruit. Il préconise la restitution entière de ces œuvres à leur pays d'origine. Cette solution divise, tant parce que si leur acquisition a pu être faite dans des contextes de violence, on ne peut pas parler stricto sensu de trafic d'œuvres arts et parce qu’elle semble parfois difficilement applicable dans les faits.
Un rapport qui divise
L'historienne de l'art Bénédicte Savoy et l'universitaire et écrivain sénégalais Felwine Sarr viennent d’accoucher d’un rapport polémique. Au printemps dernier, ces deux rapporteurs ont été chargés par Emmanuel Macron de réfléchir à la restitution de certaines œuvres d'art africaines dans leurs pays d’origine. Selon leur travail – un document qui « a seulement comme vocation à éclairer une réflexion », rappelle l’Elysée – l’intégralité des biens culturels africains collectés par la France durant les années coloniales seraient spoliées, et doivent, à ce titre, être renvoyés dans leurs pays d’origine.
Ce rapport s’est en effet concentré sur des collections acquises entre 1885 et 1960. « Nous sommes donc indiscutablement dans le fait colonial », souligne Felwine Sarr. Aussi, les auteurs préconisent une restitution massive de ces œuvres à compter de décembre 2018 et janvier 2019. Autant le dire, la proposition, qui va bien au-delà des demandes jusqu’ici formulées par certains pays africains concernés, divise. Déjà, la distinction entre les restitutions temporaires et les restitutions définitives n’y est pas évidente. Puis l’idée même de restitution est loin de faire l’unanimité chez les experts.
Pour Maître Yves-Bernard Debie, avocat en droit du commerce de l’Art et des biens culturels, « ce rapport est vicié et donc inopérant et sans effet dans la mesure où la mission confiée par le Président de la République, qui prévoyait notamment l’obligation pour les rapporteurs de consulter le ‘marché de l’art’, n’a pas été respectée. Aucun marchand d’Art premier français n’a été consulté. » D’après lui, les deux rapporteurs « se sont contentés de leur demander de dresser et « géo-localiser » une liste d’œuvres africaines à restituer ».
Quelle faisabilité pour cette « restitution » ?
Au-delà de l’argument procédural, la mise en œuvre de la proposition du rapport pose des questions pratiques sérieuses. Nombreux sont ceux qui estiment que le délai établi est bien trop rapide pour mener à bien la restitution en bonne et due forme des œuvres visées. Les critiques du rapport ont notamment souligné l’incapacité de certains pays africains à accueillir les œuvres, ou l’impossibilité de tracer précisément l'origine de certaines œuvres.
En outre, d’après le rapport, près des deux tiers de 70 000 œuvres exposées au quai Branly pourraient être concernés. Cette solution, si elle est retenue, créerait un manque à gagner abyssal qui remettrait en cause la survie même de l’institution. Elle pose également la question du sort des collections particulières, qui n'appartiennent pas au musée mais lui ont seulement prêtés. Hélène Leloup, historienne de l'art regrette ainsi que « la question des butins de guerre se soit insidieusement élargie à l'ensemble des patrimoines africains ayant quitté le continent sous la colonisation ».
Certains objets acquis légalement
En considérant la très grande majorité des œuvres africaines exposées en France comme un « butin de guerre », les auteurs soulèvent une autre problématique : celle du droit applicable aux faits. Un nombre important de ces objets ont été acquis avant 1899, date où 24 pays ont signé la Convention de la Haye, qui codifie les lois de la guerre et interdit le pillage. La solution du rapport se voit également reprocher leur « simplisme » en ce qu’elles ignorent largement l'existence d'un marché et donc de marchands africains à cette époque.
D’autres critiquent la terminologie retenue, notant qu’il n’est pas possible de parler de trafics illicites, mais plutôt la situation de domination à l'époque coloniale. Le même droit n’est donc pas applicable. Un renvoi massif se heurte enfin à un dernier point : l’inaliénabilité légale du patrimoine des musées français. Les auteurs appellent donc au vote d’une nouvelle loi pour encadrer la restitution et compenser l'acquisition d'œuvres, lorsque celle-ci a été faite légalement mais de façon certainement immorale. Mais là encore, quel critère faut-il retenir pour établir la moralité d’une vente ?
La douloureuse question de la colonisation
Il est évident que derrière cette restitution se dessine en creux la volonté d'une réparation pour les crimes et les pillages liés à la colonisation – une question encore épineuse en France, où il y a quelques années on parlait encore de loi sur les effets positifs de la colonisation. A contrario, Felwine Sarr, l'un des auteurs du rapport, est lié aux indigènes de la République – un mouvement « décolonial » peu connu pour sa modération, qui a été marqué par quelques dérives gênantes.
Il est indéniable que l'Afrique a connu un pillage culturel dont la France a été un acteur majeur. « Il est certainement légitime de poser la question d’une loi pour la restitution des objets emportés dans des circonstances similaires et des actes de violence commis pendant la période coloniale » souligne justement le rapport. Mais les réponses retenues semblent un peu légères. En outre, vider les musées français n'est pas une solution économique viable, plus de deux cents ans après les faits.
En somme, en se focalisant sur l'idée de réparation coloniale, le rapport n'a pas réussi à trouver des solutions alternatives qui réconcilieraient réparation morale et pragmatisme, et en cela risque de davantage crisper les échanges sur un sujet déjà très clivant.
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