Réhabiliter la Prusse
La récente traduction en français de l’Histoire de la Prusse, le maître-ouvrage de l’historien britannique Christopher Clark (Perrin, 29 euros), fournit une bonne occasion de réhabiliter le berceau de la germanité moderne. Car, au chapitre du romantisme allemand, les grandes forêts de l’Est chantées par Albert Vidalie ne sont pas moins émouvantes que les vertes vallées rhénanes…
Inutile de se voiler la face : la Prusse n’a pas bonne presse. On y associe souvent le IIIème Reich et ses crimes, en oubliant que le führer fou était bavarois et que ses ennemis les plus farouches au sein de l’appareil militaire allemand – comme le chevalier Rudolf von Gersdorff, l’un des premiers officiers à avoir tenté d’assassiner Hitler, avant l’illustre Stauffenberg récemment campé au cinéma par Tom Cruise dans Walkyrie – étaient, précisément, des aristocrates prussiens.
La Prusse a fait les frais de cette assimilation abusive à la brutalité nazie, au point qu’elle figure désormais dans l’étrange liste des "pays disparus", aux côtés de l’Abyssinie, du Baloutchistan ou…de l’Atlantide ! Christopher Clark explique d’ailleurs pourquoi les vainqueurs de 1945 – et les autorités allemandes de l’époque, prêtes à d’absurdes concessions pour effacer l’opprobre né des atrocités nazies – ont exigé que le mot-même, Prusse, disparaisse : « La survie de l’Etat prussien, ne fût-ce que de nom, (…) encouragerait la renaissance d’une Allemagne autoritaire centralisée » estimèrent en effet les Alliés au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Si les nazis ne se privèrent pas d’instrumentaliser le mythe prussien, à l’instar de Goebbels, abondamment cité en ce sens par Clark, la légitimité d’un tel rapprochement apparaît aujourd’hui comme largement infondée : « La lecture nationale-socialiste du passé de la Prusse fut opportuniste, déformée et sélective » explique en effet Christopher Clark. Les chefs nazis étaient, en particulier, complètement étrangers au soubassement spirituel des entreprises de modernisation politique, économique et militaire conduites par le roi Frédéric le Grand, figure majeure du Siècle des Lumières – un cadre éthique décrit avec humour et finesse par Theodor Fontane dans Le Stechlin (Le livre de poche n° 3295), l’émouvante histoire d’un junker qui lutte pour rester à l’écart des bouleversements barbares amenés par le XX° siècle. De même, note Christopher Clark, « Frédéric-Guillaume IV, le "romantique sur le trône", sensible et doué pour les arts, fut presque entièrement escamoté » par les sectateurs hitlériens.
Or, la Prusse fut aussi – et reste – un pays romantique, doux et mystérieux. Patrie des chevaliers teutoniques, lesquels n’étaient pas les fanatiques de la légende, comme l’a montré avec subtilité l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim (Les chevaliers teutoniques, Tallandier, 29 euros), la Prusse a inspiré nombre d’artistes, pour la majesté de ses paysages et la noblesse de ses mœurs. Outre Fontane, déjà cité, on pourra évoquer les œuvres merveilleuses, hélas oubliées aujourd’hui, d’Ernst Wiechert, comme L’Enfant élu (Le livre de poche n°2078), qui compte des passages poignants sur la tragique austérité des grands espaces de l’Orient germanique.
Au total, l’ouvrage de Christopher Clark constitue l’apéritif expédient pour un voyage imaginaire au cœur de cette Prusse tourmentée qui, selon les mots du grand historien humaniste allemand Rudolf von Thadden, « même morte, ne trouve pas le repos. » (La Prusse en questions, Actes Sud, 15 euros)
Matthieu Grimpret
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