Rencontre avec Davy Sicard
Interview exclusive de Davy Sicard, auteur interprète réunionnais, pour la sortie de son nouvel album « Ker Marron » chez Warner music.
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C’est bien souvent de la façon la plus simple que les choses se passent : deux-trois contacts avec son manager, un coup de fil à Davy lui-même pour fixer le rendez-vous, et me voilà à Bras-Panon, dans son salon où trône un magnifique roulèr, l’écoutant chantonner alors qu’il se change à l’étage.
Originaire de Saint Denis, il m’avoue avoir migré dans l’Est par envie de calme, envie d’être un peu en retrait sans pour autant être coupé de tout.
En effet, depuis 2005, sa vie d’artiste commencée en 1994 devient très faste, notamment avec ce grand tournant qu’a été le Printemps de Bourges en 2005. L’année 2006 n’est pas en reste avec la sortie tant attendue par toutes les personnes qui l’ont vu sur scène de son premier réel album Ker Marron produit par Warner Music.
Sa voix chaude et pure, ses chansons si mélodieuses et travaillées, tout est là pour faire de cet artiste la nouvelle étoile montante de La Réunion en Europe. Tout cet été, il va sillonner, entre autres, les différentes scènes métropolitaines. Décollage en douceur, vol en apesanteur et atterrissage appliqué, il va faire voyager le temps d’un concert des milliers de personnes vers notre petit bout de France perdu dans l’Océan indien.
J.E (Jack Enko) : Sur ton dernier album, Ker Marron, une de tes chansons s’intitule « Maloya Kabossé », et tu reprends aussi cette expression pour définir ton style musical. Peux-tu nous donner une définition du « Maloya Kabossé » ?
D.S (Davy Sicard) : Ce n’est pas une expression utilisée, mais c’est à l’image du Maloya que je fais, qui n’est pas un Maloya purement traditionnel, mais plus « cabossé », avec des formes plus contemporaines. L’idée m’est venue comme ça, ça n’a jamais été réellement réfléchi, mais aujourd’hui je l’utilise comme quelque chose qui colle bien à mon style.
J.E : Ce mélange de maloya traditionnel avec des touches plus modernes est-il nouveau ou s’inscrit-il dans la même lignée que celui d’autres artistes comme Nathalie Natiembé, ou encore Ziskakan ?
D.S : Cette démarche musicale n’est pas nouvelle, elle existe depuis bien des années avec des groupes comme Sabouk ou encore Karoussel. Ce sont des groupes qui s’appuyaient sur le Maloya, mais l’associaient à des genres musicaux « venus d’ailleurs » entre guillemets, comme le jazz, ou le rock aussi. Aujourd’hui, les gens qui découvrent le Maloya peuvent le découvrir sous sa forme traditionnelle, mais aussi sous une forme évoluée comme effectivement avec Nathalie Natiembé ou Christine Salem même si son Maloya d’apparence est très roots, il reste très ouvert. Le Maloya que je fais est à mon sens peut-être pas nouveau, mais différent, notamment par son apport harmonique dans le chant.
J.E : Peux-tu nous rappeler tes débuts ?
D.S : Ma toute première expérience musicale, je l’ai eue avec les « Collège brothers », un groupe " a capella qui a eu un certain succès à La Réunion entre 1992 et 1997, groupe qui est né au Lycée du Butor et qui à force de scène est devenu à tendance professionnelle. On avait même été récompensés par un prix international RFI. C’est à cette époque que j’apprends les rudiments du travail de la voix. Ensuite, je fonde un groupe en 1997, System’Sy qui faisait de la soul-funk. Je commence à mettre en avant des textes en créole. Toujours en 1997 je prépare l’enregistrement d’un album, toujours dans le style funk ou jazzie, album qui sera finalisé en 1998. En 2000 je marque une coupure, je pars en métropole, à Paris, pour tenter ma chance, partir de La Réunion après des expériences personnelles qui ont mal tourné. Là-bas je rencontre des artistes comme Mellowman ou Alias qui étaient dans une mouvance R n’ B. Je commence à être accepté par tous ces gens, ils m’offrent des journées de studio pour pouvoir enregistrer mes trucs parce qu’ils aiment bien ce qu’ils entendent. Et puis à un moment donné je prends des décisions. Je me dis que si je continue comme ça, je vais faire de la musique comme tout le monde, alors que je pense pouvoir amener autre chose. Je me sentais aller vers une espèce de conformisme, entrer dans une espèce de formatage, et cette idée ne me plaisait pas trop. Je décide de revenir à La Réunion, et là je m’essaie à des expériences musicales, comme « Sega 2000 », un truc énorme avec 50 musiciens classiques et 150 choristes. Puis avec un ami, Vincent Belleque, on reprend des standards locaux, version actuelle, en funk, en jazz, en blues. C’est ainsi que nait " kréolèr "avec en plus un bassiste et un guitariste. Naît ensuite le groupe « Tamatame », qui allie musique créole et bretonne, qui sera aussi une expérience très enrichissante. Et puis ensuite « Sabouk » qui me demande de reprendre le rôle de chanteur, parce que le leur doit partir. Je dois dire que ça n’a pas été évident, car je l’aimais beaucoup leur chanteur, je trouvais qu’il avait vraiment quelque chose, un côté roots, mais aussi un côté jazz. J’étais un peu désolé de reprendre sa place. Parallèlement je tombe d’accord avec Discorama pour produire mon premier album. Mais trois ans s’était passé depuis 1998, et je me sentais faire autre chose, j’avais déjà écris de nouvelles chansons. Je fais donc une autre proposition en termes de projet d’album, proposition qui plaira moins. Alors me retrouvant tout seul, je décide de faire quand même ce projet en autoproduction. J’obtiens une aide de La Région, et c’est ce qui va me permettre de faire Ker volcan en 2003. « Sabouk » et « Tamatame » s’arrêtant également à cette date, je ne me consacre plus qu’à mes propres projets.
J.E : Par rapport à tes influences, on a pu lire que tu étais un peu le Ben Harper réunionnais. Quels sont pour toi les artistes qui ont pu influencer ton style ?
D.S : Le Ben Harper réunionnais ? (rire). Ce que j’ai commencé à écouter, c’est un peu ce que tout le monde écoute. Mais je me suis penché quand même plus en avant sur des artistes comme Bobby Mac Ferrin, Terence Trent D’Arby, que j’adore, ou bien d’autres artistes que me faisait écouter mon père enfant comme Nat King Cole, Percy sledge, Otis Redding. Un environnement bien soul et jazzi, et ensuite plus moderne avec Terence Trent d’Arby qui pour moi est un chanteur exceptionnel. Mais j’ai vite eu envie de découvrir ce qui se fait réellement à La Réunion, en écoutant du Danyel Waro (qui a joué sur Ker volcan, ndlr), gramoun lélé, firmin viry, et surtout du Alain Peters, pour essayer d’en faire ressortir quelque chose. Mais j’aurais du mal à me comparer avec ces artistes-là. Pour la musique actuelle, en réalité j’en écoute pas vraiment beaucoup, même si j’aime bien des artistes comme Camille, Pauline Croz, une copine qui va sortir prochainement un album qui s’appelle Skye, ou encore Ayo. Je viens de découvrir aussi Bénabar, et je dois dire que j’aime bien son univers.
J.E : Pour Bénabar, tu as fais d’ailleurs sa première partie, ainsi que d’autres grands artistes comme Tété, Alpha Blondy, Cesaria Evora, Victoria Abril, et même James Brown. Quel effet ça fait de jouer avec ces personnes qui sont des figures ancrées dans le paysage musical national, voire international comme pour Cesaria Evora et James Brown ?
D.S : Pendant très longtemps je chantais avec une insouciance folle. J’étais plus intimidé par le public que par les artistes qui allaient jouer derrière moi et qui me prêtaient leur scène. Etre en première partie de James Brown, je me disait « ouah, c’est chouette », mais ça me stressait pas plus que ça, et en plus j’ai même pu chanter avec lui, bras dessus bras dessous ! Un super moment qui s’est fait comme ça, à l’improviste. C’est cette insouciance-là que j’avais à l’époque. Non, réellement c’est le public qui m’intimide le plus, qui me fait parfois trembler comme une feuille avant de monter sur scène pour aller me dévoiler devant eux. La première partie de Tété était un énorme défi : c’était la première fois que je jouais comme ça, tout seul avec ma guitare pour 4 ou 5 morceaux, des nouveaux en plus !
J.E : Tu fais désormais beaucoup de dates en métropole et même dans d’autres pays comme la Suisse ou la Belgique, quelle différence avec le public réunionnais, qu’est-ce qui t’as le plus surpris ?
D.S : Surpris par leur accueil. Ils savent que je viens d’une île, et l’accueil est vraiment très chaleureux. Quand j’ai des retours comme quoi ils ont pu voyager pendant mon concert grâce à mes morceaux, ça surprend réellement. Leur ouverture d’esprit est assez incroyable, et m’a frappé dès le début. Ils ont comme l’envie d’un ailleurs, de partager réellement les choses. Ils se laissent prendre au jeu, se mettent à chanter en créole. Une des plus belles expériences est celle d’un concert à Genève où j’ai joué dans un parc où trônaient deux magnifiques arbres, on aurait dit deux frères ou même un couple. J’ouvre alors le concert avec la chanson « Un peu de moi » (album Ker marron, ndlr) qui parle justement d’un arbre, et là les gens se sont tout de suite mis à danser, comme si j’étais à La Réunion, c’était incroyable.
J.E : La tournée que tu commences très prochainement est importante également, avec des dates comme le Nice Jazz Festival, les Francofolies, de nouveau la Belgique ainsi que Genève. Est-ce que ce sont des dates que tu appréhendes encore ?
D.S : Surtout les Francofolies. Je l’avais fait il y a 10 ans de ça avec les « Collèges Brothers », et c’était énorme ! Une logistique incroyable, un TGV affrété que pour les artistes, vraiment quelque chose d’impressionnant. Je sais que je vais devoir lutter contre une certaine pression.
J.E : On va parler un peu de ton nouvel album, Ker Marron qui est sorti depuis le mois de juin. Est-ce que pour toi il y a une continuité d’avec Ker Volcan ?
D.S : Oui, surtout pour la musique, même s’il y a un virage de pris. Les routes ne sont pas toujours droites. Quelque part Ker Volcan ne pouvait m’amener qu’à faire Ker Marron. J’avais déjà songé pour Ker Volcan à une instrumentation plus roots, avec seulement du roulèr et des choses comme ça. Et puis j’avais finalement choisi de garder la guitare, la batterie. Pour Ker Marron, en termes de percussion il n’y a que du traditionnel. Mais également de la basse, de la guitare, même de l’harmonica ou de l’accordéon (notamment avec René Lacaille, ndlr).
J.E : Quelles sont tes inspirations ? La vie de tous les jours, les faits divers ou plutôt des thèmes de la culture réunionnaise ?
D.S : Le but de Ker Marron c’est de parler de La Réunion, son identité, sa force, son esprit Maloya, aller au fond des choses, sous la forme d’un concept qui est celui de raconter l’histoire de quelqu’un qui part à la recherche de ses racines, quelqu’un qui prend l’avion de Paris pour ici, et qui découvre sa famille, les valeurs traditionnelles.
J.E : On peut dire que c’est autobiographique ?
D.S : Oui. De manière romancée, mais ça parle un peu de moi en effet.
J.E : Comment tu arrives à concilier cette nouvelle vie d’artiste depuis un an environ avec ta vie de famille ?
D.S : Pour le travail, j’ai pris un congé sans solde d’un an pour m’occuper de Ker Marron. Il y a beaucoup de mouvements en ce moment. J’ai la chance d’avoir une famille qui m’encourage vraiment, une compagne qui me soutient depuis plus d’une dizaine d’années maintenant. C’est pas évident, notamment avec deux enfants en bas âge qui n’arrivent pas toujours à saisir le bien-fondé de la démarche, partir en tournée, ce genre de chose, mais on s’accroche. Pour mon fils de trois ans, c’est sûr que trois semaines peuvent valoir pour lui trois mois. Moi qui étais assez arriéré avec les nouvelles technologies, je tape maintenant là-dedans, Internet, les débits plus rapides, les webcams, tout ça soulage quand même un petit peu. Tu arrives à communiquer plus facilement, tu peux même avoir le visuel, même s’il y a un petit décalage lors des grimaces (rire).
J.E : Tu as 33 ans. Est-ce que pour toi c’est un succès qui arrive sur le tard ?
D.S : J’avais eu avant des propositions pour des concours, pour proposer ma musique. Ça ne s’était jamais fait. A ces moments-là, je ne l’avais pas toujours bien pris, mais aujourd’hui je me dis que si j’avais eu ces opportunités ça ne se serait pas passé aussi bien que maintenant. Les choses arrivent en leur temps. Avec mon passé en tant que père de famille, en tant que musicien, toutes ces choses ont permis une certaine maturation.
J.E : Pour finir, je vais te proposer un petit jeu. Ça s’appelle ton dernier/ton prochain.
D.S : D’accord.
J.E : Ton dernier CD acheté ?
D.S : Danyel Waro. J’ai pas encore pu l’écouter parce que j’ai dû donner le mien à quelqu’un. Danyel m’en a alors offert un. Je reviens tout juste de chez lui d’ailleurs.
J.E : Ton prochain CD acheté ?
D.S : Ça c’est une colle... Probablement le prochain de Ti sours, qui sera un CD ou un DVD apparemment. Ou alors celui de Kiltir. Local donc.
J.E : Ton dernier film ?
D.S : X-men 3 ?
J.E : Avec tes enfants ?
D.S : Jamais ! Il est un peu violent quand même !
J.E : Le prochain film ?
D.S : Cars, des studios pixar, ce coup-ci avec mes enfants !
J.E : Ton dernier concert vu ?
D.S : Je crois que c’est celui de Souad Massi.
J.E : Le dernier concert que tu as joué ?
D.S : Un show case pour Virgin à Saint Denis.
J.E : Le prochain concert que tu as envie de voir ?
D.S : Je sais pas... sûrement quelque chose qui sera programmé dans les Francofolies, probablement celui d’Agnès Jaoui. Mon Piker est l’un de ses musiciens.
J.E : Le prochain concert que tu fais ?
D.S : Les francofolies.
J.E : Le mot de la fin, un coup de gueule ?
D.S : Allez les Bleus ! (rire) J’espère que les Français vont continuer à produire un bon football, qu’on arrête de décrier ces joueurs-là comme ça a pu être le cas, comme pour Raymond Domenech également. Qu’on leur offre un soutien réel.
Sinon, d’un point de vue local, je voudrais dire que ce qui m’arrive actuellement est exceptionnel, et qu’il y a énormément d’artistes réunionnais qui font des choses magnifiques. Il y a réellement du talent ici. Je voudrais qu’il y ait enfin un encadrement très volontaire. Les artistes réunionnais font des sacrifices pour essayer de faire connaître leur musique à l’extérieur, mais les professionnels de la musique eux ne sont pas tous prêts à faire à leur tour ce genre de sacrifice.
Vous voulez en connaître un peu plus sur Davy ?
Alors, visitez son site web : davysicard.com
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