Rencontre avec Henri Guérard, photographe
Dans la lignée des grands photographes humanistes.
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Qui pouvait mieux qu’Henri Guérard, ce natif de Ménilmontant, fixer sur la pellicule les lieux souvenirs et la vie de son "village", le populaire et insolite quartier Belleville-Ménilmontant ?
Né rue Sorbier en 1921 sur les hauteurs de la butte Ménilmontant, il réalise ses premières prises de vue lors d’un séjour de randonnée en canoë. Un déclenchement passionnel, pour ainsi dire, qui le poussera à prendre des cours de photographie.
"J’ai acheté mon premier appareil en 44, un Rolleicord, du matériel allemand. Depuis, j’ai travaillé avec bien d’autres appareils."
En 1944, il réalise une série unique de clichés de la libération vue et vécue au travers de son objectif, la petite "bataille de Ménilmontant".
La même année, il embauche au service photographique et cinématographique des armées. Au sortir de la guerre, il décide de s’installer avec sa femme Simone comme artisan photographe indépendant.
Un jour de 1944, le Père Roger Meuillet, prêtre ouvrier lui lance : "Dis donc Henri, je lance un journal de quartier, j’ai besoin de toi comme photographe, mais je ne peux pas te payer !"
Quarante-cinq années d’infatigables services suivront, tantôt pour l’Ami du XX, tantôt pour les Petits Frères des pauvres, carte de presse en poche, attentif aux bruissements et aux scènes de la rue qui respire.
Dès lors, avec son appareil en bandoulière, le récit de vie de son quartier, au fil de l’eau, s’imprime au révélateur, en noir et blanc. Une collection qui, au fil des années va s’étoffer, jusqu’à atteindre les 150 000 clichés.
Ce quartier populaire, qui a vu s’épanouir Maurice Chevalier et la môme Piaf, est une vraie terre d’accueil. A partir des années 20, s’y est établie et métissée toute une population d’immigration. Grecs, Arméniens, et juifs polonais, hier salariés des petits ateliers de cuir, d’imprimeries aujourd’hui disparues, les nouveaux arrivants d’alors s’installaient dans les vieux immeubles décrépis. Un décor parfait pour le photographe, qui cédera au début des années 60 à un salmigondis architectural de béton, dommages irréparables à bien des égards.
Les hauts quartiers de l’Est parisien savent livrer leurs secrets à qui veut se donner la peine d’escalader ses rues pentues en dédale, dénicher ses arrière-cours, ses ruelles défoncées donnant sur des petites courettes miraculeusement préservées du bétonnage.
Avec son appareil photo, dont il ne se séparait jamais, Henri Guérard, en a fait le tour plus que tout autre.
Dans un livre édité en 1999 chez un petit éditeur du 20e arrondissement, il nous fait revivre cinquante-cinq ans de l’histoire de ce coin de Paris insolite et de ses traits urbains si propices à la nostalgie.
De ses sujets, il reconnaît qu’il les trouvait sans les chercher, au détour de ses balades avec sa fidèle épouse. Tantôt randonneur, tantôt reporter, Henri Guérard ne trichait pas, préférant les clichés sans mise en scène, prenant sur le vif les mouvements d’un enfant jouant sur une décharge, l’incendie d’un vieil immeuble, une sortie d’école, une brume sur le clocher de l’église de Ménilmontant, bref, la vie, la vraie, de sa cité et de ses indigènes.
Tout au plus, comme tout bon photographe, montrait-il une exigence toute particulière pour la lumière et les conditions atmosphériques, prêt à suivre un nuage au contour intéressant et attendre qu’il prenne place dans son viseur.
"J’adorais particulièrement le contre-jour. Sur mon petit carnet, je consignais tout ce qu’il m’était donné d’observer, la lumière qui vient à une certaine heure, dans un certain sens… et revenir plus tard pour fixer l’instant ténu sur la pellicule."
Un esthétisme qui se conjugue aussi avec authenticité et spontanéité. Témoin, ce cliché pris rue Sorbier en 1952 "le livreur de bois surpris par un sol glissant" qui intrigue particulièrement les férus de technique.
Invariablement, il répond : "J’ai en permanence mon appareil sur le ventre, l’obturateur au 250e/s et, pour le diaphragme, il y a très peu à changer. J’étais prêt tout simplement. Le reste, c’est mon regard, mes yeux".
Presque de la même génération que Willy Ronis, qu’il a côtoyé lors d’expositions qui réunissaient leurs œuvres, Henri Guérard a inventé son propre style. Un style qui pourrait bien avoir inspiré un de ses admirateurs : Doisneau en personne qui appréciait son travail.
Aujourd’hui âgé de 87 ans, il vit toujours avec sa femme Simone dans son quartier chéri de Ménilmontant. Devenu aveugle à la suite d’une complication cardiaque, il n’en continue pas moins de rester actif, n’hésitant pas à répondre présent pour une exposition à Paris ou à New York.
Une reconnaissance qui vient quelque peu sur le tard, mais qu’il balaie d’un revers de manche. "L’argent n’a jamais été notre quête. On a eu, ma femme et moi une vie tellement riche, c’est l’essentiel."
"Et aujourd’hui, ma femme, c’est mes yeux… mon amour et mes yeux."
Si ses yeux l’ont lâché, sa mémoire quant à elle fonctionne parfaitement. Il suffit qu’on lui décrive un seul de ses clichés pour qu’aussitôt il vous raconte avec moult détails son histoire intime.
Celui des curés s’essayant au ski derrière l’église de Charonne, ou encore des enfants en capeline en partance pour l’école, cinquante années plus tard, ne peuvent être trahis par la mémoire.
L’homme nous laisse un témoignage aussi rare qu’authentique d’un Paris pas totalement disparu et pourtant si présent dans notre imaginaire.
Un nouveau livre, intitulé Un photographe de Paris, Henri Guérard, est paru en juin 2007 aux Editions Parimagine.
Interview exclusive pour Agoravox.
Photos et textes avec autorisation d’Henri Guérard.
Documents joints à cet article
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