Révisons nos classiques : « Mad Max » à la revoyure !
J’ai revu avec autant de plaisir que dans ma jeunesse Mad Max, le tout premier, à l’occasion de sa reprise dans les salles*, à l’Espace Saint-Michel. On s’en doute, dans ce petit ciné parisien, on était beaucoup moins nombreux que pour le dernier Batman ! Pas grave, ce film, toujours interdit aux moins de 16 ans, n’a rien perdu de sa puissance filmique et, il faut bien l’avouer, son côté visionnaire est évident.
A l’heure où le prix du baril de pétrole est de plus en plus élevé (augmentation du prix de l’essence de 25 à 30 % en un an), ce film, et la suite de la saga, semble presque nous parler de notre époque, sur fond d’apocalypse post-pétrolière à venir. Récemment, à une pompe à essence, je tombais sur trois jeunes qui avaient planté leur voiture car, pour une question budgétaire, ils avaient choisi de mettre du diesel à la place du super. Tu parles d’une histoire, je me suis cru dans Mad Max ! Par ailleurs, on le sait, la sortie d’un hypothétique Mad Max 4 : Fury Road est un vrai serpent de mer dans le monde du cinéma et il est assez drôle de savoir que cette suite n’est pas pour l’instant envisageable du fait, entre autres, de problèmes financiers : le baril de pétrole à 150 $ gêne la mise en route de la production. Pourtant, en 1999, c’était bien parti, la motivation était là – « oui, je travaille à un autre Mad Max, mais orienté dans une direction différente de celle des autres » (George Miller) - mais il y a eu les attaques terroristes du 11-Septembre 2001 et cætera : « il y a ensuite eu la guerre en Irak et le dollar américain s’est effondré face au dollar australien. Nous avons aussi rencontré de gros problèmes logistiques et d’assurance » (Miller). Bon, du coup, on attend toujours : George Miller, ancien médecin devenu cinéaste de talent, a mis la pédale douce quant à sa saga cultissime et a préféré proposer des films de famille tels que Babe, le cochon dans la ville (1999), le cochon devenu berger (1996) et le sympathique Happy Feet (2006). Pour autant, concernant Mad Max, on attend toujours un n° 4 d’autant plus que le 3 (Mad Max, au-delà du Dôme du Tonnerre, 1985) était le plus faiblard de la trilogie. Trop de Tina Turner, de saxo eighties ringard et de concessions au grand public. On avait affaire à un Mad Max édulcoré, alors qu’à l’origine, notre Road Warrior est un fou violent du volant ne cherchant point à faire figure de Messie ou de référent. D’où son nom : Mad Max. Un nom qui cogne, un paraphe programmatique. Remontons dans le temps, au tout premier donc (1979, Austr., 1 h 29), histoire de remettre les pendules à l’heure. Oui, en 2008, il est frappant de voir à quel point ce film futuriste a ouvert la voie à toute une série de films speedés qui, malgré leur montage épileptique à tendance formule 1, tracent leur route loin derrière sa roue.
Ce qui est épatant, à la revoyure de Mad Max, c’est de voir à quel point c’est la vitesse qui en est le gouvernail, le moteur. La route défile, les bandes blanches filent dans des perspectives fuyantes et de super-bolides roulent à toute berzingue, le fil rouge de toute cette course-poursuite en surchauffe étant avant tout une histoire de vengeance. D’ailleurs, la construction de ce roadster-movie est étonnante, la vengeance orchestrée par Max Rockatansky, ex-flic qui assiste au massacre de sa famille, est bouclée en deux temps trois mouvements, George Miller n’ayant besoin que d’un bon quart d’heure pour la mettre en images alors que toute la première heure et des poussières consiste à nous planter le décor afin, notamment, de sympathiser avec Max et toute sa petite smala. Le générique du début nous précise qu’on est quelques années dans le futur. Il s’agit d’un futur sauvage, monde sans foi ni loi, où l’on assiste à des affrontements brutaux entre des gangs de motards sillonnant les routes et des policiers Interceptors qui cherchent à triompher de cette racaille au volant de bolides aux moteurs surgonflés. Mais le drame arrive, Max doit affronter deux tragédies : un de ses coéquipiers (Goose) est brûlé vif et il perd femme et enfant, froidement exterminés par des bikers en roue libre. Il décide alors d’éliminer, un à un, ces maniaques de la vitesse roulant sur Anarchie Road.
Le film est sec, tendu comme un arc. Il trace sa route implacablement et, à coup sûr, ce premier Mad Max est certainement, au-delà de la maestria du 2e complètement baroque (Mad Max 2 : the Road Warrior, 1981), le plus effrayant des trois car c’est le plus hyperréaliste. Ici, les cascades sont réelles, on pense d’ailleurs au récent Boulevard de la mort, et il n’y a pas de trucages numériques venant adoucir le propos du fait d’une imagerie qui viendrait faire écran à nos émotions. Mais ce ne serait que ça, une simple histoire pyrotechnique de justicier à la sauce Bronson, on se dirait que c’est du déjà-vu, de la violence gratuite, ni plus ni moins. Or, c’est bien plus que ça. Ce film est d’autant plus fascinant qu’il est crédible et, au-delà de son traitement vériste (on a tout de même toute une communauté de barbares gays semblant tout droit sortis d’un Village People des seventies !), cette brutalité crue est aussi là pour nous faire prendre conscience d’une certaine folie humaine autour de la fascination à l’égard du surhomme via la vitesse, « A l’exception d’un plan de deux secondes, tous les effets violents ont été réalisés au montage. Je cherche à créer un spectacle qui ait la force d’impact d’un accident de voiture. Nous vivons dans le culte de la vitesse. J’ai vu, dans l’hôpital où j’exerçais, des dizaines de victimes d’accidents graves. Cette violence fait partie de notre quotidien. Je crois qu’un film comme Mad Max a une fonction importante : il nous permet de faire face à nos angoisses et peut-être de nous en défaire » (Miller). A un moment du film, on voit une voiture accidentée, comme mâchée puis crachée, et l’un des personnages dit que ce qui est arrivé là est « peut-être pour masquer une angoisse. » De toute évidence, ce film violent fonctionne comme un coup de poing à l’estomac. Ce n’est pas pour rien que sa violence et surtout, selon moi, sa monstration quelque peu ambiguë de la vitesse cathartique, a valu au film à sa sortie des ennuis avec la censure - il fut censuré en France par Giscard ! En effet, on ne peut nier le fait que ce soit un film d’anticipation profondément dérangeant.
Ce monde de brutes fait froid dans le dos : perspectives sans fin, vrombissements de moteurs, pneus qui crissent, soif du pétrole, pirates de la route, pillages, viols, cascades non stop, combats meurtriers, poly-traumatismes. Dans un tourbillon de dégénérescence, des gangs s’emparent des autoroutes australiennes désertées, prêts à tout pour un bidon d’essence. Le film commence par les propos d’un de ces zombies de la route : « Je suis le Cavalier de la Nuit, je bourre à la vitesse de la Peur ! Je suis un bolide-suicide à injection ! Du métal tordu et du métal hurlant ! » Dans ce monde de soiffards de la route, Dieu y est déjà le carburant - ça annonce Mad Max 2 où l’on verra une meute de guerriers-gladiateurs grisés comme des fourmis par l’odeur de l’essence. Et les flics de la Sécurité routière et autres policiers de la Préfecture y sont appelés péjorativement des Bronzes, en référence à leur plaque de police, en bronze. Il n’y a plus aucun respect pour l’autorité, d’autant plus qu’on soupçonne même les flics de corruption. Le ver est dans le fruit, l’ennemi de l’intérieur, on entend une voix off préciser constamment : « Tout trafic de carburant est interdit dans la police. (…) Toute réparation doit être visée par les Capitaines. Les agents n’ont pas à traiter directement avec les mécaniciens. Cette pratique est un délit. » Ce monde croule sous les sentences, on ne cesse dans ce film de voir des panneaux signalétiques estampillés Halls of justice, Stop et autres Notice Port Rules, mais rien n’y fait, l’auto-flicage généralisé conduit droit dans le mur. Tous ces givrés sont des Orange mécanique en puissance.
Au final, il est admirable de voir à quel point, et de manière très ramassée (il n’y a pas de lenteurs interminables comme dans le 3), ce premier Mad Max pose les bases de toute la saga. Avec ses crânes rasés, son ranch de mer isolé, son turbo bidouillé, ses cuirs vintage et ses barbares rock, il annonce la poésie noire du second (le meilleur de la saga !) dont l’étrangeté des véhicules et des tenues foutraques n’est pas sans rappeler le cinéma expressionniste allemand et ses mises en garde quant au devenir d’une humanité qui, si elle s’entête à placer le capital économique avant l’humain, court droit vers le chaos. Bref, pourvu que le prix de l’essence baisse rapidement. En vue d’un Mad Max 4 et surtout… d’un monde meilleur !
* Espace Saint-Michel, 7 place Saint-Michel, Paris 5 : Mad Max v.o. Int – 16 ans. En copies neuves. Séances : 22 h 10 (sf Ven).
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