Révocation de l’édit de Nantes. L’enrayement du protestantisme, un exemple à suivre
Vu d’aujourd’hui, à fortiori dans notre singulière république laïque seule au monde, les combats pour l’unité religieuse qui contribuèrent à la formation des royaumes et des empires de notre continent provoquent généralement un grand rejet. Chacun trouvant insupportable de ne pas pouvoir vivre sa foi librement partout et comme il l'entend. Pourtant jamais et nulle part cela n'a été possible pendant des siècles sans une concession ou une soumission des minorités religieuses. Les romains de Théodose avaient compris cette nécessaire omnipotence religieuse pour l'Empire. La Reconquista d’Isabelle et de Ferdinand ne se contentera pas d’une conquête militaire de l’Espagne envahie, ils imposeront le catholicisme à ceux qui resteront, comme Louis XIV avec ses dragons chargés de reconvertir les protestants.
Fin de la Reconquista le musulman Boabdil livre l'Alhambra - Grenade 1492
Les hérésies seront combattues partout et de tout temps pour le motif primordial d'une religion dominante. Quand Charles Quint y dérogera son empire pliera sous son fils. La religion dissidente obtiendra avec la guerre de Quatre-Vingts Ans l'indépendance des sept provinces de Flandre (Pays-Bas), dans le même temps celle de Trente Ans avec notamment les réformés tchèques produira le conflit le plus meurtrier d’Europe. Les religions ne cohabitent qu'avec l'allégeance de celles minoritaires. Les musulmans imposent cette règle depuis quatorze siècles, les juifs s’y sont résignés plus de deux mille ans avant de l’imposer aujourd’hui en Israël… leur survie.
La déviance d’un humanisme devenu individualisme produit des effets anti-républicains avec une contradiction non résolue par la laïcité et sa porte ouverte au communautarisme ; comment vivre cette liberté religieuse si elle affecte celle des autres ? (1)
L’exemple des protestants de La Rochelle, laboratoire de cette impossibilité du XVIe siècle, est une constante qui nous instruit. On regardera ici comment la France a protégé son état-nation en repoussant de quelques siècles la menace de partition qui minait son existence avec l'expansionnisme de sa minorité protestante au XVIe s. 5% de la population (2) provoqueront des guerres civiles qui ravageront des territoires, et une instabilité dangereuse pour la France.
Rétrospectivement on mesure pourquoi le Cardinal a eu raison de mater les protestants à La Rochelle, et Louis XIV de les ramener « à la raison » (3) avec son Edit de Fontainebleau.
Cette histoire suit une règle que les siècles n’ont pas changée. Elle commence par une incongruité dynastique qui conduisit le protestant Henri de Navarre renégat, à la tête d’une France catholique. Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que sa conversion au catholicisme contre une messe, ne soignerait pas pour longtemps la contamination politico-religieuse protestante qui gagnait. Après la tentative des musulmans à Poitiers puis celle des cathares, de nouveaux croyants menaçaient à leur tour l’intégrité du Royaume dans le sud de la France avec un conflit enflammé par leurs prétentions.
Quelques lignes suffisent à apprécier la nature du péril et la nécessité d’intervenir pour Louis XIII et son Cardinal, mais il faudra dépasser une présentation bienpensante des événements par des historiens qui ne portent généralement pas de jugements sur les conséquences politiques de leurs récits. Cette qualité pour eux ne vaut pas pour nos sociologues et anthropologues que l’on entend moins expliquer pour les nations à ces moments clefs de leur histoire, les graves conséquences d’une tolérance qu’elles auraient pu choisir ou devoir prolonger.
Que nous dit la protestation protestante.
Ce mouvement clandestin se développait avec un fonctionnement très stricte, sa discipline ecclésiastique conduisait à des dénonciations qui portaient devant le tribunal du consistoire protestant local ceux qui s'en écartaient. Ces fidèles étaient contraints par une surveillance extrémiste, les plaisirs profanes étaient condamnés, danse, musique... étaient interdits. Un monde de rigueur sans liberté individuelle comme la peinture surveillée de Vermeer à Delft (4). Même les colons-paysans du Cap se voyaient imposer des fermes avec des constructions identiques en H, des rues droites avec croisements à angle droit, des champs rectangulaires… un dirigisme qui conditionnait la vie protestante. Quant aux débats théologiques comme à Leyde (3) ils étaient tranchés par des synodes où siégeaient des laïcs. Faire et penser s’entendait sous contraintes.
En France comme ailleurs, les iconoclastes calvinistes (5) pillaient les églises dans les grandes villes Lyon, La Rochelle, Nîmes, Metz... Les nobles catholiques devaient s'armer contre les huguenots devenus une organisation politique et militaire, les séditieux menaçaient le pouvoir et la guerre civile s'installait.
La Rochelle était devenue un foyer protestant indépendant protégé dans sa forteresse, base arrière pour les actions contre le roi. Des petites salles discrètes recevaient ces calvinistes en grand nombre avant l’Edit de 1598 de l’ancien protestant devenu Henri IV contre une messe dit-on. La nouvelle religion s’exposait dorénavant et s’imposait à la ville avec la construction de son grand temple. Les expropriations des catholiques de leurs églises et autres propriétés monacales s’enchaînaient, l’ambition séditieuse protestante ne se contentait pas de la liberté de conscience octroyée par l’édit de Nantes. Cette laïcité précoce démontrera l’émergence possible d’un quasi état dans l'Etat avec ses règles propres, auquel prétend naturellement une communauté indépendantiste même ultra minoritaire dès lors que sa constitution politico-religieuse est admise. Henri IV avait introduit le verre dans le fruit avec ses privilèges donnés aux villes huguenotes.
Pour mesurer l’extrémisme protestant à La Rochelle, on écoutera son maire Jean Guitton qui s’adressait à ses coreligionnaires pendant le siège, « … je fais le serment d’enfoncer un poignard dans le cœur à qui voudrait se rendre », un accent qui en rappelle d'autres. Richelieu qui ne voulait pas d’effusion de sang tiendra le siège jusqu’à sa reddition, Guitton se rendra sans se poignarder et Louis XIII pardonnera. La foi des huguenots restera tolérée en privé, leurs institutions seront interdites et les insurgés devront rendre les églises et les restaurer.
La Révocation de l’édit de Nantes n’était pas encore prononcée, le roi préférait ramener les réformés à la vraie foi par adhésion, un choix qui concernait les nombreuses villes passées à la réforme. L’intransigeance protestante avait fait sécession avec le Royaume de France comme ailleurs dans l’Empire romain germanique, la nouvelle émanation religieuse ambitionnait l’indépendance politique, l’édit de Nantes et ses largesses n’était qu’un pansement sur une plaie insoignable. Les tolérances politiques apportées par l’édit ne pouvaient que le condamner par une France qui s’amputerait de ces places dites de sureté mais devenues villes-état.
Ces bastions communautaristes étaient soutenus par une Angleterre anglicane, intraitable avec les catholiques (6). Les protestants en France subissaient le sort des catholiques en Angleterre et ailleurs en Europe.
Pour prendre la mesure de ces bouleversements il faut aller en Flandre où Charles Quint a dû céder sept de ses provinces devenues calvinistes, les guerres et la « furie iconoclaste » défigureront et ravageront des églises.
Saccage de la cathédrale d’Anvers par les protestants
La volonté de la nouvelle société protestante était le remplacement culturel et politique des territoires catholiques désormais soumis aux intolérances calvinistes. Les minorités religieuses ont été des menaces partout pour les nations dès lors qu'elles ont prospéré sans carcan. Henri IV les avait favorisées avec des privilèges consentis aux villes huguenotes.
Ces bouleversements au nord de la France ont dû conforter s'il le fallait Louis XIV avec sa décision de Fontainebleau d’éradiquer le protestantisme et ses conséquences pour sauver l’unité du royaume.
Dragons envoyés par Louis XIV pour convertir les réformés.
On dira depuis, que le départ des protestants a appauvri la France, sans préciser le prix qu’elle aurait dû consentir s’ils étaient restés. L'histoire de cette minorité religieuse "victime" a montré à la France et à l'Europe que la transformation de son modèle sociétal pouvait être gravement affecté par une minorité religieuse diffuse qui n'adhérait pas aux principes du royaume.
Pour l’individu que nos sociétés chérissent davantage que l’avenir de leur modèle, cela ne fait pas débat, la liberté de conscience de chacun prévaut sur celle de tous qui n’existe pas, on ne formate les esprits que sous les régimes totalitaires.
Reste que selon qu’on soit croyant ou pas, l’avenir d’une démocratie ne dépend pas du choix de l’individu mais de celui de sa majorité. Pour une minorité grandissante s’imposer avec son nouveau modèle social donc politique, nécessite qu’elle devienne majorité ou qu’elle provoque une guerre civile comme les protestants de La Rochelle. Une illustration de ce que les peuples se fracturent dès que leurs minorités religieuses donc culturelles revendiquent une représentation politique.
La révocation de l’édit permis de l’éviter avec pour effet aussi de pousser les protestants vers d’autres lieux. Quelques calvinistes quitteront la France suite à l’édit de Potsdam du duc de Prusse diffusé jusqu’en France. Il leur offrait des exonérations fiscales et autres soutiens financiers pour leur installation sur son territoire (Netanyahu l’imite encore pour attirer des juifs). Le Brandebourg était disputé entre luthériens et calvinistes, les français immigrés soutiendront les ambitions de l'Electeur dans sa conquête du pouvoir et les luthériens seront dépassés par l'émanation calviniste qu'ils avaient engendrée. L'impact de la Réforme sur l'empire Romain Germanique de Charles Quint et ses fractures religieuses maintiendront ces territoires sous un régime féodal pendant que les états-nation d'Espagne, de France et d'Angleterre développeront des monarchies puissantes avec leur religion dominante.
La Réforme protestante dans les territoires germaniques XVIe s.
L'empire Romain Germanique en 1789 mité par ses principautés et ses états indépendants avec ses partitions religieuses. L'Etat-nation allemand ne naîtra qu'en1871 avec l'empire, qui ne deviendra République fédérale qu'en 1949.
Redevenus minoritaires et sans prétentions politiques dans leurs villes, les protestants seront acceptés convertis ou pas. Pour préserver l'Etat-nation, Napoléon III et Haussmann reconstruiront Paris, ils appliqueront l’obligation de réserve aux minorités protestantes et juives, elles seront autorisées à bâtir leur temple et synagogue sans visibilité ostentatoire, la discrétion était exigée des nouvelles façades le long des trottoirs comme des pratiquants. Plutôt que l’expulsion Napoléon contraindra habilement les juifs d’Alsace à l’assimilation par décret avec l’abandon de pratiques communautaristes et sectaires hors la loi.
Henri IV et sa populaire poule-au-pot avait contrevenu au principe des empereurs et des rois depuis plus de mille ans, l'unité religieuse dans leurs frontières. Les guerres civiles calvinistes ne renverseront pas le pouvoir royal en France, mais conduiront à la partition en Flandre. Avec la paix d'Alès les protestants renvoyés dans leur temple resteront libres de leur foi mais privés de pouvoirs politiques spécifiques.
En réaction à ces attaques religieuses, la contre-réforme consolidera le catholicisme en France, probablement aujourd’hui voyons-nous un soupçon de cet effet avec de nouveaux baptêmes et mariages depuis les agressions grandissantes contre les catholiques de ces dernières années. Un "effet de corps" possible comme dans toutes les sociétés en danger. L'exubérance de l'art baroque explosera dans les églises et les palais comme en contre-pied à l'austère rigidité protestante qui avait suivi son chemin plus loin.
L'épisode de l'édit de Nantes avec sa révocation nous a montré que la liberté de conscience des individus est un privilège de la nation avec sa culture incompatible d'un multiculturalisme non choisi. Jacques Delors voulait une Europe des "États-nation" dont les frontières sont aussi culturelles (Unesco). En 2011 le Conseil de l'Europe déclarait avec les chefs d'état anglais, français et allemand "l'échec du multiculturalisme". Il ne s'agissait pas de prosélytisme au profit d'une religion dans une Europe déjà diverse, mais de souligner l'incompatibilité culturelle de nouvelles.
Une redite de la révocation de l'édit de Nantes à l'échelle européenne..
Les nations sont des mondes divers ouverts à tous ceux qui acceptent d'en partager les valeurs culturelles. La richesse des nations est dans leurs diversités, leur mélange a montré qu’elles se mettront en danger de guerres civiles aussi longtemps que les arrivants refuseront de s'y plier.
PS : Il y avait 1 million de protestants en France lors de l'Edit de Nantes, un quart en moins lors de sa révocation. Vingt-mille répondront à l'appel de l'Electeur. Les conversions contraintes des protestants seront encouragées par des exonérations et des gratifications financées par le clergé français. Des temples illégaux seront détruits.
- La laïcité et sa porte ouverte au communautarisme ; comment vivre cette liberté si elle affecte celle des autres ? « Non, le peuple n’admettra jamais le communautarisme parce qu’il sait bien que substitué à la République une et indivisible, il mène à la guerre civile » J. Julliard -Marianne 2017- Pour M. Onfray, le communautarisme c’est la guerre. Collomb, Hollande, Chevènement, Montebourg, … ne diront pas autre chose.
- Les sociétés engendrent des monstruosités avec des minorités qui entrainent des peuples, les nazis représentaient 3% de la population en 1924, les islamistes représentent 15% de musulmans, les staliniens n’étaient pas majoritairement, les maoïstes, les fascistes japonais, les khmers rouge extrémistes… non plus.
- Pendant l’expansionnisme protestant à La Rochelle, au même moment à Leyde (Pays-Bas) vers 1560 les théologiens protestants Gomarus et Arminius soulèveront un débat entre le premier qui soutenait la prédestination de l’homme fondement protestant, quand le second faisait valoir l’indépendance que lui donne sa raison, une considération admise par les catholiques (L'Ecole d’Athènes. Foi et raison au Vatican, modèle pour l’Assemblée Nationale, maillon entre l’Egypte, la Grèce et les romains). Des protestants aujourd’hui encore refusent de réfuter ce fondement calviniste, une trace historique et une épine pour ces réformés.
- Vermeer, protestant converti au catholicisme illustre avec sa peinture contrainte un autre aspect de l’intransigeance protestante Victime de Louis XIV, Vermeer s’illustrera en France après une histoire en questions –
- Calvin avait exacerbé un mouvement déviant de celui de Luther qu’il n’aurait pas accepté. Calvinistes et luthériens commencent timidement (2013) à se tendre la main en France cinq siècles après. Comme avec les juifs que Luther avait fini par bannir (1/4) Aux sources juives de l’antisémitisme ( cause et effets - Luther – un poncif).
- Dans le même temps et suivant ces principes, les catholiques étaient discriminés et persécutés en raison de leur foi. Suivant le principe "un roi, une foi, une loi", l’acte d’Etablissement du Parlement britannique promulguera en 1701, une disposition pour exclure toute possibilité de revoir un souverain catholique. Cinq jésuites seront exécutés par des protestants en 1679 à Londres, les catholiques seront exclus du Parlement.
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