Reza réécrit Sarkozy
Grosse surprise de la rentrée littéraire, « L’Aube le soir ou la nuit » de Yasmina Reza fait œuvre de littérature, malgré Sarkozy. Ou comment une dramaturge culottée transforme un président poids lourd en personnage tragique.
On n’y croyait pas trop. On savait depuis belle lurette que Yasmina Reza avait calé ses pas dans les pas du futur petit père de notre peuple, on se doutait qu’il en sortirait un objet livresque mais on s’interdisait bien, a priori, d’y jeter ne serait-ce qu’un œil, ou les deux, sinon de le lire intégralement. Encore un coup de pub signé Flammarion, rien de plus, encore du vide dans la rentrée littéraire, qui n’en manque pourtant pas, à coups de plusieurs centaines de romans, la plupart en deçà du médiocre. Donc Reza qui narre Sarko, sa campagne puis son triomphe, ça n’annonçait rien de très folichon.
Oui, mais c’est Reza, oui, mais c’est Sarkozy. Une dramaturge de talent, qui n’écrit pas pour rien, dont les mots pèsent, face à un président rapide, présent partout et jamais à court. Le match a priori déséquilibré, étrange, incongru ou iconoclaste, qui débouche en fait sur une vraie surprise. Pas une montagne, pas une cathédrale, pas le dernier chef-d’œuvre intemporel publié sous nos latitudes, mais un bon livre, et ce n’est déjà pas si mal. Un bon livre au pays de Marc Lévy ou de Nothomb. Ce n’est pas rien. Marc Lévy, justement, auteur français le plus lu, le plus riche de France, forcément du coup relation privilégiée du candidat Sarkozy. Les deux compères devisant gentiment de leurs tirages respectifs dans le bouquin de Reza. Certains se gaussent, ils ont raison : Lévy, combien de divisions ? Ce à quoi Sarkozy répond à Reza : « Moi, je regrette, un type qui vend à des millions d’exemplaires ça m’intéresse. Si je ne lis pas Marc Lévy, si je ne regarde pas le Tour de France, je fais un autre métier. » Voilà, il regrette, et il vous emmerde. Le style Sarkozy, en plein. Un candidat à la Présidence de la République qui s’intéresse davantage à une publicité pour Rolex qu’aux soubresauts de la politique iranienne. Un candidat dont l’objectif est d’être « à Palavas-les-Flots entre les bouées et la presse » pour signer son bouquin Témoignage. Un homme politique qui ne craint pas de taper dans le « gros rouge », si ça lui rapporte quelques points. Ce qu’en disent les élites, il s’en tamponne.
Reza nous peint ce candidat-là,
cet homme-là, ce fauve dont beaucoup de ses confrères écrivains, ou amis
journalistes, plus veules, plus pétochards, plus avilis, lui conseillent de se
tenir éloignée. « N’y va pas Yasmina, ils sont plus forts que nous »,
lui dit-on. Mais elle y va. Troublée par ce « nous » ou par ces
« forts », on ne sait. Interloquée par cet homme « petit »,
« qui boite », qui lui confesse que pour lui, « l’immobilisme c’est
la mort ». Qui lui dit « je n’aime pas dépendre et je n’aime pas qu’on
dépende de moi », et qui sait aussi citer Schopenhauer, entre deux
cigares. Qui est inquiet quand Chirac, au téléphone, lui affirme qu’il est
« très confiant » quant à ses chances d’être élu. Qui parle de
l’importance d’être deux, dans la vie. Cette vie qu’il juge
« lourde ». Un homme pressé qui lâche, installé à l’Elysée :
« Je suis content en profondeur, mais je n’ai pas de joie. » Portrait d’un président en homme assez mûr et
plutôt sombre. Le Nicolas Sarkozy qui surgit de ces pages ne ressemble pas en
tous points à celui qu’on croise, d’un footing l’autre, en Une ou en page
centrale, dans un quotidien ou devant les caméras. Il apparaît nuancé,
contrasté. Ni un imbécile ambitieux, ni un machiavélique penseur. Un peu de
tout cela. Un homme de son temps, en tout cas, inquiet et désespéré ce qu’il
faut, léger et frivole comme il se doit.
Est-ce
que Reza s’attendait à pareil résultat ? Est-ce qu’elle pensait qu’elle
arriverait à écrire un si bon texte à partir d’un sujet tellement
mouvant ? Oui, sans doute. C’est s’avancer que d’écrire cela, mais elle
partait avec en tête l’objectif de rendre compte des hommes et de leur course
au pouvoir. Cette course acharnée, tendue et barbare qu’ils ne s’évitent pas,
qu’ils ne savent pas escamoter. Qu’il leur faut entreprendre. Certains de ces
hommes en tout cas, ceux qu’on dépeint à l’auteure Reza comme étant « plus
forts » qu’elle. Que « nous ». Ces hommes d’un autre monde, ou
pas loin, ce monde « politique » dont on n’approche que la vitrine,
et encore. De quel bois se serait chauffé ce livre si Sarkozy avait
perdu ? A quelle sauce Reza aurait-elle pu accommoder sa couleuvre ?
On n’aura jamais réponse à cette question. Le triomphe du candidat UMP n’a en
tout cas pas abouti à un livre fleuri, gai et élégiaque, mais à une œuvre au
noir, ou pas loin. En jouant le jeu jusqu’au bout, et laissant paraître
l’ouvrage, le président populaire de la République française s’invite en tout
cas en vedette américaine sur la rentrée littéraire, déjà meilleure vente
absolue de cette fin d’été. Faut-il crier au scandale ? Bouder son plaisir
ou faire la fine bouche ? Ce serait passer à côté d’un ouvrage plutôt bon.
Yasmina
Reza a eu le courage d’aller au bout de son cheminement, elle n’a pas eu tort.
On lui doit quelques pépites, comme la raison du choix des costumes Dior plutôt
que Lanvin pour habiller le président : Lanvin taille grand alors que Dior
ne nécessite presque aucun ajustement. Ce n’est pas grand-chose, dit comme
cela, mais ce n’est pas rien non plus. Un détail de plus pour un homme qui n’en
fait pas beaucoup. Un homme qui, le soir de sa victoire, confie :
« Me voilà enfin débarrassé de ce fardeau. » Peut-être, au soir de la
publication de son livre, Yasmina Reza s’est fait la même réflexion.
Dramaturge heureuse de retrouver enfin un peu de légèreté.
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