Rock is a live, Pink Floyd en super live !
Dans les temps anciens, la musique n’était que live, autant qu’alive, avec des orchestrations savantes et des compositions complexes, exécutées dans des théâtres ou des opéras ; le bon peuple avait ses ménestrels, chanteurs de rue, groupes folkloriques, puis les fanfares, les orgues de barbarie et la musique était tout aussi alive, dans la rue, les cafés, les places publiques, les guinguettes où Georgette jouait de l’accordéon pendant que Marcel s’enfilait des canons de blanc. Et puis arriva la musique enregistrée et reproduite. Ainsi, on peut écouter de la musique en live, quand on va au concert, classique, avec grand orchestre et son abrupt, ou bien amplifié, avec une scène, des micros et un dispositif électrique qui augmente la puissance des décibels ; ou alors, chez soi, avec une radio, un tourne-disque ou une chaîne de bonne fidélité, nous avons la possibilité d’écouter un morceau de musique à souhait, un morceaux qui, avec la nouvelle donne technique, a gagné en technicité tout en perdant de sa spontanéité. On l’appelle enregistrement studio. Et comme la technique peut tout faire, il y a aussi les enregistrements live, autrement dit, sans filer, sans possibilité de retouche. Cette nouvelle donne n’a pas vraiment changé la vie de la musique qui continue à se jouer en direct pour le plus grand plaisir des mélomanes et qui se perfectionne dans les répétitions tout en se donnant comme un produit nickel quand c’est sorti du studio avec les bons soins d’un producteur.
De cette nouvelle donne, liée aux techniques d’enregistrement et de reproduction d’œuvres musicales, a découlé la question des enregistrements live. Etant entendu que la musique classique n’est pas concernée, pour diverses raisons, à la fois d’ordre technique et esthétique. La musique rock, censée être l’expression d’une free attitude, se prête à l’enregistrement live. Et c’est un trait qui différencie le rock du classique, cette propension à se laisser enregistrer alors qu’on se donne en spectacle et qu’on a libre court pour improviser plus que de raison, jouer au-delà de ses possibilités comme disait le King Miles Davis. Cette éventualité, elle s’est présentée souvent, mais elle fut réussie rarement. Les live ayant une notoriété dans le monde des aficionados du rock sont peu nombreux mais reconnus. Les maisons de disques ont édité de fameux enregistrements.
1967-2007, le summer of love a été célébré, mais quid de l’hiver psychédélique ? En 1967 on a trouvé dans les bacs des disquaires un incroyable vinyl, Piper at the Gate of Dawn, sorte d’Ovni dans le paysage musical, composé et joué par un groupe au destin étrange, Pink Floyd. Deux ans plus tard, un double album fait de deux matières, avec un enregistrement live de quatre légendaires morceaux, devenus anthologiques, et sur l’autre vinyl, quatre compositions personnelles qui ne sont pas entrées dans l’Histoire parce qu’elles disent une époque, mais sont plutôt ratées. Ainsi se présente le double album Ummagumma, un disque devenu mythique pour une génération qui a vu le monde s’émanciper plus rapidement qu’à aucune époque, alors que ce même monde s’est détruit auparavant, en 1930, plus vite qu’à aucune époque. Bref, la vraie rupture moderne. Et donc 1967, marqué sous des sceaux multiples, peace and love mais aussi naissance d’un cold rock ne reculant devant aucune improvisation, un cold rock ainsi nommé parce qu’il utilise de sombres effluves d’orgues et autres machines à claviers, évoquant les voyages intersidéraux dans un monde où la lumière diffuse étrangement, par intermittence, flashs, fantaisie. D’ailleurs, le Floyd a sans doute inspiré quelques groupes du krautrock, notamment Amon Dull II et les premières compositions du Tangerine Dream. La musique s’y fait encore plus sombre, lente, éthérée, d’une indéniable noirceur si on prend les longues compositions de Klaus Schulze, cauchemar sonore pour les uns, prétexte à se perdre en planantes délectations pour les autres.
L’hiver psychédélique se prête à des improvisations sur scène. Les morceaux sont étirés, réinventés dans des proportions qu’on ne connaît pas dans des genres plus convenus, classique, rock’n’ roll, chanson. Autant dire que la question des enregistrements live se pose, y compris pour les formations moins psyché mais tout aussi inventives dans leur expression sur scène. Led Zeppelin, Grateful Dead, les Who, voilà quelques groupes ayant produits des live d’anthologie. Les maîtres du blues rock ne sont pas en reste, Grand Funk notamment, dont le double vinyl live avait été prévendu à des centaines de milliers d’exemplaires au States. C’est dire si la réputation de ces bêtes de scènes était acquise. On reconnaît à travers les enregistrements live la spécificité inventive d’un rock considéré par d’aucuns comme free, à l’instar du free jazz qui lui aussi, laisse le champ aux impros, offrant aux meilleurs jazzmen l’occasion de se détacher du lot, Mile Davis, John Coltrane et j’en passe.
L’écoute de prestations live permet de remarquer les intentions esthétiques, progressives et inventives de quelques groupes fameux. Et de séparer ceux dont on peut dire qu’un live s’impose. Parfois, un live traduit l’atmosphère d’un concert, celui de Grand Funk par exemple. Quant aux mélomanes, leur oreille sera ravie d’entendre des morceaux joués différemment que dans leur version enregistrée en studio. Certains musiciens, ceux de Tangerine Dream par exemple, sont capables de jouer des morceaux quasiment inédits. Comme par exemple l’album Ricochet ou bien le live enregistré lors de la tournée aux Amériques en 1977. Live aux Etats-Unis mais aussi, live à Montréal, moins connu car mis sur le marché que récemment. On ne parlera pas ici des groupes dont les live n’apportent strictement rien de nouveau, sauf bien évidemment s’il s’agit d’un DVD mais vous l’avez deviné, je n’évoque que les enregistrements sonores. Parmi les live, certains sont édités par les maisons de disque et vendus dans les circuits de distributions légaux. Mais beaucoup ont été diffusés sous forme de bootleg, ce mot désignant ce qu’on appelle en France un « pirate », autrement dit un enregistrement piraté par un spectateur (ou un technicien du son), puis reproduit par un artisan pour être ensuite diffusé par des circuits non officiels, un peu comme de la dope mais, attention, un enregistrement pirate ne nuit pas à la santé. Si bien que les vendeurs de bootleg, s’ils risquent une amende, feront rarement de la taule.
Pink Floyd est considéré comme le groupe le plus piraté. Plusieurs centaines, voire un millier de bootlegs ont été produits. Certes, le groupe a eu une longue carrière mais s’il a tant été piraté, c’est parce qu’il y a un intérêt artistique indéniable. La période la plus intéressante reste quand même celle d’avant Meddle, autrement dit de 1967 à 1971. A cette époque, les bootlegs circulaient, mais la qualité sonore laissait à désirer, avec un son approximatif, et pour le dire franchement, pourri, rappelant les magnétos K7 de ce temps. Rares sont les enregistrements dignes d’être qualifiés d’audibles. Les amateurs du Floyd ont leurs préférences. L’un des meilleurs enregistrements reste sans doute celui du concert donné le 3 octobre 1971 au Paris theatre à Londres, qu’on trouve assez facilement et qui paraît-il, provient de bandes enregistrées par la BBC. C’est possible, la qualité du son montre que le concert a été enregistré (piraté) sur la table de mixage. Dommage que le groupe n’ait pas décidé de le diffuser officiellement. Maintenant, c’est trop tard, au vu des dissensions entre Gilmour et Waters. Il reste le marché parallèle pour se procurer cette perle où figurent les deux longs morceaux de la seconde période, celle où ont été composés ces deux poèmes symphoniques du rock que sont Echoes et Atom Heart Mother. Exécutés magistralement et complémentaires des versions studio. De la première période il ne reste que le fameux Careful with that Axe.
Ah, cette première période, sombre et hyper-psychédélique à souhait. Quelques compositions magistrales se prêtant à des improvisations illimitées, avec évidemment les quatre classiques, Astronomy domine, extrait du premier album, sans doute l’une des plus importantes œuvres de l’art rock, dont on ne perçoit l’essence esthétique qu’à travers les versions live, celle d’Ummagumma et bien évidemment toutes les exécutions inscrites dans les bandes magnétique et les sillons tracés dans les bootlegs. Le Careful, autre morceau culte datant de l’ère Barrett, planant, déconcertant, composé comme un scénario de film d’horreur, le calme puis la tempête avec le légendaire cri de Roger Waters et les déchaînements d’une guitare conduite dans les égarements les plus free. Et puis deux autres superbes compositions, Set the Control, aux arabesques orientalisantes jouée sur orgue électrique d’époque et Saucerful of Secrets, le plus bizarre des morceaux, dix minutes sur l’album éponyme et jusqu’à 25 minutes en live. Sa construction est étrange, en trois phases, commençant par une furie débridée sans rythmique, puis une seconde furie, plus saccadée, scandée par un jeu de batterie envoûtant et, enfin, un final planant et symphonique se prêtant à quelques savoureuses vocalises. A conseiller, l’enregistrement lors du Festival de Montreux, piraté sur table et, surtout, le concert donné à la Factory de Philadelphie. Essayez de dénicher la version remastérisée, éditée en double CD, un must. Deux heures et demie de musique. L’intégralité du concert y est. Avec les quatre classiques, un Astronomy plus dense et travaillé, notamment le passage joué calmos, que dans la version d’Ummagumma, elle-même surprenante par rapport à la version studio originelle. On peut en dire autant de Saucerful en version de 20 minutes. Mais ce qui fait l’intérêt de ce live, c’est la version d’Interstellar Overdrive, assez rare et ici, étendue à 20 minutes, surprenante, livrant l’âme de cette composition de l’ère Barrett. En bonus, plus d’une heure, avec des extraits du concert dans la même tournée américaine, à San Raffaël, un Atom joué sans orchestre, Embryo, morceau inédit composé à la même époque et devenu un classique sur les bootlegs et un fameux Set the Control, largement supérieur à celui joué dans Ummagumma. Enfin, une perle rare, le même Atom, joué le 23 janvier 1970 au théâtre des Champs-Elysée, une semaine après avoir été composé.
Pink Floyd a connu une grande année en 1970 et s’il y a bien un groupe dont les enregistrements en concert sont indispensables, c’est celui-ci. Les connaisseurs ne s’y sont pas trompés. Certes, les années suivantes peuvent être considérées comme l’apogée du Floyd, avec Dark Side et les concerts donnés après. Notamment des versions étendues de cet album de légende. Mais pour d’autres, le Floyd de 1970 est le seul qui compte, révélant les secrets d’une alchimie psychédélique doublé du symbole d’une époque traversée par l’audace et le génie.
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