Royal, agent 2007 ?
Dans Casino Royale, la James Bond girl se révèle ne pas être aussi transparente, aimante et droite qu’il y paraît. Elle finit noyée à Venise dans un effondrement de certitudes. Visionnaire ?
Un James Bond surprend rarement. Comme le Beaujolais. Vous trouverez toujours quelques malins pour y dénicher quelque goût inédit, la banane par-ci, la fraise par-là, il ne s’agit en fait jamais d’un grand cru mais souvent d’un breuvage pas désagréable en bouche. Seulement, à force, les James Bond lassaient. Ils ne suscitaient que l’impression de « déjà vu » avec un acteur dans le rôle titre trop lisse, trop habillé, trop balai dans le fion pour provoquer les applaudissements. Des pseudo Connery par-ci, des pseudo Moore par-là. De la mauvaise imitation. Un peu comme si, dans un lointain pays, on avait pendant trente ans servi à la table des politiques toujours les mêmes plats aux mêmes convives. Comme si, pendant trente ans, dans un pays à l’accent chantant, on n’avait eu d’autre choix que d’hésiter entre gaullistes et non-gaullistes, mitterrandistes et giscardiens, chiraquiens ou jospiniens.
Et tout d’un coup, Daniel Craig ! Ni beau, ni moche, baraqué mais en biais, imparfait mais costaud. Et tout d’un coup Eva Green ! Verte et sublime, voluptueuse et ténébreuse, subtile et salope. Comme si, dans un pays de France, un jeune loup quinquagénaire venu de Hongrie s’était imposé dans le rôle titre, et une Poitevine quinquagénaire venue du Poitou avait sauté à son cou. Pour le lui tordre ?
Casino Royale commence comme tous les James Bond : sans primaires. Pas besoin ici de débattre trois heures avec un ancien premier ministre ou un ancien ministre de l’Economie pour savoir qui tuer, et comment. Pas besoin que se réunissent les militants pour glisser dans l’urne leur choix pour les combats à venir. On ne chipote pas, au service de Sa Majesté : on disperse. A coups de pieds, de poings, la tête éclatée contre un lavabo et une balle en pleine poitrine. Une certaine idée de l’ordre juste, en tout cas du désordre évité. Parce que James Bond est là pour rendre service. Ca ne tiendrait qu’à lui, il descendrait quelques litres de Martini et se taperait tout l’hôtel. Mais il a le sens des priorités, et veut redonner à ses patrons, à son pays, au monde, un « désir d’avenir ».
Serait-il donc royaliste ? Certainement pas. Il regarde quand même d’abord le décolleté d’une femme avant ses yeux, avant ses fesses. Il ne trempe pas partout son olive et accepte qu’on lui flagelle les « couilles » (pardon Marie-Ségolène) comme d’autres acceptent qu’on leur propose des « idées neuves ». James Bond serait-il donc davantage sarkozyste ? Non plus. Il sait garder son sang-froid, même quand une ministresse de la Défense critique ses prises de position, et ne s’agite pas en tout sens sur son fauteuil pour signifier à l’intruse de rentrer dans le rang et de la fermer. Déjà, Bond ne cause pas, il flingue. Et puis, il n’est pas du genre à se grandir pour une photo de famille en montant sur la pointe des pieds. Déjà, par sa fonction discrète, Bond s’éloigne le plus possible des caméras, soient-elles de surveillance. Passer inaperçu est son créneau. Même à Neuilly. D’autre part, Bond s’impose une taille minimale.
Il n’empêche que Nicolas Sarkozy, comme Daniel Craig, incarne à l’UMP une nouvelle façon de porter le costume. Sur une chemise qui transpire, avec beaucoup de micros autour, et en faisant le plus de ramdam possible. L’UMP, déjà, c’est son jouet, un peu comme si le MI-6, le service de renseignement de Sa Majesté, avait à sa tête une sorte d’Iznogoud qui n’en ferait qu’à la sienne. Comme Daniel Craig, Sarkozy n’est pas ce qu’on pourrait appeler un canon. Mais il passe bien, et il ne rechigne pas à la lutte. Hargneux, impulsif et dur au mal, il a traversé quelques déserts pour en arriver là. Et finalement, surprise, le costume ne lui va pas si mal. Seulement voilà, le bonhomme n’a pas vu arriver la « jolie » Ségolène, pas née de la dernière déroute socialiste pourtant, qui pointait déjà sous Mitterrand, et qui ne le quitte plus désormais (Sarkozy, pas Mitterrand). A sa voie triomphale vers le pouvoir, il n’aurait pu imaginer qu’en peu de temps, cette James Bond girl traditionaliste allait lui placer tant de bâtons dans les roues (bignoles). Aujourd’hui, la vamp en tailleur blanc, toujours souriante comme une publicité freedent, toujours à la pointe de l’ar-ti-cu-la-tion de ses pro-po-si-tions pour les Français, a piqué la vedette au schtroumpf nerveux, qui voit, de plus venant de son propre camp, quelques trahisons d’arrière-boutiques qui risquent de le plomber davantage encore.
007 gagne toujours à la fin. C’est qu’il ne se laisse pas distraire trop longtemps par la gente féminine. Il emballe, et après on l’enterre (la gente). Du coup, après la centième explosion, le vingtième effondrement, et le millième chargeur vidé, il achève, stoïque, son récital pyrotechnique d’un « my name is Bond, James Bond. » suivi immédiatement du thème musical archicélèbre.
La partie de poker des présidentielles 2007 ne s’achèvera peut-être pas par le triomphe de James Bond. Mais peut-être par l’inattendue victoire de la James Bond girl. (Même si certains lui donnent plus d’ailes qu’il n’a de plumes, on accordera que peu de chances au Dr No frontiste).
Quelle révolution, quel retournement ! Ian Fleming ne l’aurait pas imaginé ! Ne l’aurait pas rêvé ! James Bond dépassé par sa James Bond girl ! On a du mal encore à l’imaginer, et pourtant... Une femme a tellement d’atouts dans son jeu qu’elle peut allègrement se passer de programmes, d’idées, se contenter de rassembler celle des électeurs et de les synthétiser en ébauche de politique. Il fallait y penser ! Penser aussi au fait qu’une femme est inattaquable dans la mesure où si on ose l’attaquer, c’est parce que c’est une femme, vieux réflexe macho qui condamne l’assaillant. Il fallait y penser ! Penser aussi de toujours sourire quand on annonce des choses graves, ou même pas graves du tout, toujours sourire, comme ça, ça fait moins mal, ça dégage une impression de certitude, de force intérieure, de sérénité à toute épreuve. Ségolène y a pensé ! Et ça marche... A côté d’elle, planqué derrière ses propositions de lois gadgets, son verbe facile et sa grande gueule, Sarkozy fait figure d’espion version guerre froide. Incontrôlable, immaîtrisable, « agité » comme dirait Chirac et capable de tout pour rafler la mise. Lui a des convictions, des certitudes, et il les assène, souvent, comme on enfonce un clou. Pour que ça tienne. Souvent en sueur, pourvu que ça se voie. Lui est sur le terrain, lui agit, lui a des responsabilités.
Dans Casino Royale, nos yeux, dans l’obscurité de la salle, se souviennent vite d’Eva Green. Mettent un peu plus de temps à fixer Daniel Craig. Lors de leur première rencontre dans un avion, la bête dit à la belle combien il est bluffé qu’une aussi jolie personne s’impose dans un monde de brutes. L’apparence, toujours l’apparence. Trompeuse, en l’occurrence, puisque la belle se révélera une belle... peau de vache. Déguisée en fleur.
La présidentielle 2007 ne s’achèvera pas à Venise. Eva Green n’est pas « la » candidate. Sinon elle serait déjà élue, parce qu’une telle beauté attire tous les suffrages. Faute de budget, ce sera Ségo la girl contre Sarko le Bond, minimum d’effets spéciaux et peu de retournements de situation à attendre.
Un ultra libéral contre une ultra républicaine. La mise est forte et le bluff permis. Dans ce dernier domaine-là, c’est Royal qui pour l’instant l’emporte, haut la main. Mais personne n’a encore vu ses cartes.
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