Sa majesté des mouches : quand la barbarie reprend le dessus
Sa majesté des mouches, chef d’œuvre cinématographique sans concession du metteur en scène Peter Brook, ressort en dvd dans une version magnifiquement restaurée par la maison Carlotta. Il est ici complété d’un long et passionnant bonus dans lequel Peter Brook revient sur la genèse de ce film.
L’île. Lîle déserte, l’île de la tentation, l’île du docteur Moreau…L’île est un immense réservoir à histoires. Swift, Defoe, Jules Verne, Simenon, Simon Leys y ont puisé les intrigues de certaines de leurs œuvres et tant d’autres auteurs ont eu recours à ce qui s’apparente à une métaphore. Métaphore de l’enfermement, l’île est le lieu de l’origine et celui de la fin, tout comme le corps d’ailleurs. Nul homme n’est une île, certes, mais chaque homme peut constater que son corps est une limite. L’île réagit comme un organisme vivant avec ses anticorps chargés de la défendre. Sur l’île se jouent des combats essentiels : la survie du corps voire la survie du corps social.
En 1954 William Golding (prix Nobel de littérature en 1983), campe son premier roman, Sa majesté des mouches, dans une île. C’est un livre rude, sans concession et surtout sans espoir, un anti Robinson Crusoe dans lequel les héros ne maintiennent pas la civilisation, mais l’oublient pour instaurer la barbarie. Il est vrai que Robinson Crusoe a été écrit pendant le siècle des lumières. Sa majesté des mouches est quant à elle une œuvre de l’après barbarie nazie, William Golding ayant vécu en soldat la deuxième guerre mondiale (il a participé notamment au débarquement sur les côtes normandes). La noirceur de Sa majesté des mouches est telle que de nombreux éditeurs n’osèrent pas le publier.
Peter Brook qui découvrit ce livre sur les conseils d’un ami fut immédiatement happé par cette histoire qu’il décida de porter à l’écran.
Peut-être la métaphore de l’île où se déroule l’histoire, l’île sauvage, se rapproche-t-elle aussi du concept d’espace vide formulé par Peter Brook lui-même : « L’espace vide c’est tout simplement l’absence de décor. Pour Peter Brook, quand l’esprit du spectateur voit un décor meublé, son imagination est entravée par l’espace scénique. Pour Brook, l’espace vide ne veut pas dire qu’il n’y a rien sur scène, mais qu’il n’y ait rien qui encombre l’esprit du spectateur. L’espace vide est créé par le metteur en scène pour laisser libre cours à l’imagination du public » (wikipedia).
Dans Sa majesté des mouches l’espace représenté par l’île se confond littéralement avec la mer et fini par disparaître. De ce fait seul le jeu des protagonistes retient l’attention des spectateurs.
Après des vicissitudes dues à des conflits avec la production (il a fallu deux ans pour trouver l’argent nécessaire au tournage), Brook arrive finalement à monter son projet et à filmer Sa majesté des mouches sur une île caribéenne avec des petits anglais, pendant les vacances scolaires. C’est probablement l’un des tournages les moins chers de l’histoire du cinéma. « Si on veut rester libre en tant que réalisateur, explique Peter Brook dans le bonus, il faut faire le film le moins cher possible. Ca a été le secret de la nouvelle vague en France ».
L’action de Sa majesté des mouches est sensée se dérouler au large de l’Australie. L’histoire tient en quelques mots : Un avion qui transporte des jeunes collégiens, probablement issus de la haute société anglaise, afin des les soustraire aux dangers de la guerre en Europe, s’écrase sur une île déserte. Aucun adulte ne réchappe à cet accident.
Ce prologue ingénieusement raconté en images fixes constitue le générique du film lequel se concentre sur le sujet principal : comment les enfants vont-ils s’organiser désormais ?
D’emblée les spectateurs découvrent les principaux protagonistes : Ralph, qui trouve une conque sur la plage, et son compère Piggy. Ralph a l’idée de souffler dans la conque histoire de rameuter d’éventuels survivants. Un autre groupe apparaît plus tard dans lequel les garçons sont encore vêtus de leurs uniformes et chantent un cantique. Un adolescent, Jack, est à leur tête. Les enfants se rassemblent afin d’élire un chef : Ralph ou Jack ? La conque ou le cantique ? La nature ou la culture ?
Je ne dévoilerai pas la suite, assez bien analysée ici, mais disons que dès le départ Peter Brook brouille les pistes en manipulant ces deux symboles : la conque et le cantique. A partir de là, deux clans se formeront, antagonistes. L’un d’entre eux se choisira un totem : une tête de cochon sauvage, plantée sur un pieu, sur laquelle les mouches s’agglutinent.
Bien que les personnages soient tous des enfants, il faut rappeler que Sa majesté des mouches n’est pas un film pour les enfants, encore moins un film sur les enfants. C’est un film sur l’humanité. « C’est un sujet qui est tout à la fois un mythe, c’est-à-dire qu’il dépasse toute la lourdeur et les limites du naturalisme, mais qui reste très proche de la vie réelle…Le propos de Golding, explique encore Peter Brook dans le bonus qui accompagne ce film remarquable réédité aujourd’hui par Carlotta films, était que la nature profonde de l’homme peut facilement sombrer dans la sauvagerie pure.
L’animal en nous peut se révéler et même nous dominer complètement et prendre le dessus sur les structures qu’on a construites grâce à notre culture et qui nous permettent de garder le contrôle ».
Par Olivier Bailly
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