Sang négrier
Nouvelle de Laurent Gaudé, extraite de « Dans la Nuit Mozambique » chez Actes Sud,
joué par Bruno Bernardin, mis en scène par Khadija El Mahdi ; création de masque par Étienne Champion, costumes par Joëlle Loucif, scénographie par Stefano Perocco di Meduna, réalisation graphique par Antoine Loubat
Compagnie les Apicoles,
au Théâtre de la Folie Méricourt, tous les jeudis à19h jusqu'au 30 mai... tournée en France...
La Compagnie les Apicoles, née il y a un peu plus de 10 ans, a créé une vingtaine de spectacles divers, des classiques, des auteurs contemporains, ses propres créations. Elle a joué en salle, à l'hôpital, dans la rue... la compagnie a joué pour les enfants, elle propose toute sorte d'actions culturelles... Un engagement fort dans le théâtre, la représentation qui en est l'essence, mais aussi les tenants et aboutissants, ce qu'on appelle parfois « l'école du spectateur ».
Sang négrier est une nouvelle, dite par Bruno Bernardin, dans la belle et lyrique langue de Laurent Gaudé. Il vaut mieux ne pas trop dévoiler l'histoire. Le marin qui nous la raconte est en train de devenir fou. De sa cargaison de noirs, partis de l'ile de Gorée, faisant une escale imprévue, mal organisée à Saint-Malo, se sont évadés cinq prisonniers. On voit toute la mentalité de l'époque qui ne donne aucune humanité à ces femmes et hommes noirs, et organise une battue pour récupérer cette « marchandise ». Là où les noirs sont bien considérés comme des humains, c'est dans leur capacité à ressentir l'humiliation de leur lugubre condition et à tirer partie de leur liberté pour se venger. Le capitaine est tenu pour fautif. Tous seront retrouvés sauf un, dans une grande battue qui réjouit les Malouins. « Le plaisir de la sauvagerie, nous l’avons tous partagé » déclare le narrateur, masqué au moment où il fait cet aveu. Hypocrisie. Légitimation du crime. Oubli du crime... L'évadé qui court encore va signifier qu'il est vivant d'une manière tout-à-fait fantastique. On dirait le Horla... Il est la mauvaise conscience du négrier. Presque comme pour Caïn, il est le doigt Dieu sur lui. L’égarement du narrateur, qui se parle lui-même, est porté à une grande incandescence par le comédien Bruno Bernardin. Le doigt de Dieu sur lui l'écrase.
Ses habits blancs, défraichis, un peu trop larges, flottants sentent l’angoisse, les embruns et la sueur. Un seul objet est disponible sur scène, un objet à transformation. Une sorte de tonneau, carcasse arrachée à quelque fret échoué sur n'importe quelle ile déserte... évoque mille choses de façon fugitive ou insistante : une coque de navire, le tonneau des plumes et du goudron, tonneau de la défaite et de la honte, une chaire d'où parler à un grand nombre, une chaire déstructurée, comme son esprit ravagé par le remords, l'incompréhension, l'inéluctabilité, le destin.
Bruno Bernardin nous donne à voir le dépouillement d’un homme par lui-même, face à la mort, face à sa faute, face à l'esprit d'une époque qui le portait et que le retour imprévisible et certain de l'humilié lui a dévoilé. Il est traqué comme l'ont été ses esclaves.
Il n'y a pas de grandiloquence, ni dans le texte, ni dans le jeu, ni dans la mise-en-scène. Juste un homme en proie à lui-même, inséré dans son époque comme nous le sommes tous et qui découvre l'horreur de ses mœurs, de ses façons de voir, une fois que tout est accompli, dans ce harcèlement qu'il subit et qui semble faible justice.
Un travail d'équipe, Étienne Champion (Créateur du masque), Stephano Perroco Di Meduna (Scénographie) et Joëlle Loucif (Costumes), la metteuse en scène Khadija El Mahdi et Bruno Bernardin déterrent les ombres de l’inconscient collective.
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