Sarane Alexandrian, Le grand défi de l’imaginaire
C’est toujours avec appréhension que l’on part à la rencontre d’une personnalité dont la présence et la pensée marquent les grands courants intellectuels et sensibles de son temps. Parfois, le face-à-face détruit l’image que la relation à la création seule avait créée ; quelques égratignures de-ci de-là portent atteinte à la grandeur du personnage. Le réel a eu, dans ce cas, raison de l’imaginaire. Mais il reste l’œuvre qui, pour bousculée qu’elle ait été par ce rendez-vous, n’en garde pas moins sa force et sa portée. Puis, il y a ceux qui ne trahissent pas de leur présence la profondeur de leur création. Une relation subtile les unit à l’œuvre, nulle dichotomie ni posture affichant le statut de la notoriété. Sarane Alexandrian appartient à cette seconde famille d’hommes.
Pourtant, il aurait pu arpenter les tapis rouges de la caste littéraire, se prêter aux fastes des cocktails plumitifs mondains où chacun y va de sa brosse à reluire. Se vendre au plus offrant sur la base d’excellents à-valoir. Il n’en est rien ! Sa carte de visite le lui aurait permis, mais c’eût été aller à l’encontre même de ce qui constitue sa particularité et sa noblesse : celle de n’avoir jamais transigé avec l’exigence qui sous-tend le surréalisme.
À dix-neuf ans, il rejoignit le groupe surréaliste à la suite d’un événement mémorable. C’était lors d’une conférence donnée par Tristan Tzara. André Breton présent dans la salle interpella avec véhémence à plusieurs reprises Tzara, mais ce dernier prit soin de ne rien relever. Agacé par ces remarques, le public se tourna alors contre Breton pour le lyncher. Sarane Alexandrian, se trouvant quelques rangées plus haut, enjamba les fauteuils et vint prêter main forte à Breton. À la sortie, Breton invita Alexandrian à venir à l’une de ses fameuses réunions de café ; ce que celui-ci fit sans l’ombre d’une hésitation. Breton s’aperçut très vite qu’en plus d’avoir le poing vif et le coup d’œil, Alexandrian possédait un esprit pétillant et brillant. Breton le considéra, par la suite, comme "le théoricien numéro 2 du surréalisme."
J’ai fait la connaissance de Sarane Alexandrian il y a maintenant une dizaine d’années. J’avais alors fait une étude symbolique sur André Breton et je la lui avais adressée afin de recueillir ses critiques. (Il est l’auteur de l’un des plus beaux livres écrit sur André Breton intitulé : Breton par lui-même, Éd. Gallimard. Coll. Écrivains de toujours.) Il me répondit par courrier m’invitant à me rendre à son domicile parisien. En chemin, je me demandai à quelle sauce j’allais être mangé. Lorsque la porte s’ouvrit, je vis apparaître un homme au sourire chaleureux, avec un regard pétillant et malicieux à la fois. Son accueil fut simple et courtois. Nulle trace de supériorité, de phrases débutant par la sempiternelle formulation : « Oh ! vous savez, je l’ai bien connu, etc. ». Ce qui signifie : « Moi je sais de quoi je parle, pas vous. Taisez-vous et écoutez-moi ». Son attention et son écoute me touchèrent beaucoup. Les rôles s’étaient presque inversés puisque ce fut lui qui me pressa de questions ! Pas de ces questions insidieuses du style « examen de passage », non, des questions sur mes centres d’intérêts, mes projets... J’avais devant moi un homme d’aujourd’hui, ne se sentant aucunement tenu de prendre position vis-à-vis du passé, un homme au regard tourné vers demain ; un prométhéen ! Depuis, nous sommes restés en relation, et je suis toujours très ému de le voir répondre à mes sollicitations avec tant d’enthousiasme et de spontanéité, sa fidélité est sans faille.
Christophe Dauphin - poète, essayiste et critique littéraire - lui consacre un livre qui relate tout son itinéraire, ses rencontres, ses créations, ses engagements... Un livre touchant qui parle avec sincérité et justesse de cet homme rare et précieux. Un livre que je vous invite à lire sans plus tarder.
SARANE ALEXANDRIAN ou Le grand défi de l’imaginaire.
Auteur : Christophe Dauphin. É
ditions L’AGE D’HOMME Bibliothèque Mélusine. Prix : 20€
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