Septembre 1870 : les « papillons de Metz » et les « ballons montés » de Paris marquent la naissance de la Poste aérienne
Nous sommes il y a 150 ans, en septembre 1870. Après la défaite de Sedan, les troupes prussiennes assiègent Metz et Paris. Les messagers qui tentent de forcer le blocus pour acheminer les dépêches militaires sont impitoyablement fusillés. C’est dans ce contexte de nécessité que les assiégés imaginent d’acheminer les courriers par la voie des airs. Ainsi naissent les « ballons montés » auxquels tenteront de répondre, par la voie fluviale, les étonnantes « boules de Moulins »…
19 septembre 1870. Après trois jours d’intenses combats autour de Paris, notamment pour tenir les positions fortifiées de Clamart et Châtillon, les troupes françaises du général Ducrot, vaincues, abandonnent sans gloire le terrain aux uhlans et aux artilleurs de l’armée prussienne. Au soir de cette déroute, la capitale et ses faubourgs sont totalement encerclés. Bismarck, installé dans le château des Rothschild à Ferrières-en-Brie, peut pavoiser. Pas question pourtant de lancer les troupes allemandes dans de meurtrières actions militaires. L’État-major prussien compte sur la faim et la lassitude des Parisiens pour faire tomber la capitale : le Siège de Paris commence. Il durera jusqu’en mars 1871 et débouchera sur le soulèvement des républicains, hostiles aux conditions du traité de paix imposées par l’Allemagne, et l’instauration éphémère et sanglante de la Commune de Paris.
Un siège particulièrement dur dont de nombreux journalistes et écrivains rendront compte de manière souvent très réaliste. Impossible d’entrer ou de sortir de la capitale, totalement verrouillée par les Prussiens : les messagers qui tentent de forcer le blocus sont fusillés et les chiens dressés à porter des dépêches sont abattus. La communication avec l’extérieur, notamment entre les membres du gouvernement de la Défense nationale de la toute jeune IIIe République – elle a été proclamée le 4 septembre – et une délégation des leurs prudemment repliée à Tours est pourtant essentielle, tant sur le plan politique que sur le plan militaire. Or, le dernier câble télégraphique immergé dans le lit de la Seine entre Paris et Rouen a été coupé par les Allemands. C’est alors qu’entre en piste un ami de Jules Verne aux multiples talents : le caricaturiste, écrivain et photographe Gaspard-Félix Tourmachon, plus connu sous le nom de Nadar.
Passionné par les montgolfières, Nadar dirige la Compagnie Générale Aérostatique dont le siège est domicilié dans son atelier du 35 boulevard des Capucines. Après avoir fait des offres de service au général Trochu, gouverneur de la Défense nationale, il obtient le feu vert des autorités pour la construction de « ballons montés » destinés à acheminer du courrier vers la province, hors de portée des troupes allemandes. Nadar crée alors la Compagnie des Aérostiers militaires avec ses amis Camille Legrand (dit Dartois) et Jules Duruof. Sous leur impulsion, alliée à la détermination des frères Jules et Louis Godard, des ateliers de fabrication de montgolfières sont installés dans la gare du Nord et la gare d’Orléans, désertées de tout trafic ferroviaire pour cause de blocus. Dans le même temps, une première base d’envol est implantée place Saint-Pïerre, au pied de la Butte-Montmartre. 7 autres sites d’envol seront aménagés, notamment sur les parvis des gares et au jardin des Tuileries. Le premier ballon, le Neptune, est largué le 23 septembre. Piloté par Jules Duruof, cet aérostat emporte 36 000 lettres. Il atterrira sans dommage à Craconville, près d’Évreux.
Du pigeon voyageur au cylindre à ailettes
Faute d’aéronautes, Nadar et ses amis recrutent des volontaires à qui l’on enseigne les rudiments du pilotage des aérostats. Au cours des 136 jours du siège, 67 ballons montés partiront de l’un des divers points d’envol de la capitale, emmenant avec eux un total de 168 pilotes et passagers, 391 pigeons voyageurs, 6 chiens, du matériel photographique et télégraphique, de la dynamite, un nouveau type de scaphandre et… 2,5 millions de lettres et de « cartes-poste », un tout nouveau support qui deviendra ultérieurement la carte postale illustrée. Deux de ces ballons, poussés par un fort vent d’est, disparaîtront en mer d’Irlande (le Jacquard) et dans l’Atlantique (le Richard Wallace). L’un (le Ville d’Orléans) se posera près d’un village du Telemark, en Norvège ! D’autres s’abimeront à l’atterrissage en occasionnant des blessures à leurs occupants. Un malchanceux se posera même en zone occupée (le Montgolfier). Léon Gambetta aura plus de chance : parti de Paris à bord de l’Armand-Barbès le 7 octobre en compagnie de son collaborateur Eugène Spuller et de l’aérostier Trichet, il atterrit à Montdidier (Somme) et peut rejoindre le gouvernement provisoire de Tours pour tenter d’organiser la défense du territoire. Gambetta et ses compagnons emportaient avec eux 4 000 lettres. Il en ira de même pour la majorité des autres ballons : presque tous seront porteurs de courriers destinés à des correspondants de province et de l’étranger (80 000 ressortissants étrangers ont été piégés dans Paris).
L’utilisation des ballons montés se heurte toutefois à une énorme difficulté : comment recevoir en retour dans la capitale assiégée du courrier de province et de l’étranger ? Quelques tentatives aérostatiques seront effectuées lors du Siège, mais victimes de vents défavorables, toutes seront sanctionnées par des échecs. Certes, il y a les pigeons voyageurs expédiés par ballon vers la province dans des cages d’osier pour être renvoyés vers Paris porteurs de messages, mais le pigeongramme (support micro-photographié) qui a été introduit dans une section de penne sous la queue du pigeon ne contient au maximum que 2 000 brèves dépêches. Un rendement qui, nécessité oblige, sera pourtant perfectionné de manière spectaculaire par le procédé de René Dagron consistant à transférer sur un support de collodion de multiples textes photographiques réduits à une surface de quelques millimètres carrés. Grâce à ce génial procédé, ce ne sont plus 2 000 mais 30 000 dépêches qui arrivent désormais dans un petit tube métallique fixé sous l’aile. Malheureusement, sur les 391 pigeons qui seront envoyés en province, 57 seulement retrouveront leur pigeonnier parisien, l’un d’entre eux, victime d’une balle prussienne ayant perdu son tube et plusieurs plumes de sa queue. Quelques-uns ont même été probablement interceptés par des faucons prussiens, spécialement utilisés à cet effet, mais en réalité beaucoup plus dévastateurs pour les volatiles ordinaires que pour les auxiliaires ailés de la Défense nationale.
Le problème semble difficilement soluble lorsqu’au début du mois d’octobre un dénommé Louis-Émile Robert présente au général Trochu le projet qu’il a conçu avec MM. Delort et Vonoven. Inspiré d’une méthode de contrebande de tabac en usage à la frontière franco-belge, il consiste à livrer au courant de la Seine en amont de Paris des cylindres de zinc munis de 12 ailettes et rendus étanches par un couvercle soudé. Chaque cylindre peut contenir un maximum de 600 lettres. D’un diamètre de 13 cm pour une hauteur de 20 cm, il comporte à ses extrémités deux petites poches d’air destinées à ajuster de manière optimale son poids par obturation de ces cavités. Lesté par le courrier, le cylindre, soigneusement pesé, doit afficher une pesanteur en principe supérieure… d’un milligramme au poids spécifique de l’eau ! Immergé en amont de la capitale, le cylindre est censé se mouvoir entre deux eaux à la manière d’une roue à aubes avant d’être récupéré dans Paris assiégé à l’aide d’un filet tendu en travers du fleuve.
Naissance de la Poste aérienne
Après un essai réussi dans la capitale, la décision est prise d’organiser cet étonnant service postal. Les lettres, écrites sur du papier pelure, devront peser au maximum 4 grammes. En accord avec l’administration postale, le courrier à destination de Paris sera centralisé à Moulins et portera la mention « Paris par Moulins (Allier) ». Le tarif est fixé à 1 franc par lettre, 20 centimes allant à l’administration et 80 centimes dans la poche des inventeurs du système (moitié lors de l’envoi, moitié après réception). Quatre cylindres et un ballon sont fabriqués, et le 7 décembre 1870 Delort et Robert s’envolent à bord du Denis Papin. Tandis que Delort s’installe dans l’Allier pour superviser la fabrication des boules, leur remplissage et leur acheminement vers Cosne-sur-Loire (Nièvre), Robert se charge de les récupérer dans cette localité puis, déguisé en paysan, de les transporter et de les mettre à l’eau en amont de la capitale, le plus près possible des lignes prussiennes. La première boule de Moulins sera immergée à Bray-sur-Seine. D’autres le seront dans diverses localités de Seine-et-Marne moins exposées à la surveillance allemande : Samois, puis Thomery et Montereau. Vonoven, resté à Paris, est chargé de récupérer les « agents », nom que leurs inventeurs ont initialement donné à ces étonnants cylindres postaux.
55 boules de Moulins, chacune contenant de 300 à 600 lettres, seront mises à l’eau entre le 4 et le 28 janvier 1871. Interceptées par les Prussiens, envasées, prises dans les racines des rives ou insuffisamment étanches, aucune ne sera stoppée par les mailles des filets tendus par Vonoven au Port-à-l’Anglais (entre Vitry et Alfortville). Certaines traverseront même la capitale sans obstacle, le filet de récupération ayant été très endommagé par les glaçons que charriait le fleuve en cet hiver particulièrement rigoureux. Toutes les boules ne seront pas perdues pour autant : le Siège de Paris levé, la première boule sera retrouvée aux Andelys le 6 mars ; trois autres seront repêchées au cours de cette année 1871. D’autres découvertes s’étaleront ensuite jusqu’en 1910. Au total, une trentaine de boules de Moulins seront récupérées, les dernières en Seine-Maritime, à Saint-Wandrille le 6 août 1968, et à Vatteville-la-Rue le 14 avril 1982. Avis aux amateurs, il reste environ une vingtaine de boules de Moulins à repêcher, avec à la clé un joli pactole lié à la grande valeur philatélique de leur contenu.
Joli pactole également avec les lettres expédiées par ballons montés, la cote de certains plis atteignant plusieurs milliers d’euros. Rien d’étonnant : ces lettres et cartes-poste font partie de l’histoire naissante de la Poste aérienne dont le décret d’officialisation par l’Administration des Postes a été signé le 27 septembre 1870 avec effet… dès le lendemain. Ces lettres ne sont toutefois pas les véritables pionnières. La grande première a été réalisée quelques jours plus tôt, lors du Siège de Metz. Entre le 5 et le 14 septembre 1870, 14 petits ballons d’un mètre de diamètre, tous porteurs de lettres, ont en effet été largués à l’initiative du pharmacien militaire Jeannel et du médecin-major Papillon, initiateurs de ce qu’ils présentent au général Bazaine, commandant la place de Metz assiégée, comme la « Poste aérostatique ». 7 de ces ballons, dits « ballons des pharmaciens », seront recueillis en zone française, les autres étant retombés derrière les lignes prussiennes. Une douzaine d’autres ballons, d’une taille supérieure (trois mètres de diamètre), seront lancés entre le 16 septembre et le 3 octobre, chacun d’eux emmenant environ 10 000 dépêches. Ces courriers et dépêches, tous écrits sur du papier pelure, sont connus sous le nom de « papillons de Metz ». Un bien joli nom pour une bien belle histoire !
Note : ce texte est une reprise, modifiée et complétée, d’un article de février 2010.
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