Sergio Leone for ever

J’attendais avec impatience le livre sur Sergio Leone - paru le 5 janvier dans la nouvelle collection Grands Cinéastes du Monde estampillée Les Cahiers du cinéma - de Jean-Baptiste Thoret, critique reconnu et universitaire ayant notamment publié des livres passionnants sur le cinéma américain (cf. 26 secondes, l’Amérique éclaboussée, l’assassinat de JFK et le cinéma américain, éd. Rouge profond, 2003, et Le Cinéma américain des années 70, éd. des Cahiers, 2006) mais il faut avouer que, dans l’ensemble, j’ai été déçu.
Le livre est intéressant, sans plus. Cet auteur est nettement moins à l’aise ici que lorsqu’il nous parle avec précision et talent de Dario Argento (Magicien de la peur, éd. des Cahiers, 2002), de Carpenter (Mythes et masques : les fantômes de John Carpenter, éd. Dreamland, 1998), de Michael Mann ou encore du cinéma américain des seventies. Son livre n’apporte rien de vraiment original. Classiquement, voire paresseusement, il accorde de nombreuses pages aux westerns spaghettis baroques de Sergio (pages 7 à 79) et seulement 10 pages, assez superficielles, à son film-testament de 3 h 40, Il était une fois en Amérique. On reste résolument sur notre faim : ce film d’exception devrait prendre, au moins, la moitié du bouquin tant il est devenu un mythe dans la cinématographie contemporaine. En outre, sur les westerns mi-truculents mi-lyriques de Leone (1929-1989) et son ultime opus (1983) précédemment cité, on a lu mieux ailleurs - je vous conseille par exemple Conversations avec Sergio Leone par Noël Simsolo (éd. Stock, 1987, un must), le Sergio Leone de Gilles Cèbe (éd. Henri Veyrier, 1984, un classique), Sergio Leone, le jeu de l’Ouest par Oreste de Fornari (éd. Gremese, 1997, avec une préface de Luc Moullet himself), le pointu Avant-scène Cinéma n° 537 (déc. 2004) sur Il était une fois en Amérique, le très beau Il était une fois en Italie, les westerns de Sergio Leone par Christopher Frayling (éd. de
Pour en revenir au Sergio Leone du Monde, il est bourré d’approximations ! Quand on a la chance de pouvoir écrire un livre sur l’immense Sergio Leone, je trouve qu’il faut se livrer à un travail de fond qui puisse, non pas égaler (restons humbles !), mais au moins coller à l’œuvre du maestro pour en faire jaillir au maximum les pépites et les joyaux fulgurants. Quelques erreurs regrettables, exemples : dans le supplément du Monde (Monde, TV & Radio n° 113), Isabelle Régnier écrit, page III, que Clint Eastwood dans Le Bon,
Bien sûr, ce livre de Thoret sur Leone vaut le coup d’œil, mais il n’y a pas de phrase manifeste notoire qu’on aimerait garder pour soi, ad libitum. Par exemple, concernant Leone et sa fortune critique (on sait combien son œuvre-icône influence non seulement le cinéma, mais aussi
Pour autant, rendons à César ce qui appartient à César, le livre de Jean-Baptiste Thoret, sans jamais atteindre les sommets du souffle lyrique et maniériste de Leone, reste agréable à lire, l’auteur insiste bien sur le désenchantement de l’œuvre, oscillant en permanence entre artificialité extrême (goût des masques façon Commedia dell’arte, des leurres, des combines et du bluff) et réalisme scrupuleux (par exemple, le soin apporté au vérisme des armes ou la représentation des horreurs de la guerre). Pessimiste en diable, Leone part de la réalité, mais, par exemple, il préfère largement la légende de (et autour de) l’Amérique - et notamment sa parodie - plutôt que l’Amérique en elle-même et son miroir aux alouettes. Parfois, l’embellissement du monde n’est pas un demi-mensonge, mais davantage l’unique moyen de l’habiter moins durement. Le conte (il était une fois...), c’est le monde tel qu’on voudrait qu’il soit et tel qu’il n’est pas. Par exemple, l’Ouest de Leone est sans Dieu ou alors l’unique Dieu que l’on célèbre, dans ses deux trilogies, celle des dollars et celle des Il était une fois, est l’argent. Tuco en est fou, comme Dali du chocolat Lanvin, dans Le Bon,
Concernant l’ultime Leone, quel ne fut pas mon plaisir de voir récemment, dans l’article Story Robert De Niro des Inrocks n° 605 (juillet 2007) p. 45, que le fameux critique ciné Serge Kaganski considère mon film de cinéma préféré de tous les temps Il était une fois en Amérique comme un fucking masterpiece et, en tant que cinéphile, c’est avec délectation que j’ai lu les lignes suivantes : « Dans sa série "un film avec un géant du cinéma - un chef-d’œuvre" déboule en 1984 le sublimissime Il était une fois en Amérique de Sergio Leone. On ne va pas revenir en détail sur cette saga proustienne régulièrement en tête de mon top 100 imaginaire des plus beaux films du monde. (...) C’est pourtant le sommet de Leone et celui de De Niro. » puis « Si j’étais Noodles, si je déambulais au soir de ma vie dans les lieux de mon enfance, si je montais sur les vieilles chiottes où j’avais l’habitude d’aller mater ma copine, si je détachais une brique du mur pour y créer une ouverture secrète par laquelle je projetterais-filmerais-reverrais mentalement le film de mon passé, je choisirais de regarder les grands films qui ont scandé la carrière de De Niro et ma vie de spectateur : Mean Streets, Le Dernier Nabab, Deer Hunter, Raging Bull, Casino, Heat... et je me dirais "Il était une fois en Amérique" et c’était bien. » Oui, à l’heure encore où une certaine intelligentsia (je ne pense point ici aux Inrocks, aux Cahiers, mais à Télérama, par exemple) ne semble aimer Leone que du bout des lèvres, j’ai trouvé ce texte formidable (séquence émotion) car, à dire vrai, je fais partie du « club des amoureux » de Once upon a time in America de Leone. Encore aujourd’hui, on peut lire des fadaises sur Leone, extrait de Brazil n °2, déc. 2007, Dossier mafia : les films d’honneur par Hervé Deplasse, p. 77 : « En effet, le film de Leone [Il était une fois en Amérique] est bien trop apprêté, sans espace. Presque tous les plans ont des allures de décors un peu toc, les flash-backs incessants alourdissent le rythme par ailleurs plutôt lent. Ce qui convenait dans ses chefs-d’œuvre western devient ici redondant et seules quelques scènes (l’enfance de la bande, la scène de sortie de prison) sauvent le film du naufrage », eh bé ! Question : pourrait-on sauver l’auteur de ces lignes de son aveuglément ?!
Oui, il faut redécouvrir Leone, longtemps trop populaire pour être considéré à sa juste importance, et son Il était une fois en Amérique - testament accidentel hélas et création cinématographique majeure du XXe siècle - c’est vraiment mon film de chevet, mon Amérique (de légendes) à moi, c’est celui que j’emmènerais illico sur une île déserte si je devais n’amener qu’une œuvre. Pourquoi ? Parce que, selon moi, ce film c’est plus qu’un film, plus que du cinéma, c’est non seulement THE film de Sergio Leone (ce film c’est lui, avec ses cheveux blancs et pas mal de rides autour des yeux), mais c’est surtout la vie même qui transparaît sur l’écran (de nos rêves) pendant 3 h 40 et bien après, longtemps après, comme une longue rêverie opiomane : tout le film est en fait le rêve d’opium de Noodles à travers lequel Leone rêve les fantômes du cinéma et du mythe américains. Bien sûr, cette longue rêverie opiacée qu’est le dernier Leone (cf. la fumerie orientale, mais aussi les nuages de fumées de la gare puis de la fuite vers le passé du nostalgique et passéiste Noodles), ça pourrait être une définition possible du cinéma parmi d’autres (les ombres chinoises sur l’écran de la fumerie me semblent à ce sujet être un résumé minimaliste du film, tel une métonymie du cinématographe comme projection fantasmatique, les acteurs et actrices étant des fantômes de celluloïd ou de pixels fonctionnant pour nous comme des réceptacles à fantasmes). Ce Once upon..., c’est un film qui aide à vivre, on y sent une leçon de cinéma et de vie, il faut l’avouer j’aime ce film jusqu’au délire, je l’ai vu au moins 25 fois !
Il était une fois en Amérique, Leone aurait pu l’appeler : Il était une fois un certain cinéma, parce qu’aujourd’hui une image bien pourrave de TV ou d’une certaine industrie des jeux vidéo a colonisé l’image de cinéma, nous faisant désagréablement subir un lavage de notre temps de cerveau disponible ; certes, l’espoir est là, il y a encore des « résistants » pour aller loin comme un Terrence Malick, une Pascale Ferran ou un Apitchatpong Weerasethakul. Puis, si nous fermons les yeux, loin du ramdam télévisuel qui phagocyte notre regard, nous revoyons ad libitum le sourire final de De Niro à la fin d’Il était une fois en Amérique, on se dit alors que Leone semble nous dire « Si vous avez bien compris qu’avec des films comme celui-ci on peut sauver le cinéma, aimez les films et allez les voir » et on se demande aussi, in fine, qu’est-ce qui pouvait suivre ce rêve sur l’Amérique perdue (Chaplin, Griffith, Ford, Hawks...) ?... La mort ? Peut-être, car Sergio est mort en 1989 et nous a tous laissés, nous les amoureux cinoques de cinoche, orphelins de son cinéma puissamment lyrique, art complexe du paradoxe, d’une « trivialité majestueuse » dixit Luc Moullet. Et je me souviens encore, qu’à la mort de Leone (j’avais alors 16 ans), je m’étais mis sur ma sono, conscient d’une perte immense (comme celle d’un ami, d’un parrain ou plutôt d’un maître),
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